Réaction normale à une menace réelle pour certains, l’écoanxiété fait néanmoins son entrée dans les bureaux des psychologues. Elle-même préoccupée par la crise environnementale, la psychologue Karine St-Jean publie Apprivoiser l’écoanxiété, premier livre sur ce sujet à voir le jour au Québec.

Stress, inquiétude, colère, impuissance, tristesse sont des réactions normales lorsque nous constatons l’état actuel de la planète, observe Karine St-Jean, psychologue à la clinique Mindspace à Montréal. Comment utiliser ces émotions pour passer à l’action ? C’est le cœur de la démarche proposée dans son livre.

Comment peut-on définir l’écoanxiété ?

C’est un terme un peu fourre-tout. On l’utilise à toutes sortes de sauces. Mais dans sa version stricte, c’est cette idée de peur chronique de désastre environnemental. C’est la définition retenue par l’Association américaine de psychiatrie. On l’utilise aussi pour refléter ce qui se passe quand on devient conscient de la crise environnementale. Ça prend toutes sortes de formes, ça peut être des préoccupations par rapport aux changements climatiques, à ce qui s’en vient.

Donc, le terme est plus large que l’anxiété au sens clinique ?

Oui. Il n’y a pas beaucoup de recherches encore sur le sujet, alors on ne sait pas trop si, dans sa forme la plus intense, l’écoanxiété, ça ne serait pas juste une forme d’anxiété généralisée qui aurait pour thème plus spécifique la crise environnementale. La distinction n’est pas claire. Mais quand on écoute les gens rapporter ce qu’ils vivent, c’est beaucoup plus large que l’anxiété au sens clinique du terme.

À quel moment doit-on s’interroger sur la façon dont ça nous affecte et envisager d’aller chercher de l’aide psychologique ?

Selon ce qu’on observe, c’est l’impact sur notre bien-être et sur notre fonctionnement qui serait le facteur déterminant. D’avoir des préoccupations pour l’environnement, je pense que c’est sain. Mais si les écoémotions qu’on vit deviennent plus intenses et prennent beaucoup de place, et qu’éventuellement, ça affecte notre capacité de concentration, notre sommeil, notre capacité d’être en relation avec les autres et de fonctionner au quotidien, ça peut valoir la peine de consulter.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Karine St-Jean, psychologue à la clinique Mindspace à Montréal

Dans votre pratique, est-ce une réalité que vous rencontrez de plus en plus ?

De plus en plus serait le terme juste. Au début, les gens me consultaient pour toutes sortes d’autres histoires, et l’environnement faisait partie des préoccupations que les gens avaient. Mais de plus en plus, il y a des gens qui commencent à consulter pour ça, parce qu’ils ont de la difficulté à composer avec et à apprivoiser leurs écoémotions et leur écoanxiété.

Vous avez vous-même dû apprendre à vivre avec ces émotions. Quels conseils donnez-vous aux gens ?

L’idée est de trouver son propre équilibre entre prendre soin de son bien-être, donc de sa santé psychologique, et prendre soin de la planète, parce que les deux sont indissociables. On est face à un problème réel. De juste apprivoiser nos émotions et de devenir un peu plus habile à composer avec le fonctionnement de notre cerveau, ce n’est pas suffisant. Il faut canaliser nos énergies dans des actions qui vont nous permettre de sentir que l’on contribue à réduire un peu le problème.

Vous expliquez que, pour comprendre la complexité du monde dans lequel nous vivons, le cerveau a créé des raccourcis intellectuels qu’on appelle « biais cognitifs ». Comment ces biais cognitifs peuvent-ils amplifier l’écoanxiété ?

Le sujet de l’environnement et de la crise climatique est vraiment complexe. Pour traiter ce volume d’informations, le cerveau utilise toutes sortes de biais, que ce soit cette tendance à aller chercher de l’information qui vient confirmer ce qu’on sait déjà ou à retenir l’information qui semble la plus spectaculaire. Par exemple, si je suis convaincue qu’on s’en va vers une catastrophe majeure, il est possible que ce qui va retenir mon attention, ce soient les nouvelles au sujet des catastrophes environnementales. Je vais confirmer la croyance que j’ai que la planète est nécessairement vouée à une catastrophe, ce qui va faire en sorte que je vais vivre de l’anxiété. Et en devenant sensible à ce type d’information, il se peut que je fasse le choix, plus ou moins conscient, d’ignorer les informations qui parlent d’individus ou de groupes qui ont un impact positif sur la planète.

Le fait que l’écoanxiété soit une réponse à une menace réelle pose-t-il un défi plus grand ?

Considérant l’ampleur du défi, oui. Généralement, quand on est face à une menace réelle, le cerveau répond très bien. On va s’orienter vers la résolution de problème et trouver une solution. La crise environnementale, c’est une menace qui est diffuse, qui n’est pas toujours très proche de nous. C’est tellement vaste qu’on peut avoir vite l’impression qu’il n’y a pas grand-chose qu’on peut faire pour avoir un impact réel. Ça fait en sorte que la charge émotive qu’on peut vivre va être un peu plus lourde. D’où l’importance de canaliser cette énergie-là en action. Ça va aider à apaiser cette anxiété.

Vous êtes enseignante de pleine conscience. Comment cette technique peut-elle aider, justement, à apaiser l’écoanxiété ?

Paradoxalement, avoir une conscience claire et lucide de ce qui se passe peut nous amener à porter cette écoanxiété. La pleine conscience est une des façons de devenir présent à soi et à l’impact qu’on a. Parce qu’on devient habile à sentir ce qui se passe à l’intérieur de nous, on a plus d’espace pour penser à comment on s’ajuste. La pleine conscience nous amène aussi à être présent à ce qui se passe à travers nos cinq sens. La beauté du coucher de soleil, le plaisir d’entendre la neige qui crisse sous nos pas… Cela nous amène à sentir la connexion qu’on a avec la Terre. Plus cette connexion est forte, plus nous serons enclin à prendre soin de la planète. C’est une autre façon de prendre soin de son écoanxiété.

Avoir une plus grande connexion avec la Terre ne risque-t-il pas plutôt d’amplifier le stress face à la crise climatique ?

Oui. C’est l’effet négatif de la pleine conscience. Mais c’est comme si on venait juste mettre en lumière ce qu’on sait déjà. Pour les gens qui sont préoccupés par la crise environnementale, on le sait qu’on est connectés à la Terre, on le sait que c’est précieux.

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Apprivoiser l’écoanxiété, de Karine St-Jean

Apprivoiser l’écoanxiété. Karine St-Jean. Éditions de l’Homme. 304 pages.