(Londres) Établi à Londres, le Québécois fait rayonner son travail partout sur la planète

Dans l’atelier encombré, un mur est couvert de petites photos éclectiques. Des pieds entourés d’éponges roses. Une pléthore de chaises de bureau. Des souliers de course. Un fauteuil couvert de plumes roses.

C’est de ce remue-méninges visuel que partent plusieurs des idées de Philippe Malouin, un natif de Valleyfield sacré Designer de l’année 2018 par le magazine Wallpaper*, la bible de l’industrie.

Depuis 2008, et un échange étudiant de l’Université de Montréal dont il n’est jamais revenu, le trentenaire fait son chemin dans le monde du design industriel partout sur la planète, à partir de son studio de Londres. À mi-chemin entre les projets commerciaux pour des entreprises manufacturières et des projets artistiques destinés à sa galerie.

PHOTO FOURNIE PAR PHILIPPE MALOUIN

Philippe Malouin

On est bien chanceux. Habituellement, les gens font soit du commercial, soit de l’artistique. Nous, on fait un peu des deux. On fait autant de la vaisselle que de l’art public à Miami. Les deux se parlent beaucoup, ça influence notre travail et notre recherche.

Philippe Malouin

Dans son portfolio, des objets dessinés pour une multitude de clients. Des lignes souvent simples, souvent un seul matériau. Du bois, du béton, de l’acier.

« On essaie de faire le moins de design possible. Ce n’est pas juste du minimalisme : on n’aime pas les grosses courbes, les grosses signatures. On ne veut pas s’inscrire dans la tendance de l’année, ça ne m’intéresse pas du tout, explique le designer industriel. Ce qui nous intéresse, c’est de faire des choses simples avec les meilleurs matériaux possible. Des choses qui vont être belles dans 10 ans. Si tu te colles trop sur les tendances, c’est un objet dont les gens vont se débarrasser d’ici un, deux ou trois ans. »

« On fait des projets très différents »

Un jeudi matin de mai, Philippe Malouin inspecte deux luminaires qu’il a conçus dans le bar de l’hôtel Ace du quartier Shoreditch, dans l’est de la capitale britannique. Ils ont été installés quelques semaines auparavant : de grandes plaques métalliques sur lesquelles serpente un tube de DEL. « Tout fonctionne bien », se réjouit-il.

En rentrant, cinq minutes plus tôt, il avait montré du doigt la poignée extérieure de l’hôtel, en forme de clé Allen : sa création. Dans le bar, des tabourets qui s’empilent en rotation. Eux aussi sont signés Philippe Malouin. Il en a d’ailleurs des dizaines en attente d’expédition dans son studio.

PHOTO PHILIPPE TEISCEIRA-LESSARD, LA PRESSE

Philippe Malouin dans son atelier

« On a des objets en verre qui sortent pour Ittala [un fabricant finlandais], on a des luminaires, on a du meuble, là on fait des chaises de bureau, explique-t-il en sortant de l’hôtel Ace. On est très chanceux, on se fait donner de la latitude par bien des gens, on fait des projets très différents. »

Il se dirige vers l’immeuble où son studio déménagera sous peu. Il vient d’en faire l’acquisition. Un jalon de plus pour l’entreprise, dont la consécration par Wallpaper* a fait exploser la notoriété. Une grande surprise pour le designer de 38 ans. 

Je pensais qu’ils nous avaient mis dans la liste courte pour être gentils, pour montrer qu’ils aimaient aussi les petits. Quand on a gagné, on n’y croyait pas.

Philippe Malouin

Devant le petit bâtiment en rangée, un ancien bureau de poste, Philippe Malouin reçoit un appel du studio. Ses assistants lui envoient des photos d’un produit sur lequel ils font des tests. « Ça n’a pas l’air beau. On y va avec le galvanisé », décide-t-il. « On fait la séance de photos pour [la grande foire artistique] Art Basel demain. Et là, tous les produits sont sortis en retard et il y a des choses de dernière minute qui ne vont pas. »

Dans son nouvel espace, le studio de Philippe Malouin inclura une boutique et des espaces d’exposition. Un endroit plus propice à recevoir des visiteurs que son atelier actuel, dans un bâtiment qui abrite des dizaines d’ateliers d’artistes.

La touche « française »

Avec cet investissement dans le quartier le plus branché de Londres, plus de retour en arrière possible. Valleyfield (« un endroit féérique », rigole-t-il) semble sur une autre planète. Mais c’est en Europe qu’un studio comme le sien peut prospérer, pas ailleurs. Pas à Montréal, mais pas non plus à New York.

Je n’aurais jamais pu avoir la même carrière en Amérique du Nord. Je travaille beaucoup à New York, mais c’est parce que je suis établi ici. Et ils me veulent parce qu’ils pensent que je suis français.

Philippe Malouin

Retour dans son studio actuel. « Ce n’est pas le Taj Mahal », avertit-il. Ses assistants mettent les dernières touches à un téléphone qui s’intégrera à l’installation présentée à Art Basel, en Suisse, début juin, sur le thème du bureau. Ils testent l’appareil. Tout fonctionne. Le téléphone sonne.

L’installation est à contre-courant du travail habituel du designer. Un projet artistique inspiré par le monde du design industriel. Normalement, « le design, ce n’est pas inspirant pour faire d’autres designs. On regarde ailleurs : l’architecture, l’art, le travail expérimental ». Sa participation aux foires artistiques ou d’industrie (il était au Salon du meuble de Milan) sert essentiellement à faire la promotion du studio, parce que dans cette industrie, « tu ne peux pas approcher les compagnies, elles détestent ça ». « Si tu proposes un projet, elles ne voudront jamais travailler avec toi. Il faut attendre qu’elles t’appellent », poursuit-il.

Et dans le cas de Philippe Malouin, le téléphone sonne.

Ses projets préférés

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MOLLO pour Established & Sons

MOLLO, pour Established & Sons

« Ça date de 2014. C’est cet objet et le luminaire Gridlock qui ont été très importants pour nous lancer. Auparavant, on faisait tout à la main, c’était plus artisanal. Le Mollo a été fait en ouvrant un matelas IKEA en mousse et en le pliant en deux. On s’amusait. C’était un peu un accident. Ce sont deux parties différentes. »

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Gridlock pour Roll & Hill

Gridlock, pour Roll & Hill

« Ça vient d’un voyage que j’ai fait à Bangkok. Il y avait des grands panneaux publicitaires. Ils étaient partout. Je m’en suis inspiré, j’ai développé mon propre système de mécano pour monter les luminaires. Roll & Hill est arrivé à la fin du projet et l’a acheté. Il y a un employé là-bas qui ne fait que de l’assemblage de Gridlock tout le temps… je me sens un peu mal pour lui. Maintenant, il y en a des centaines, voire des milliers sur la planète. C’est copié partout dans le monde, aux Pays-Bas et en Chine. C’est vraiment plate. »

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CORE pour Superbenches Project

CORE, pour Superbenches Project

« J’en suis très fier. Ce sont nos premiers pas en architecture. C’est un module, un seul moule, qu’on répète six fois. C’est une commande pour un parc en Suède, ils nous avaient demandé de faire un banc… on a fait un banc très spécial ! Mais ils l’ont financé. Éventuellement, ma galerie à New York a commencé à le vendre. Il y en a deux ou trois aux États-Unis, il y en a un en Suède et il va y en avoir un à Monaco. »

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Group Chair pour SCP

Group Chair, pour SCP

« C’est un grand succès, ça nous rapporte pas mal de sous et c’est fait au Royaume-Uni. On s’était fait demander de créer une chaise avec une très petite emprise au sol, c’était pour un client qui ouvrait un bar et voulait des chaises qui permettaient à ses clients de sortir de table facilement, sans prendre de place. C’est monté sur un roulement à billes. Le projet de bar n’a pas marché, mais on a sorti l’objet autrement. Il y avait une demande dans le marché et il n’y en avait pas. Et c’est abordable. »