Lorsque Joannie Paquet, une femme paraplégique, a mis en vente son condo avec des adaptations valant des dizaines de milliers de dollars, elle craignait de ne pas trouver d’acheteur dans un délai raisonnable.

Mme Paquet connaissait le défi relevé. « Il fallait tenir compte des coûts de nos travaux dans le prix de vente », dit-elle, et ce, peu importe si un éventuel acheteur aurait voulu rénover et retirer les adaptations.

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Joannie Paquet

Lorsqu’elle a été victime d’un accident de la route durant son enfance, c’est la SAAQ qui avait payé les factures : comptoirs plus bas, four encastré avec ouverture latérale à sa hauteur, interrupteurs à la bonne hauteur, rampe extérieure adaptée à ses besoins, ajout d’une porte automatique, etc.

Les coûts montent vite, ce qui influence inévitablement le prix de revente. Selon Dominique Salgado, directeur général du Comité d’action des personnes vivant des situations de handicap (CAPVISH), l’adaptation d’une propriété peut dépasser les 55 000 $. « Une rampe extérieure peut coûter 12 000 $ et un lève-personne, 8000 $, explique-t-il. Après, l’ascenseur coûte au moins 40 000 $, sans oublier les rampes de salle de bains, les travaux d’accessibilité dans la cuisine et le retrait des seuils de portes. »

Un marché de niche

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Vendre une propriété adaptée pour des personnes à mobilité réduite comporte son lot de défis.

Vendre une telle propriété peut s’avérer complexe. « C’est un défi important, affirme M. Salgado. Souvent, on trouve grâce au bouche-à-oreille. L’information circule dans le milieu associatif. »

Lorsque le condo ou la maison tombe entre les mains des courtiers, la valorisation immobilière résidentielle (souvent appelée homestaging) peut difficilement venir en renfort. « On suggère souvent de dépersonnaliser une propriété pour que les visiteurs puissent s’imaginer y vivre, mais ces propriétés adaptées sont hyper personnalisées, dit Sophie Bougie, courtière de l’agence immobilière Domicilia. Évidemment, on ne peut pas enlever les adaptations avant les visites. »

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Parmi les adaptations qu’on trouve généralement dans les propriétés adaptées : des comptoirs plus bas.

Le contexte pousse aussi les agents immobiliers à filtrer davantage les acheteurs potentiels. « Chaque fois que je reçois un appel pour une propriété adaptée, je commence en questionnant l’agent sur les besoins de son client, dit Guylaine Couture, courtière chez REMAX. Si la personne n’est pas en fauteuil roulant, à mobilité réduite ou si elle ne mesure pas 5 pieds 5 pouces au maximum, en raison des comptoirs plus bas, le profil ne peut pas convenir. »

Cela dit, beaucoup d’intéressés n’ont pas de handicap. « Avec la propriété adaptée que je représente (au moment de l’entrevue), je reçois surtout des appels de gens sans handicap qui ont de la difficulté à se projeter », indique Sophie Bougie.

Elle croit cependant que les propriétés adaptées pourraient intéresser les investisseurs. « Ils pourraient attirer une certaine clientèle en location, car il y a peu de logements adaptés. »

Une pénurie criante

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Chez Joannie Paquet, la douche de la salle de bains a été adaptée pour une personne en fauteuil roulant.

En effet, selon les chiffres récoltés par le CAPVISH dans la région de Québec, seuls 1,2 % des logements sont adaptés, alors que 88 000 personnes sont en situation de handicap dans le secteur. « La tendance est la même ailleurs en province, précise Dominique Salgado. Et il y a aussi un grand manque dans les condos et les maisons unifamiliales adaptés. »

Quand une telle propriété se retrouve sur le marché, les deux courtières interviewées n’hésitent pas à les mettre en évidence. « Je précise directement dans l’annonce que le condo est adapté pour les personnes à mobilité réduite », dit Sophie Bougie.

« Récemment, j’ai précisé le montant des travaux effectués pour rendre un condo accessible et les éléments les plus importants, dit Guylaine Couture. J’ai aussi souligné que le stationnement était double, car les personnes se déplaçant en fauteuil roulant ont besoin d’espace pour ouvrir les portes, sans rester bloquées entre deux voitures. »

Pour certains courtiers, le défi occasionne un stress supplémentaire. Mme Couture voit ça comme une motivation de plus.

On doit trouver une clientèle plus nichée, mais quand la mise en marché est bien faite, c’est plutôt un défi. Et lorsque je reçois l’appel d’une personne en fauteuil roulant dont les besoins correspondent à la propriété, j’en ai la chair de poule.

Guylaine Couture, courtière chez REMAX

Parce que voilà, les personnes vivant avec un handicap ne veulent pas toutes la même chose. Quand Joannie Paquet a cherché une nouvelle propriété à son tour, le manque d’options n’était pas le seul obstacle. « Je me souviens d’une propriété adaptée qui avait des rails pour lève-personne dans plusieurs pièces, alors que je n’en ai pas besoin. Comme on a tous des besoins différents, ça complexifie la recherche. »

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Trouver une propriété adaptée à ses besoins, voilà un réel défi pour les personnes vivant avec un handicap.

Qui dit besoins particuliers dit adaptations faites sur mesure, alors que le Programme d’adaptation du domicile (PAD) du gouvernement du Québec ne couvre pas toutes les dépenses. « Le PAD offre jusqu’à 50 000 $ par personne admissible, sans égard au revenu du ménage depuis peu, informe Dominique Salgado. Mais comme un ascenseur peut coûter jusqu’à 55 000 $, la subvention ne règle pas tout. »

M. Salgado croit que l’État aurait intérêt à investir davantage. Surtout avec le vieillissement de la population qui s’accélérera au cours des prochaines années et la volonté grandissante de la population de recevoir des soins à domicile. « On va avoir besoin d’encore plus de propriétés adaptées, affirme-t-il. Le gouvernement souhaite que les personnes âgées et handicapées restent le plus longtemps possible à leur domicile, mais encore faut-il leur donner les moyens. »

Il déplore également que le nouveau budget du ministre des Finances, Eric Girard, prévoie une diminution graduelle des sommes prévues pour le PAD ces prochaines années. « C’est inquiétant de vieillir au Québec », dit M. Salgado.

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  • 1,5 million
    Nombre de Québécois de 15 ans et plus qui vivent avec une incapacité physique
    Source : Office des personnes handicapées du Québec