À 900 000 $ la porte, le projet de maison d’hébergement de seconde étape pour femmes violentées de Rouyn-Noranda est beaucoup trop cher, a récemment tranché la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau. Après une rencontre, vendredi dernier, une « voie de passage » semblait avoir été trouvée, notamment en ajoutant un appartement à l’immeuble, ce qui ferait diminuer le coût par porte. Mais qu’est-ce qui explique ces coûts ? La Presse a décortiqué le projet.

Une maison d’hébergement de deuxième étape, c’est quoi ?

C’est une maison d’hébergement où environ 8 % des femmes hébergées se retrouvent après un premier séjour d’une durée de trois mois dans une ressource d’urgence. Elles y demeureront en moyenne huit mois.

Ce sont donc les cas les plus lourds de violence conjugale qui s’y retrouvent. Le premier critère d’admission est d’ailleurs la dangerosité de l’ex-conjoint. L’objectif premier des maisons est de prévenir l’homicide conjugal.

Sur place, il n’y a pas d’intervenant en tout temps. Pour les femmes et les enfants qui y habitent, « la sécurité du bâtiment est donc primordiale », souligne Maud Pontel, coordonnatrice de l’Alliance des maisons d’hébergement de deuxième étape, qui regroupe 38 maisons membres dans 15 régions.

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Maud Pontel, coordonnatrice de l’Alliance des maisons d’hébergement de deuxième étape

Point important : les familles y vivent dans des appartements, et non des chambres. Et les besoins sont criants. Présentement, faute de place, on refuse 58 % des demandes en seconde étape.

Quels sont les besoins à Rouyn-Noranda ?

À l’heure actuelle, il n’y a pas de maison d’hébergement de deuxième étape dans toute la région de l’Abitibi-Témiscamingue. La maison d’hébergement d’urgence de Rouyn-Noranda, Alternative pour Elles, compte 10 chambres et 20 places. Leur taux d’occupation, l’an dernier, s’élevait à 119 %. Quatre-vingt-dix femmes et 58 enfants ont été hébergés l’an dernier, et 2139 femmes ont consulté en externe. « Tout est plein partout en Abitibi », résume Maud Pontel.

Le contexte

Quatre-vingt-deux résidences du quartier Notre-Dame, qui jouxte la fonderie Horne, doivent être relocalisées pour créer une zone tampon, a décrété le gouvernement Legault il y a un an. De nombreux entrepreneurs de la région sont donc monopolisés par ce vaste chantier. De plus, la région connaît un petit boom immobilier dans le résidentiel. « On n’a jamais vu ça », indiquait la mairesse de Val-d’Or, Céline Brindamour, en entrevue au Devoir en octobre dernier.

Les coûts de construction et des matériaux, déjà traditionnellement plus chers dans la région, ont donc littéralement explosé. Il en coûte 30 % de plus pour bâtir en Abitibi. Le béton, par exemple, y coûte 50 % plus cher, et les autres matériaux sont de 15 à 20 % plus dispendieux, fait valoir Maud Pontel. D’autres organismes sont d’ailleurs confrontés au même problème : le coût de construction d’une maison de soins palliatifs dans la région a presque doublé.

Le terrain

Le terrain est un don de la municipalité. Il est légèrement contaminé en un endroit précis. La décontamination coûte 500 000 $. Après plusieurs hésitations, la décontamination paraît essentielle, sinon la cour où joueraient les enfants sera beaucoup trop petite, explique Maud Pontel.

De plus, le terrain est situé sur une rue passante. On a donc dû concevoir le bâtiment pour créer une cour sécuritaire où les enfants pourraient jouer à l’abri des regards et placer les chambres des femmes à l’arrière du bâtiment, là où elles seront invisibles de la rue.

Le bâtiment

Le bâtiment prévu à Rouyn-Noranda, au coût de 9 millions, comptait 10 appartements – maintenant 11, après les dernières discussions – qui hébergeront en moyenne 26 personnes, en comptant les enfants. Il a deux étages. On y retrouve aussi un espace destiné aux femmes qui consultent en externe, parce que la maison d’hébergement déborde complètement. « Les intervenantes en sont réduites à faire des rencontres dans leur voiture ou dans les toilettes », souligne Maud Pontel.

Au premier étage, on retrouve un espace de travail pour les intervenantes, des salles de rencontre, une cuisine collective, une salle de jeux pour les enfants. Les appartements ne comptant pas de laveuses-sécheuses – une mesure d’économie –, on a prévu une salle de lavage sur chaque étage. Les appartements sont évidemment complètement équipés, avec les meubles, la vaisselle, la literie.

Sécurité et accessibilité

Pour des raisons évidentes, les fenêtres du bâtiment doivent être complètement résistantes aux intrus. Le vitrage doit être incassable, et les moustiquaires doivent être en acier inoxydable et montées sur des cadres en acier. Coût des seules moustiquaires : 1400 $ pièce, en plus de 300 $ pour l’installation.

Des caméras doivent être posées à de nombreux endroits et les portes, munies de contrôles d’accès à code qui peut, contrairement à une clé, être régulièrement modifié.

Les escaliers de secours ne peuvent pas être construits à l’extérieur, ce qui donnerait beaucoup trop facilement accès aux appartements. Des cages d’escaliers doivent donc être construites à l’intérieur, ce qui ajoute à la superficie du bâtiment.

Une entrée distincte doit être aménagée pour les arrivées des victimes avec les policiers, et une autre pour les livraisons, afin de préserver la confidentialité des femmes qui demeurent dans les lieux.

Au total, ces considérations de sécurité représentent des coûts supplémentaires de 20 000 $ par chambre, précise Maud Pontel. Pour un appartement de type cinq pièces et demie, on parle donc de 60 000 $ de coûts supplémentaires.

De plus, comme les places manquent cruellement partout au Québec pour les femmes handicapées victimes de violence, le bâtiment doit être accessible. Un monte-personne a été prévu pour gravir les deux étages. « On ne parle pas juste de fauteuil roulant ici, on parle aussi de femmes qui ont du mal à monter des escaliers à cause des épisodes répétés de violence dont elles ont été victimes », dit Mme Pontel.

Le budget

Le coût de 9 millions est assumé à 50 % par Québec et à 50 % par le gouvernement fédéral, par le biais de divers programmes. Parmi les sommes accordées, le fédéral alloue un budget de 500 000 $ pour le fonctionnement qui, au Québec, est financé par le ministère de la Santé et des Services sociaux. On a donc offert à l’OBNL propriétaire de rediriger ces sommes vers la construction. Le Québec a refusé. « On nous a dit que peu importe d’où l’argent venait, on ne pouvait pas autoriser des projets à 900 000 $ la porte », dit Maud Pontel.

Le financement

Le projet chemine depuis mai 2022, date du premier dépôt. Il a été accepté par Québec et Ottawa en juillet 2022. Les plans ont été dûment approuvés par les organismes subventionnaires. La collaboration avec la Société d’habitation du Québec (SHQ) a toujours été bonne, souligne Maud Pontel.

À Rouyn-Noranda, le chantier est prêt à démarrer. À l’automne, du foin a été dispersé sur le terrain afin d’éviter qu’il gèle en profondeur pour pouvoir commencer les travaux au plus tôt au printemps. La construction durera au moins huit à neuf mois. À ce jour, l’OBNL propriétaire a engagé des dépenses de 594 000 $ en frais d’honoraires professionnels.

La crise

Le 1er mars dernier, la Société d’habitation du Québec annonce à l’organisme Alternatives pour Elles que le financement pour le projet lui est retiré. On le renvoie à la table à dessin, afin que le projet soit moins coûteux. « Une immense déception », écrit Cathy Allen, directrice de l’OBNL, dans un document destiné à la SHQ.

Le 14 mars dernier, une rencontre à Québec avec la SHQ et le personnel politique de la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, avait permis de fournir les explications nécessaires, croyait Mme Pontel. « On est sorties de là, on pensait bien qu’ils avaient compris. On ne sablait pas le champagne, mais on était en sortie de crise. »

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France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation

C’est donc avec une très grande surprise que l’organisme a reçu les commentaires, faits le lendemain, par la ministre Duranceau. « Trop de projets sortent à des coûts qui sont vraiment excessifs, a-t-elle déclaré. Quand on parle de 900 000 $, un million la porte… »

La voie de passage

« On croit à ces projets-là, assure le président de la Société d’habitation du Québec, Claude Foster. Mais à ces montants-là, c’est important qu’on pose des questions. » Il indique qu’une rencontre tenue vendredi dernier a permis d’en arriver à des points de passage et qu’une entente de principe a été conclue. Cela se traduira à Rouyn-Noranda par l’ajout d’un studio supplémentaire à l’immeuble, précise Maud Pontel.

« Les maisons d’hébergement de première et de deuxième étape jouent un rôle primordial pour protéger et accompagner les femmes vulnérables, ajoute la ministre Duranceau. Nous sommes conscients que les besoins sont grands. En collaboration avec la SHQ, nous soutenons les organismes pour que le développement des projets soit plus agile et plus efficace, notamment pour optimiser les coûts et assurer le succès des projets. Nous avons la ferme intention que ces projets se réalisent. »

Précision : Dans une version précédente de ce texte, nous avions erronément identifié Céline Brindamour comme mairesse de Rouyn-Noranda. Elle est plutôt mairesse de Val-d’Or. Nos excuses.