Alors que beaucoup de gens se méfient et pensent se désabonner de Facebook, pour Denise Albert, née avec la paralysie cérébrale, ce réseau social a tout changé.

Si vous discutez avec Denise Albert par écrit, vous ne devinez jamais qu’elle ne peut parler. En fait, elle n’a jamais eu l’usage de la parole. Née avec la paralysie cérébrale, aînée d’une famille de quatre enfants qui a vécu au Nouveau-Brunswick et à Sept-Îles, elle a quitté sa famille pour aller vivre dans un foyer pour apprendre à lire et à écrire, de même que conquérir son indépendance.

Pendant un temps, sa seule façon de communiquer était avec un tableau inspiré de la méthode Bliss, qui propose un tableau de symboles.

Mais tout a changé quand, en 1989, elle a suivi un cours d’informatique et qu’ensuite est arrivé l’internet. Au début, elle tapait sur son clavier avec un appareil licorne placé sur sa tête.

Le jour où elle a été branchée est inscrit en lettres de feu dans sa vie : le 20 mars 1997, « vers 20 h », précise-t-elle dans un témoignage écrit. À l’époque, elle avait téléchargé le programme ICQ, qui lui permettait de clavarder avec sa famille un peu dispersée, dont certains se sont connectés après elle. C’est avec sa sœur qu’elle a eu son premier clavardage. « JE POUVAIS ENFIN PARLER COMME TOUT LE MONDE ! », écrit-elle en lettres capitales. « En lui parlant, j’ai eu tellement chaud que mes cheveux étaient tout mouillés ainsi que mon front. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Un clavier spécial permet à Denise Albert d’écrire, et ainsi de garder le contact avec ses proches.

On peine à imaginer ce que cela a dû représenter pour Denise de pouvoir pour la première fois échanger en direct avec quelqu’un sans obstacle, mais aussi en privé.

Une vie extérieure

Avec le temps, Facebook et Skype ont pris le relais dans ses outils de communication. Denise Albert clavarde tous les jours avec différentes personnes. Ce qui lui a permis d’agrandir son réseau amical. En plus de sa famille, elle a dans ses amis des employés et ex-employés des centres où elle a vécu, des bénévoles, et quelques amis de ces amis qui l’ont découverte justement par Facebook. 

Nous sommes allés lui rendre visite au CHSLD Benjamin-Victor-Rousselot, dans l’est de Montréal. Dans sa petite chambre, son ordinateur occupe une place centrale et son écran est énorme, rempli de photos des gens qu’elle aime. En personne, Denise s’exprime avec un tableau qui affiche les mots et les verbes les plus usuels. Cela peut être long et laborieux, quand sa main tremble et ne pointe pas le bon mot. Elle perd patience parfois quand les gens ne la comprennent pas. Sur ce tableau, il y a deux phrases complètes qui nous font sourire : « Vous pouvez me répondre avec vos mots en me parlant normalement » et « Je suis intelligente et je ne suis pas sourde ». Si Denise vous pointe ça, il est temps de changer d’attitude envers elle.

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Pour communiquer avec les gens en personne, Denise utilise 
un tableau qui contient les mots et les verbes les plus courants.

« Elle a du caractère », nous confie Yvon Perron, qui s’occupe de Denise Albert comme bénévole depuis quelques années. Ils clavardent tous les jours, ce qui permet à Denise de confier ses joies, ses peines, ses frustrations, et aussi d’écrire quelques courses qu’Yvon peut faire pour elle. Il confirme que Facebook a changé son existence.

« Mon Dieu, c’est son ouverture sur le monde, c’est la plus grande invention qu’elle a pu vivre dans sa vie. Elle communique avec tout le monde, sans contrainte, car en personne c’est beaucoup plus ardu. Moi, je la devine, car je la connais depuis longtemps, mais elle ne peut pas faire ça avec tout le monde. »

Elle préfère même communiquer avec Messenger sur Facebook plutôt que de sonner une cloche lorsqu’elle a besoin de quelque chose, dit-il. « Elle a une vie sociale à l’extérieur de l’hôpital, elle a l’impression que sonner et attendre, c’est être dans le système. » Nous croisons Luc Laverdière, un employé d’entretien, qui est aussi un ami Facebook. Il aime la taquiner en l’appelant Speedy Gonzalez, parce qu’elle est l’exact contraire de la rapidité. « Quand elle a besoin de quelque chose, qu’elle a un problème avec sa télé ou une fenêtre, par exemple, elle m’écrit par Messenger, ça va plus vite. »

La franchise incarnée

Denise Albert, qui aura 65 ans le 3 juin, a presque toujours vécu dans des CHSLD avec des personnes âgées, dont bon nombre sont touchées par divers maux qui les empêchent de communiquer (alzheimer, démence, etc.). Il y a 152 personnes en ce moment à Benjamin-Victor-Rousselot, nous précise Lison Lescarbeau, conseillère aux communications au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. « Environ un tiers utilisent l’internet. »

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En pointant mots et verbes, Denise Albert peut dire ce dont elle a besoin. Mais elle peut bien mieux s’exprimer par écrit, sur son ordinateur.

On demande à Denise pourquoi elle n’a pas préféré des centres adaptés pour sa condition, avec des gens de son âge. « Il y a un peu de drogue et j’aime être tranquille », nous écrit-elle. Bref, c’est un peu trop rock’n’roll ? « Exactement. »

C’est cette franchise qu’on aime bien de Denise. Disons qu’elle n’a pas le temps de niaiser et que son handicap ne lui donne pas le loisir d’écrire de longues tartines — ce qu’elle veut, c’est dialoguer. Elle écrit le plus vite qu’elle peut — et c’est assez rapide, finalement — sur un clavier adapté avec des lettres agrandies. Mais ce clavier bloque souvent, à son grand dam, elle en recevra bientôt un nouveau. On le lui souhaite, en tout cas, pour son anniversaire. C’est essentiel à sa qualité de vie.

Elle nous explique qu’elle est devant son écran de 9 h 30 au dîner, et ensuite de 15 h 20 à 19 h. « Je lis chaque matin les nouvelles et je vais sur plusieurs sites [Facebook, TVA Nouvelles, TV Hebdo et des sites de rattrapage]. J’envoie beaucoup de cartes et de courriels. Je parle avec ma famille sans obstacle causé par mon handicap. C’est vraiment formidable ! »

Denise Albert a beaucoup d’humour. Sur sa page Facebook, son descriptif se lit ainsi : « Je conduis manuellement. » Elle adore vraiment faire des blagues à ses amies Facebook, mais comme elle est très bonne en informatique, elle les aide aussi à résoudre des bogues. Et comme tout le monde, elle déteste les pannes de ses sites préférés. « Je capote et je m’ennuie terriblement. »

Dans ses statuts Facebook, elle est tout autant d’une grande honnêteté, racontant ses bonnes et ses moins bonnes journées. Ce qui nous fascine est que, sachant à quel point les apparences sont reines dans le monde virtuel, Denise Albert n’ait jamais caché son handicap ou utilisé une fausse photo de profil. « Tout mon monde me connaît comme une personne ayant un handicap, alors pourquoi le cacher ? Pour mes photos, ceux qui ne m’aiment pas telle que je suis, ils ont juste à m’enlever. »

Franche et directe, qu’on vous disait.