L’amour arrive souvent quand on ne l’attend pas.

Louise Cadieux ne l’espérait plus depuis longtemps. À vrai dire, quand elle entendait parler de personnes âgées qui tombaient amoureuses, ça la faisait rire. Elle n’y croyait pas.

Divorcée depuis plus de 20 ans, cette bibliothécaire à la retraite menait une vie tranquille dans une résidence pour personnes âgées de Mont-Royal. Elle apprenait à apprivoiser son fauteuil roulant, gracieuseté d’un accident vasculaire cérébral survenu l’année précédente.

Bref, Louise n’était pas du tout en mode séduction quand elle a fait la connaissance de Gordon, au printemps 2016, lors d’une petite réception organisée à la résidence. Gordon venait d’emménager à la résidence après avoir quitté la Colombie-Britannique pour se rapprocher de sa fille, à Montréal.

« J’ai vu qu’il était tout seul, se souvient Louise, 89 ans. J’avais vécu la même chose un an plus tôt. Je savais ce que c’était, être la première arrivée quand on ne connaît personne. Je l’ai invité à la table. » Dans les jours qui ont suivi, Louise et les femmes de son petit groupe ont continué d’inviter Gordon à leur table, dans la salle à manger.

La « méthode Gordon »

Gordon et Louise prenaient plaisir à discuter. Louise voulait entendre parler Gordon des régions où son travail pour le gouvernement fédéral l’a mené. « L’Orient-Express que tu as pris de Moscou à Paris, ça m’avait fait rêver », confie Louise, qui a tellement aimé voyager quand son corps le lui permettait.

Gordon poussait le fauteuil de Louise dans la résidence. « Je la regardais dans son fauteuil et je voulais l’aider, dit Gordon, 92 ans, qui s’exprime surtout en anglais. Elle n’avait pas besoin d’aide, mais moi, j’avais besoin de l’aider. Elle m’impressionnait. Moi, quand j’ai des problèmes, j’ai du ressentiment ; elle, elle voit les siens comme des obstacles à surmonter. C’était bon pour moi. »

Presque tous les jours, Gordon amenait Louise au parc, où ils s’assoyaient côte à côte, parlaient de tout et de rien, riaient, écoutaient les oiseaux chanter. Gordon la complimentait sur le bleu de ses yeux. La « méthode Gordon », comme le dit Louise, l’a fait chavirer. A-t-elle ressenti des papillons ? « À la longue, oui. Oh ! oui… »

Je me sentais comme… je ne devrais pas dire ça, mais… j’étais transportée. En amour. Comme à 20 ans.

Louise Cadieux, 89 ans

« Je voulais être à ses côtés, enchaîne Gordon. Chaque matin, j’avais hâte de la voir, hâte de lui parler. On passait nos soirées ensemble. Je me sens relax quand je suis avec elle. » Louise lui sourit : « Moi aussi, je me sens très relax quand il est là. »

L’instant présent

Chaque matin, Gordon écrit un courriel à Louise, l’appelle vers 9 h, puis vient la rejoindre pour dîner. Il lui apporte des bleuets, des concombres, des petites tomates.

Après la sieste (chacun chez soi), ils se retrouvent et passent la soirée ensemble, parfois à l’activité bingo, mais bien souvent chez Louise, côte à côte sur le canapé. Ils discutent d’histoire, écoutent de la musique baroque, regardent des documentaires ou des matchs de tennis à la télévision. Vers 21 h, Gordon retourne chez lui.

S’ils sont discrets en public, on devine leur intimité pleine de tendresse. « On a besoin de se caresser, d’être près de l’autre, de sentir que l’autre est bien », confie Louise.

« À présent, dit-elle, ce serait difficile de se passer l’un de l’autre. »

C’est inévitable : oui, ils pensent à l’avenir et à ce qu’il adviendra de leur couple si l’un d’eux tombe malade ou perd son autonomie. Déjà, Gordon se sent moins solide qu’avant. « Ça me rend heureux de faire des choses pour elle, mais je suis de plus en plus incapable de le faire, se désole-t-il. Je perds tranquillement mon équilibre. Jusqu’à récemment, je n’avais pas besoin de marchette. Maintenant, c’est rendu confortable pour moi de pousser son fauteuil roulant. Ça m’aide. Et ça me dérange. Je ne peux en faire plus. »

Louise le regarde. « Je lui dis toujours qu’il y a toujours un deuxième choix. Quand il ne pourra plus me pousser, il va se pousser lui-même. Et je suis capable quand je suis toute seule. On va changer nos habitudes. »

« Hum hum », laisse tomber Gordon, signe qu’il en est conscient, mais que ça ne fait pas son affaire de perdre ce rôle qu’il a auprès d’elle. Le couple rit doucement.

« Moi, j’ai évalué toutes les sortes d’arrêts de notre relation, dit Louise. Je sais que, pour moi, ça va finir dans les larmes si ça vient de ce côté. Mais je me dis que c’est ça que je veux vivre. Et en attendant, c’est beau. »

« Parfois, rappelle Gordon, c’est mieux de vivre le jour présent et de ne pas s’en faire pour l’avenir. Parce qu’on ne peut pas faire grand-chose par rapport à l’avenir. Il faut profiter de la journée. »

On leur souhaite encore des milliers de journées ensemble.