Douaa Kachache est enseignante d’anglais dans une école secondaire de la Rive-Sud, mais quand des élèves la reconnaissent dans les corridors, elle devient parfois « la fille de TikTok ». Pour cette prof qui ne se prend pas au sérieux, le succès sur le réseau social prisé des jeunes est arrivé comme un accident.

À 29 ans, Douaa Kachache entendait surtout parler de TikTok par ses élèves. C’était jusqu’à ce que le confinement arrive, au printemps, et qu’elle entreprenne de faire ses propres vidéos pour passer le temps.

« J’ai eu l’idée de faire un petit gag sur la façon dont nous sommes, les Maghrébins, par rapport à la culture québécoise. Je me suis réveillée le lendemain matin et les gens partageaient ma vidéo », relate Mme Kachache.

Dans cette vidéo, la femme d’origine marocaine rit du fait que des amis qui viennent chez elle pour la première fois se pâment devant la nourriture qu’on leur sert, quelle qu’elle soit. « C’est bon, ça, c’est-tu marocain ? », demande une femme au fort accent québécois en mangeant avec appétit. « Non, c’est juste de la lasagne », répond une Douaa Kachache désabusée.

Plus de 50 000 fans

Au cours des derniers mois, l’enseignante dit avoir compris « la patente » qu’est TikTok et accumule les abonnés. Ils sont plus de 50 000 à la suivre sur le réseau social et à regarder ses courts sketches, dans lesquels elle tient tous les rôles et se moque souvent des codes culturels, des différences entre les jeunes élevés dans des familles « de souche » et ceux qui ont des racines d’ailleurs.

C’est souvent sa mère qui en fait les frais, imitée en train de dépasser une longue file d’attente au comptoir d’un Adonis ou lancée dans une conversation téléphonique sur les rigueurs de l’hiver avec « Mehdi de Bell », un sous-traitant qui reçoit les appels des clients à partir du « bled », Casablanca.

Douaa Kachache observe que ceux qui regardent ses vidéos ont souvent des parcours semblables au sien. « C’est beaucoup des jeunes d’ethnies différentes, qui vivent la même réalité que moi quand je joue l’Arabe. Il y a des Maghrébins, mais aussi des Africains de partout, des Belges, des Français, des gens qui ne sont pas des Québécois de souche, si on peut le dire comme ça », explique Douaa Kachache, qui a grandi au Québec.

Ça veut dire quoi, être un jeune d’origine arabe au Québec ?

Je suis portée à dire que les mamans qui sont arrivées ici et qui ont dû ramer plus que d’autres, comme ma mère qui a travaillé dans trois ou quatre restaurants avant de trouver dans son domaine, sont un peu plus surprotectrices avec leurs enfants.

Douaa Kachache

« Elles ne veulent pas que l’on connaisse les mêmes difficultés et souhaitent garder des valeurs culturelles qui les définissent. C’est très identitaire », explique l’enseignante-humoriste.

Et sa mère, que pense-t-elle d’être ainsi érigée en personnage ? « Au départ, je lui cachais les vidéos. Mais quand la deuxième a bien marché, je lui ai dit : ‟Maman, je pense que le monde te trouve drôle.” Maintenant, elle est abonnée à moi et me donne même des idées ! Elle sait que c’est une caricature », explique Douaa Kachache.

Cette mère est peut-être aussi une mère universelle. « Je viens d’une famille 100 % québécoise, mais plus j’écoute tes vidéos, plus je me demande si ma mère n’est pas arabe », a commenté une utilisatrice.

Savoir rire des clichés

Douaa Kachache dit qu’elle ne consomme pas le type d’humour qu’elle fait elle-même sur TikTok, mais qu’elle continue à le faire parce qu’elle sent qu’elle touche une frange de jeunes qui se reconnaît dans son parcours.

« Je pense qu’au Québec, les humoristes maghrébins hésitent à aller dans ces sujets-là. Certains pourraient dire que ce sont des clichés, mais ce sont des situations réelles et je pense qu’il faut savoir rire du cliché. Je me permets de le faire parce que je suis Québécoise et Marocaine. Je sais de quoi je parle », dit Douaa Kachache.

Elle souhaite qu’à terme, ces vidéos lui servent de tremplin pour aller un peu plus loin en humour. « On m’a dit que je devrais faire une websérie. J’aimerais vraiment ça parce que je trouve qu’il manque énormément d’humoristes filles et que je pourrais apporter quelque chose aux jeunes », dit l’enseignante.

Pour le moment, son travail principal reste l’enseignement de l’anglais langue seconde, et Douaa Kachache n’avait pas tant confié à ses collègues qu’elle faisait des vidéos sur le réseau social de l’heure. Mais certains – dont la directrice – ont des enfants qui la connaissent, donc le message s’est passé…

Quant aux jeunes qu’elle côtoie, elle trouve en eux une source d’inspiration. « J’ai hésité au début à les mettre en scène, j’ai pensé à l’éthique et au professionnalisme. Est-ce que ça serait rire de mes élèves ? Mais ils se reconnaissent et ils ont beaucoup d’autodérision », dit l’enseignante. Comme la mère de Douaa Kachache, ils savent, eux aussi, rire de leurs travers.

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