Rien ne sert de courir. Jean de La Fontaine l’avait compris en 1668, mais trois siècles et demi plus tard, on court toujours. Après quoi ? C’est ce que se demande l’humoriste et chroniqueuse Léa Stréliski dans son premier livre, La vie n’est pas une course, écrit alors qu’elle traversait une période sombre.

« Tout le monde court, mais je pense qu’on n’est pas trop sûrs après quoi, croit Léa Stréliski. Le concept de La vie n’est pas une course est double parce que, dans une course, il faut que tu coures et, en plus, il faut que quelqu’un gagne. Ça veut dire que c’est une compétition. »

La compétition de la plus grande carrière, de la vie de couple la plus épanouie, de qui s’amuse le plus en famille aux pommes sur les réseaux sociaux. Et pour une humoriste : la pression de faire rire, de présenter des spectacles et de vendre des billets. Mais, ce n’est pas parce qu’on gagne sa vie en faisant rire les autres qu’on est forcément heureux. Parfois, le clown est triste.

Par l’entremise de quelques clins d’œil humoristiques, celle qui est aussi chroniqueuse invitée à La Presse plonge dans l’intime et révèle qu’elle est aux prises avec la dépression, l’anxiété, le trac et le sentiment d’être inadéquate depuis qu’elle est toute petite. Les derniers mois ont été difficiles. Elle a rompu avec l’agence qui la représentait, ne se reconnaissant pas dans le moule dans lequel on lui demandait d’entrer. 

Je me suis mise à faire de la course. Je déteste courir. C’est très difficile. Mais pour la première fois de ma vie, je me suis dit : je vais courir vraiment lentement. Ça m’a fait du bien.

Léa Stréliski

Puis, un deuxième déclic : une prise de conscience qu’elle laissait souvent gagner ses voix négatives intérieures. C’est une discussion avec un utilisateur de Twitter qui a agi comme bougie d’allumage. Il l’a insultée, elle a répondu, puis a eu honte. Elle a eu peur de montrer qu’elle n’est pas celle que rien n’atteint. « Je me suis rendu compte que si je ne suis pas capable de me défendre contre lui, ça veut dire que je ne me défends jamais. Et j’ai vu comment je me faisais marcher dessus par la dépression et les voix négatives. No more. Je me suis mise à me battre. »

Finies les matinées entières passées sur les réseaux sociaux, le ventre vide et la tasse de café pleine. « Quand je parle d’hygiène mentale dans le livre, j’étais pourrie. Je ne m’occupais pas de moi. J’étais une maman [elle a trois enfants], je m’occupais des autres. »

IMAGE FOURNIE PAR QUÉBEC AMÉRIQUE

La vie n’est pas une course, de Léa Stréliski

Se « ploguer » sur l’essentiel

Mais comment avoir une bonne hygiène mentale ? Elle déplore que cela soit très peu enseigné, contrairement à l’hygiène corporelle ou aux saines habitudes alimentaires. « Je me suis dit : je vais faire tout l’inverse de ce que la dépression aime. La voix négative dans sa tête qui fait que l’on se hait adore que l’on passe plein de temps sur les réseaux sociaux et que l’on boive du café au lieu de manger. Elle hait que l’on aime son mari, ses enfants, sa maison, tout ce qui nous rend heureuse. »

Elle a (notamment) enlevé toutes les applications de réseaux sociaux sur son téléphone. « Ça rajoute énormément de choses que l’on fait dans sa journée qui sont non seulement inutiles, mais aussi toxiques, constate-t-elle. C’est une drogue. » 

Comment fait-on pour en arriver à ne pas courir ? Il faut que l’on se plogue sur l’essentiel et que l’on regarde ce qui nous bouffe du temps et de l’espace mental et qui n’est pas nécessaire.

Léa Stréliski

Léa Stréliski, nouvelle gourou du bien-être ? « Non ! Mon livre, ce n’est vraiment pas une recette. C’est un constat de choses qu’on fait, sur ma santé mentale, par où je suis passée. Vingt chapitres, vingt portraits de choses dans l’air du temps, de choses qui nous stressent. »

Des choses un peu taboues aussi, comme sa relation difficile avec sa mère et la correspondance virtuelle qu’elle a entretenue avec un homme qui n’était pas son mari. Craint-elle d’être allée trop loin dans le côté intime ? « Ça ne me fait pas peur, dans la mesure où je sais que ce que je raconte n’est pas rare, répond-elle. Il y a beaucoup de femmes qui ont des relations difficiles avec leur maman et beaucoup de gens qui finissent par être attirés par quelqu’un d’autre et qui se mettent à écrire dans le monde virtuel à cette personne, et ça devient le fun. Plutôt que de nous faire dire de sortir les poubelles, il y a quelqu’un qui nous admire. Ce n’est tellement pas rare, mais je sais que ces deux choses-là sont taboues. C’est pour ça que je l’ai écrit. Mais, c’est mon premier livre. » 

Un livre qu’elle ne pensait pas écrire avant l’âge de 60 ans. « Finalement, j’ai 30 ans d’avance. Même en marchant », écrit-elle dans ses remerciements.

La vie n’est pas une course, Léa Stréliski, Québec Amérique, 120 pages.