Leur véhicule récréatif (VR) devrait plutôt être renommé véhicule créatif : trois artistes professionnels vivant à temps plein à bord de fourgonnettes aménagées nous expliquent comment ce mode de vie s’articule ou fait corps avec leur carrière. Avec des tronçons tantôt peace & love, tantôt rock’n’roll.

Musicien sur le tempo nomade

En 2017, Anthony Roberge, kinésiologue de formation, a claqué la porte de sa coloc à Sainte-Foy pour ouvrir celle d’une fourgonnette. Son nouveau tempo : vivre dans sa van et de sa musique. Quatre ans plus tard, ça roule pour lui : il multiplie les spectacles, a sorti un album (Aux frontières) et vient d’enregistrer un deuxième single (Île déserte). Une question de goût... mais aussi de coûts.

« C’est une manière de réduire mes dépenses pour arriver à vivre à temps plein en tant que musicien. Ça a super bien fonctionné jusqu’à maintenant. J’ai toujours eu l’envie de voyager, je ne me voyais pas fondre dans une routine de 8 à 5, je trouvais que je perdais beaucoup d’inspiration et de créativité. Ça m’a vraiment ouvert l’esprit », confie le chanteur-guitariste. Ses créations musicales se retrouvent inexorablement teintées de voyage (son premier single s’intitule Vagabond), même s’il aborde d’autres thèmes.

Sillonnant les scènes du Québec en été, puis s’échappant vers l’ouest ou le sud du continent en hiver, Anthony Roberge a aménagé son véhicule pour en faire un antre de composition et une arrière-scène pour ses tournées. Tout son équipement (guitares, câblage, sono) se range sous son lit, tandis que des panneaux solaires alimentent son matériel d’enregistrement. « Ça me permet de composer et préparer mes chansons, puis investir dans la location d’un studio professionnel pour les enregistrer », explique-t-il.

PHOTOS FOURNIES PAR ANTHONY ROBERGE

Le musicien originaire de Saint-Fortunat parcourt le Québec en été et se dirige vers des climats plus cléments comme la Colombie-Britannique en hiver, où il peut donner des spectacles de rue.

Une vie nomade pas uniquement composée de bohème, car des perturbations, notamment nocturnes, font à l’occasion tanguer son camion : police l’invitant à camper ailleurs, tensions avec les habitants dans les zones très touristiques, remue-ménages festifs – amené à se stationner près des bars et festivals pour y jouer, ça claironne parfois autour de son véhicule. Et le pépin pandémique ? Même si la situation l’a obligé à une pause, à des pertes de contrats et a enrayé ses accès habituels à des gymnases pour s’entraîner et se doucher, il s’est adapté, investissant davantage dans la production pour la radio et organisant, avec succès, des spectacles de rue, autorisés en Colombie-Britannique. « Je suis allé chercher des revenus en redevances et les spectacles de rue m’ont permis d’avoir un revenu fixe », indique-t-il.

Se sent-il jugé pour son mode de vie ? « Oui, mais ce n’est pas quelque chose qui va m’empêcher de le faire. Certains imaginent que je vis comme ça parce que je ne vais pas bien, alors que c’est un choix personnel ! »

Permis de conduire

Une vie d’artiste

PHOTO JADE COOK, FOURNIE PAR ANTHONY ROBERGE

Anthony Roberge

Nom : Anthony Roberge
Discipline : musique
Âge : 29 ans
Originaire de : Saint-Fortunat (Chaudière-Appalaches)
Vit en camionnette depuis : 2017
Véhicule : Mercedes Sprinter
A traversé en van : la Californie, la Floride, la Colombie-Britannique, les régions du Québec
Meilleur souvenir sur la route : un coucher de soleil californien sur une planche de surf
Pire souvenir sur la route : à Beauport, un inconnu est venu lui crever un pneu, sans explication, avant de prendre la fuite

Consultez le site d'Anthony Roberge

Photographier à contresens

PHOTO FOURNIE PAR BENOIT PAILLÉ

« La vanlife, c’est tough », rappelle Benoît Paillé, qui s’est installé par choix dans son camion depuis 2013.

Sur les sentiers de l’Amérique, on croise toutes sortes de bibittes, dont certaines sur roues. Depuis bientôt neuf ans, l’artiste photographe Benoit Paillé vit à temps plein dans son camion, multiplie les improvisations créatrices et collectionne les coups du sort. Écumant le Canada ou l’Amérique latine, exposant aussi bien en France, en Chine qu’à Montréal (des œuvres de son cru sont actuellement installées à Côte-des-Neiges jusqu'au 1er juin, avec éventuelle prolongation pour un mois supplémentaire), cet anticonformiste capte de façon spontanée et décalée les environnements se présentant à lui. Du « documentaire surréaliste » intrinsèquement relié à son mode de vie.

« C’est très relié à la photo. Je suis un genre d’hyperactif, jamais satisfait, toujours en train de bouger, sinon je m’emmerde. Le camion, ça m’oblige à sortir, à être actif », explique-t-il. « Ma conception de l’art n’est pas centrée sur le produit final, mais sur le processus, les moyens que je me donne pour faire des expérimentations. J’ai une démarche anti-productiviste, anti-travail, les façons de faire dans l’industrie de l’art me font chier. Faire une marche dans le but d’aller faire de la photo, être dans une dynamique de production, c’est non. Je voulais avoir des occasions de création qui arrivent tout le temps, pas reliées au lieu où je suis, mais à comment je me sens. L’immédiateté, les choses éphémères, ce qui m’entoure, les gens, c’est ce qui va me faire créer », déroule-t-il.

PHOTO FOURNIE PAR BENOIT PAILLÉ

Victime d’un accident l’hiver dernier, l’artiste doit faire reconstruire son camion, qui occupe une place cruciale dans son cheminement photographique.

Une visite à Banff ? Il photographie le stationnement. Un poteau. Des partys burlesques. Mais n’allez pas croire qu’il déclenche au hasard : « Je suis biologiste médical à la base. Pour les prises de vue, je fais ma photo de manière très scientifique. »

Dans son camion, de quoi vivre, un peu de matériel pour des retouches minimalistes, une imprimante pour des tirages, mais pas de studio : tout se passe à l’extérieur. Et celui qui a avalé beaucoup de route ne mâche pas ses mots pour la vague de la vanlife.

  • Difficile de résumer en peu de photos l’approche de l’artiste, qui fait feu de tout bois photographique. Notez qu’il retouche à peine ses clichés. Ici, quelques photos de sa série The kitsch destruction of our world, tordant le cou au surtourisme.

    PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE BENOIT PAILLÉ

    Difficile de résumer en peu de photos l’approche de l’artiste, qui fait feu de tout bois photographique. Notez qu’il retouche à peine ses clichés. Ici, quelques photos de sa série The kitsch destruction of our world, tordant le cou au surtourisme.

  • Au fil de ses arrêts en camion, Benoit Paillé capte des environnements éphémères…

    PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE BENOIT PAILLÉ

    Au fil de ses arrêts en camion, Benoit Paillé capte des environnements éphémères…

  • … ainsi que ses rencontres insolites.

    PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE BENOIT PAILLÉ

    … ainsi que ses rencontres insolites.

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« C’est un mouvement de marde, l’exaltation du tourisme et une liberté par l’automobile. On se pense marginal, autonome, mais c’est du fantasme, on pense que c’est un rêve Instagram, mais la réalité de la vanlife, c’est que c’est tough, t’es toujours en train de te battre », souligne-t-il. Et il peut en témoigner : au fil des ans, il a enchaîné les mésaventures, entre attaques au Mexique et perte totale de son camion dans un accident au cours de l’hiver – une collecte de fonds l’a remis sur pied et lui permettra de poursuivre son art nomade expérimental. « J’ai encore envie de le vivre, je suis trop hyperactif. » Se sent-il jugé ? « Non, c’est moi qui juge les autres ! »

Permis de conduire

Une vie d’artiste

PHOTO FOURNIE PAR BENOIT PAILLÉ

Benoit Paillé

Nom : Benoit Paillé
Discipline : photographie
Âge : 36 ans
Originaire de : Trois-Rivières
Vit en camionnette depuis : 2013
Véhicule : un camion de déménagement GMC TopKick
A traversé en van : le Canada, le Mexique, le Belize, le Guatemala, le Salvador
Meilleur souvenir sur la route : « C’est quand je n’ai pas de bad luck ! » Mais il cite tout de même ses rencontres et l’adoption de son chien, recueilli au Mexique.
Pires souvenirs sur la route : tout un palmarès. Son véhicule attaqué au harpon au Mexique ; son réservoir de toilettes de 50 L se vidant sur la chaussée ; son violent accident qui a entièrement détruit son camion au cours de l’hiver, et tant d’autres...

Un projet acrobatique en pleine pandémie

PHOTO EINAR KLING-ODENCRANTS, TIRÉE DE FACEBOOK

L’artiste est spécialisé dans les numéros de sangles aériennes.

Au tour du projet « corovan » de Nikolas Pulka d’entrer en piste. Englué dans un contexte complexe l’été dernier, cet acrobate de cirque spécialisé dans les sangles aériennes s’est lancé dans l’aménagement d’une camionnette à son goût. Après des formations à Paris et à l’École nationale du cirque de Montréal de 2011 à 2016, il a écumé le globe à coup d’avion, au gré des spectacles des troupes québécoises Éloize et Alfonse, conservant Montréal comme ville d’attache. Mais au printemps 2020, le voilà soudainement bloqué en Suède, privé de contrats, tournant comme un lion dans sa cage. N’est-ce pas le temps de donner vie à ces croquis de van esquissés ces dernières années ?

« Avec les cirques, on voyage énormément, de 10 à 12 pays par année. À cause de la COVID-19, on s’est retrouvés sédentaires, et je crois qu’il y a une peur chez les artistes de cirque de rester à la même place, d’être établi. Alors quand on nous force à rester au même endroit, on le fait dans quelque chose qui a des roues, pour se créer l’option de pouvoir bouger ! », lance-t-il, tout en se posant la question : est-ce le cirque qui a développé ce nomadisme ou s’est-il orienté vers le cirque parce que la bougeotte germait déjà en lui ?

  • On dirait qu’un designer d’IKEA est passé par là… mais c’est l’artiste de cirque qui a tout aménagé de A à Z, selon ses besoins. Il voulait aussi créer un lieu convivial pour recevoir des invités.

    PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

    On dirait qu’un designer d’IKEA est passé par là… mais c’est l’artiste de cirque qui a tout aménagé de A à Z, selon ses besoins. Il voulait aussi créer un lieu convivial pour recevoir des invités.

  • Nikolas Pulka alimente une chaîne YouTube pour donner une foule de conseils à ceux qui le désirent à monter leur propre van.

    PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

    Nikolas Pulka alimente une chaîne YouTube pour donner une foule de conseils à ceux qui le désirent à monter leur propre van.

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Pas le temps d’y réfléchir : il a été rapidement embauché par le chantre suédois Cirkus Cirkör, pour qui il s’entraîne actuellement, après avoir passé son été à bâtir une camionnette écologique – avec design scandinave ! – devenue son lieu de vie.

La van scandinave de l’acrobate Nikolas Pulka

Bien que l’espace soit trop étroit pour un entraînement complet, Nikolas a tout de même ajouté une poutre de traction et deux attaches pour la fixation d’une barre ou d’anneaux, utilisables avec la porte latérale ouverte. « C’est sûr que je ne ferai pas de backflip dans la van, mais je peux continuer à travailler mes mouvements de force en sangle et en escalade », explique-t-il. Autre ingrédient crucial pour lui : la cuisine, aménagée avec prises 230 V, double gazinière et puissant mélangeur pour concocter ses boissons protéinées... « Je l’ai faite dans l’optique d’avoir une alimentation sérieuse reliée à l’entraînement. Il n’était pas question que j’habite dans une van et que cela ait un impact sur mon hygiène de vie », table-t-il.

Conservera-t-il ce mode de vie une fois les tournées relancées ? Probablement : « Il ne me manque rien », dit-il, précisant que la camionnette constituera sûrement son quartier général. Nikolas envisage même un flip – pas l’acrobatie, mais l’opération immobilière –, puisqu’il songe à revendre son véhicule amélioré pour se lancer dans un second projet similaire.

Permis de conduire

Une vie d’artiste

PHOTO TIRÉE D’UNE VIDÉO YOUTUBE

Nikolas Pulka

Nom : Nikolas Pulka
Discipline : arts du cirque
Âge : 28 ans
Originaire de : Kourou, en Guyane française
Vit en camionnette depuis : l’été 2020
Véhicule : Daily Iveco
A traversé : la Suède
Meilleur souvenir sur la route : une belle traversée entre Stockholm et Göteborg
Pire souvenir sur la route : un déplacement pendant une tempête et des pluies torrentielles à Göteborg. « Conduire dans ces conditions en van, c’est différent, c’était un peu stressant ! »

Consultez le site de The Vagabound Van (en anglais)