Les femmes viennent de Vénus et les hommes de Mars. Homme au volant, homme dans le champ. La fée du logis jongle avec ses nombreuses tâches. Les archétypes des différences entre cerveaux féminin etmasculin sont légion. Des chercheurs s’insurgent contre ce « neurosexisme ».

La question du multitâche

Patricia Hirsch voulait en avoir le cœur net : les femmes sont-elles vraiment meilleures que les hommes pour accomplir plusieurs tâches en même temps ? Elle a donc limité au minimum le défi (avec deux tâches simples en alternance), pour évaluer le degré zéro du multitâche. Son verdict : il n’y a pas de différence entre les sexes sur ce point. « Le stéréotype est tenace, mais les études vont d’un bord et de l’autre », explique la psychologue de l’Université d’Aix-la-Chapelle, près de Cologne, qui est l’auteure principale de l’étude publiée en août dans la revue PLOS One. « Dans certains cas, il y avait d’autres capacités que le passage d’une tâche à une autre en jeu dans la comparaison, notamment la gestion du temps, la mémoire ou l’attention. » Pourquoi ne pas tenir compte de la gestion du temps ? « Ce n’est pas à strictement parler une tâche cognitive, dit Mme Hirsch. Cela dit, sur ce point aussi, certaines études trouvent des différences entre hommes et femmes, d’autres non. » Pour réduire encore davantage la marge d’erreur, les deux tâches de l’étude étaient de catégoriser des lettres et des chiffres. « Certaines études ont utilisé des stimuli bivalents, par exemple classer des lettres dans l’ordre et ensuite les classer selon qu’elles étaient des voyelles ou des consonnes. Des stimuli monovalents, classer soit des lettres, soit des chiffres, constituent un changement de tâche plus simple sur le plan cognitif, l’inhibition joue un rôle moins important. Nous voulions étudier le multitâche sur le plan cognitif, pas sur le plan du contrôle de l’inhibition. » Mme Hirsch veut maintenant étudier les différences entre les sexes en ce qui touche la production et la compréhension du langage, là encore en limitant le plus possible la comparaison au domaine cognitif.

Le « mythe » du « neurosexisme »

Cet été est paru un livre sur les différences entre les cerveaux féminin et masculin. Dans Gender and Our Brains, la neuropsychologue britannique Gina Rippon s’insurge contre le « mythe » du « neurosexisme ». « Au fil des années, j’ai pu voir à quel point les médias et la population comprenaient mal les études sur ce sujet », explique Mme Rippon en entrevue depuis l’Université Aston à Birmingham. « Mes recherches portent sur les problèmes de développement comme l’autisme. Je suis bien au fait des stéréotypes colportés sur les cerveaux des deux sexes. » Y a-t-il des domaines où il est encore possible qu’il y ait des différences entre hommes et femmes ? « L’agression. C’est très probable qu’il y ait une différence, vu que 95 % des détenus dans les prisons sont des hommes. En matière de problèmes de santé mentale, la dépression et les troubles alimentaires touchent surtout les femmes, le parkinson, surtout les hommes. Mais là encore, il se peut qu’il y ait des causes d’ordre social plutôt qu’uniquement biologique. » Que pense Mme Rippon de la thèse du « cerveau masculin extrême » du spécialiste de l’autisme britannique Simon Baron-Cohen (le cousin de l’humoriste), selon laquelle l’autisme s’explique par une exacerbation des différences entre sexes sur le plan cérébral, les autistes ayant donc un « cerveau masculin extrême » ? « J’aime bien ses efforts de systématisation de l’autisme, dit-elle en riant. Mais je ne suis évidemment pas d’accord avec son insistance que les cerveaux d’hommes et les cerveaux de femmes sont différents. Nous partons des mêmes données, mais arrivons à des conclusions différentes. Je suis sûre que beaucoup de filles autistes n’ont pas eu de diagnostic. »

Aptitudes spatiales

L’une des dimensions des comparaisons entre sexes que voulait éviter Patricia Hirsch dans son étude sur le multitâche est le domaine des « habiletés spatiales ». « D’autres études comparant le passage d’une tâche à une autre chez les hommes et les femmes comprenaient des tâches de représentation spatiale, par exemple se repérer sur une carte, dit la psychologue allemande. Mais il est bien établi qu’il y a des différences entre hommes et femmes à ce sujet. » Gina Rippon en est moins sûre. « L’essentiel des différences sur le plan des habiletés spatiales réside dans les expériences de vie. Ça commence à l’enfance, avec les jouets de construction pour les garçons. Après on a les jeux vidéo, les sports. C’est ce qui crée les différentes habiletés spatiales des hommes et des femmes. » N’y a-t-il pas des études montrant que les garçons réagissent différemment des filles à la capacité de marcher peu après un an ? « Oui, mais la différence est minime, dit Mme Rippon. Il y a plus de ressemblances que de similitudes sur le plan des habiletés motrices en bas âge. C’est l’accumulation des expériences sociales qui finit par créer une différence à l’âge adulte. Quand on dit à un garçon qu’une poupée est un jouet de garçon, il va jouer avec. »

L’influence des hormones

La masse musculaire des hommes peut-elle avoir une influence sur le cerveau ? « C’est une possibilité, reconnaît Mme Rippon. Le cerveau des ados est fascinant, et c’est justement le moment où les différences entre hommes et femmes apparaissent sur le plan musculaire. Ça peut avoir un impact dans les activités des hommes et des femmes. De manière plus générale, le rôle des hormones sexuelles sur le cerveau est encore mal compris. »

Quelques études citées par Gina Rippon

Les études sur la distraction durant la phase prémenstruelle passent sous silence le fait que les femmes ont plutôt une acuité cognitive accrue durant et après l’ovulation, plutôt que des lacunes avant.

Des études sur le lien entre sociabilité et testostérone montrent que durant l’enfance, ce lien est plus fort chez les filles que chez les garçons.

Un livre publié en 2006 par une psychiatre clinicienne américaine, The Female Brain, affirme que la femme moyenne utilise couramment 20 000 mots, contre 7000 mots pour les hommes. Mme Rippon n’a trouvé comme base de cette affirmation qu’une étude britannique concluant qu’en moyenne, les femmes utilisaient couramment 9000 mots et les hommes, 6000 mots.

Une étude américaine a montré que les femmes réussissaient plus ou moins bien à un test d’habiletés spatiales selon qu’on leur avait dit auparavant que les hommes réussissaient mieux que les femmes.