Est-ce une blague ? La planète est en pandémie, on compte les morts au quotidien, nos vies sont littéralement arrêtées depuis 11 mois, et nous vous entretenons ici de chocolats, de petits dessous et de mots doux ? Futile, pensez-vous ? Peut-être moins qu’il n’y paraît. Réflexions entourant la Saint-Valentin en ces temps incertains, en quatre temps.

Dure année pour le couple

Tout le monde s’entend : les 11 derniers mois ont été durs, notamment pour les travailleurs de la santé, les jeunes, les personnes seules ou âgées. Mais les couples, aussi (et entre autres !), en ont particulièrement arraché. Et c’est loin d’être terminé. Pas facile de vivre en vase clos et au quotidien avec quelqu’un, matin, midi et soir, sans en venir à s’irriter (au mieux) ou à s’entretuer (au pire). Sans échappatoires de surcroît. Un sondage Ipsos, rendu public par le New York Times, confirmait l’été dernier qu’un couple américain sur dix (marié ou non) songeait « très certainement » à se séparer, qu’un couple sur cinq affirmait vivre davantage de conflits, et que 30 % se sentaient aussi plus frustrés contre leur partenaire.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

« Dans mon bureau, personne ne m’a parlé de la Saint-Valentin », affirme la sexologue clinicienne et psychothérapeute Sylvie Lavallée.

S’il n’y a pas eu, sauf erreur, d’enquête du genre faite ici, reste que tous les experts interrogés le confirment : la pandémie a mis bien des couples en mode survie. « Dans mon bureau, personne ne m’a parlé de la Saint-Valentin », affirme la sexologue clinicienne et psychothérapeute Sylvie Lavallée, qui constate que plusieurs vivent plutôt « au jour le jour » (de la marmotte), à « continuer de s’adapter » aux changements incessants qui leur sont imposés. Et Dieu sait s’il y en a. Dans ce contexte (de stress), le couple est loin d’être la priorité (en confirme la tendance au « mou » ou au « juste assez », comme l’a baptisée la thérapeute, sonnant ici le glas de la séduction et des bas de nylon), et la Saint-Valentin arrive bien loin dans les priorités.

De l’importance des rituels

N’empêche. S’il y a une chose qui compte dans un couple, qui le nourrit et contribue à sa survie, ce sont bien les rituels, tous ces petits gestes et autres attentions à la fois routiniers et chers. Des moments particuliers et « essentiels » qui confèrent au couple son caractère « sacré », avance même la thérapeute de renommée internationale Esther Perel, qui les définit comme suit : « les rituels sont ce qui sépare l’ordinaire et le mondain de quelque chose de supérieur ».

> Écoutez Esther Perel en entrevue avec le New Yorker (en anglais seulement) sur l’art de survivre au confinement

PHOTO FOURNIE PAR NATHALIE PARENT

« Le rituel nourrit tout ce qui est de l’ordre de l’intimité et de la séduction », renchérit Nathalie Parent, psychologue, auteure et formatrice.

« Le rituel nourrit tout ce qui est de l’ordre de l’intimité et de la séduction », renchérit Nathalie Parent, psychologue, auteure et formatrice, qui recommande régulièrement à ses patients de se trouver un instant (idéalement une fois par semaine) pour « prendre un moment ensemble, parler, oui des enfants, mais aussi du couple, créer une intimité ». Certes, cela demande un petit « effort », mais « c’est un investissement ! », insiste-t-elle. Objectif : « créer un réel rapprochement humain d’intimité relationnelle, tenir compte de l’autre, prendre soin de l’autre ». Quelque chose qu’on a peut-être un peu négligé dans les derniers temps.

À ce titre, les couples qui vont plutôt bien ces jours-ci (parce qu’il y en a, certains ayant même profité de la pandémie pour se rapprocher) sont précisément ceux qui « priorisent leur relation ». Retenez leur règle : « parlez moins, écoutez plus », a résumé à ce sujet la sexologue et thérapeute familiale américaine Diana Wiley (qui vient de publier Love in the Time of Corona), en entrevue à CNN.

La Saint-Valentin, un « doux » rituel ?

Dans les circonstances, ne serait-il donc pas particulièrement important de souligner ce 14 février, plus que tout autre, cette année ? Question d’« élever » le quotidien (pour reprendre la métaphore d’Esther Perel), en donnant un petit peu d’amour au couple ? « C’est un angle intéressant, acquiesce Nathalie Parent. Ce pourrait être le moment pour se dire : ce n’est pas commercial, c’est un moment qu’on se donne […], juste pour le couple. On a beaucoup pensé à l’entourage, aux enfants, là, on prend soin du couple. »

Elle suggère ce faisant (que ce soit pendant la sieste des enfants, après le coucher, selon les disponibilités et la créativité de chacun) de se poser quelques questions : qu’est-ce qu’on veut comme couple, qu’est-ce qu’on aimait faire avant la pandémie ? « On peut se rappeler de bons souvenirs, et même rêver au prochain voyage ! Juste ça, ça fait du bien, et ça a un grand pouvoir sur la santé mentale. » Et pour cela, bonne nouvelle : nul besoin de cadeaux ou de grande sortie au resto.

« La Saint-Valentin peut être un doux rappel pour ceux qui cherchent des rituels pour se dire : célébrons », reprend Sylvie Lavallée, qui publie prochainement un livre sur l’art de maintenir le couple vivant (Désirez-vous désirer, chez Robert Laffont). « C’est un doux et heureux rappel », sorte de « mise à jour », question de donner un « deuxième souffle » au couple. Un souffle qui tombe à pic, en ces temps incertains, c’est évident.

Pour ce faire, outre les petites attentions et quelques questions à se poser (pourquoi je l’aime, pourquoi je choisirais encore cette personne, comment je peux être un meilleur partenaire, suggère la thérapeute), osez les talons (ou n’importe quoi pour sortir du mou !) et sortez une bonne bouteille, dit-elle. En un mot : « Prenez soin de votre intimité, prenez le temps, doucement, de vous regarder, de vous embrasser, ça a l’air tellement niaiseux, mais c’est fondamental. Et si vous saviez à quel point les gens se regardent sans se voir. » L’idée ? « Revenir dans nos corps, alors que là, on est tellement dans nos têtes… » Oublions un instant le reste (oui, tout le reste), quoi, et concentrons-nous sur le « nous ». « Créons une parenthèse dans le temps. »

Et après ?

Certes, tout cela est très beau, mais si cette « parenthèse » se limite à cela, à cette journée imposée au calendrier et figée dans le temps, ça ne suffit pas. Tous les intervenants interrogés ici s’entendent : ne se donner du temps et ne prendre soin de l’autre qu’une seule journée par année ne fera pas un couple bien fort. Et c’est un euphémisme. Même une évidence. « Les rituels sont très importants au sein d’un couple. Et la Saint-Valentin peut être un des rituels, nuance François St Père, psychologue spécialisé en thérapie de couple. Il y a les rituels d’accueil, de départ, qui sont effectivement très importants, les bisous, bonjour, comment a été ta journée. Et la Saint-Valentin peut faire partie, pour certains couples, d’un de ces rituels. Mais c’est sûr que ça n’est pas suffisant. »

PHOTO FOURNIE PAR FRANÇOIS ST PÈRE

« L’amour, c’est un ensemble de petits gestes au quotidien, dit François St Père, psychologue spécialisé en thérapie de couple. Pas 12 roses [à la Saint-Valentin]… »

En clair, si vous ne saluez jamais votre conjoint, ne prononcez pas davantage de compliments, bref si vous ne faites pas preuve du moindre investissement, « si la Saint-Valentin est célébrée, mais qu’avant et après, il n’y a pas grand-chose, ça n’a pas grande valeur ». Parce que si votre couple vous tient à cœur, c’est tous les jours qu’il faut l’entretenir. Un véritable enjeu au quotidien, c’est certain. D’autant plus en temps de pandémie. « L’amour, c’est un ensemble de petits gestes au quotidien, dit le psychologue. Pas 12 roses [à la Saint-Valentin]… »