Vers la fin de l’automne, plus d’une centaine de personnes en situation d’itinérance ou à risque de l’être trouveront refuge de façon permanente dans un nouvel immeuble du centre-ville de Montréal. La Presse a visité le chantier du plus vaste projet immobilier consacré à la lutte contre l’itinérance au Québec.

Situé près de l’Université du Québec à Montréal, dans une petite rue dissimulée entre la rue Sainte-Catherine et le boulevard René-Lévesque, Le Christin détonne dans la grisaille des immeubles autour. Paré de briques aux couleurs chaudes, l’édifice amène une gaieté dans ce secteur en construction, à l’image de ce qu’il entend projeter dans la vie de ceux qui prochainement l’occuperont.

À l’intérieur, les planchers, encore recouverts de papier, laissent deviner leur teinte colorée. La couleur est la signature d’Atelier Big City, la firme d’architecture mandatée par la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM) pour la conception du bâtiment. En décidant de se lancer dans la réalisation de projets immobiliers à l’intention des personnes en situation d’itinérance, cette société paramunicipale, qui ne reçoit aucun financement de la Ville de Montréal, a fait le pari de la qualité architecturale.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Nancy Shoiry, directrice générale de la Société d’habitation et de développement de Montréal, et Anne Cormier, architecte chez Atelier Big City

C’est sûr qu’il y a une différence de coût quand on privilégie les matériaux de qualité, mais à long terme, cela se reflète sur les coûts de gestion. Ce n’est pas juste de construire un bâtiment, c’est d’en faire un milieu de vie.

Nancy Shoiry, directrice générale, SHDM

« L’architecture est importante pour tout le monde », ajoute Anne Cormier, architecte responsable du projet. Elle est également professeure à l’École d’architecture de l’Université de Montréal, et ses travaux de recherche et enseignements portent principalement sur le logement urbain et social dans les centres-villes. Pour une clientèle qui est, dans certains cas, passée par la rue, puis les maisons de chambres, elle a voulu concevoir des espaces lumineux et agréables, en dépit de la contrainte d’espace.

Un choix qui aura un réel impact sur les résidants, croit la directrice générale de l’Accueil Bonneau, partenaire du projet. « Si on veut sortir de l’itinérance, atteindre une stabilité résidentielle, une réaffiliation sociale, ça prend de lieux qui sont intéressants », affirme Fiona Crossling.

Aux yeux de l’architecte Anne Cormier, la présence urbaine de l’édifice importe aussi. « Il n’y a pas de raison que des édifices soient moches. Ça ne rend service à personne. L’architecture a une présence publique dans la ville tout le temps et reste longtemps. »

Un bâtiment à valeur patrimoniale démoli

Ce projet a été érigé sur les ruines du Riga, un bâtiment, propriété de la SHDM, qui comprenait des logements abordables. Signé en 1914 par l’architecte Joseph-Arthur Godin, le Riga était un des rares édifices Art nouveau à Montréal et avait été désigné par l’arrondissement de Ville-Marie comme ayant une « valeur exceptionnelle ». Devant sa détérioration, la SHDM avait entamé sa rénovation jusqu’à ce qu’une défaillance structurelle soit décelée, mettant fin aux travaux de réfection. La structure manquait de colonnes et d’armatures et aurait dû être refaite complètement pour se conformer aux normes actuelles, argue la SHDM.

Ç’a été une décision difficile qu’on a dû aller défendre dans les comités à la Ville et à l’arrondissement. Oui, l’édifice avait peut-être une certaine valeur patrimoniale, mais on en fait un projet de société pour aider des gens qui n’ont pas cette offre-là dans le marché actuel.

Nancy Shoiry, directrice générale de la SHDM

Au moment de la démolition de l’immeuble de quatre étages en 2019, la SHDM avait indiqué qu’elle ferait le nécessaire pour laisser une trace du patrimoine. Or, l’évocation de l’ancien immeuble se fait discrète. « Différents scénarios ont été étudiés, déclare Julien Serra, porte-parole de la SHDM. À la lumière des études et des budgets, il a été décidé de prioriser la réalisation du projet et les besoins des futurs locataires. La référence au Riga réside dans le concept architectural même, soit la singularité de l’édifice dans son environnement immédiat. » Il précise que la SHDM est en réflexion quant à l’intégration d’une mention du bâtiment d’origine à l’aide d’un code QR ou d’une inscription visible de l’extérieur.

Davantage de logements

Un souci de densification et d’optimisation de l’espace a permis d’augmenter le nombre de logements. De 65 dans le Riga, il est passé à 114 dans le nouveau bâtiment, principalement grâce à l’ajout de trois étages. L’intérieur est divisé en deux sections. D’un côté, de petits studios d’une superficie de 21,6 m⁠2 (environ 230 pi⁠2) avec coin cuisine et salle de bains, destinés à des hommes seuls. De l’autre, des unités un peu plus grandes de 25,8 m⁠2 (environ 280 pi⁠2) à 37 m⁠2 (environ 400 pi⁠2), comptant une ou deux chambres, qui pourront être partagées par deux personnes, hommes ou femmes, couples ou colocataires.

« On constate qu’il y a de plus en plus de profils différents qui cognent à nos portes, observe Anna Torres, coordonnatrice clinique des services d’hébergement de l’Accueil Bonneau. On voulait un projet axé sur la mixité sociale. » Les profils des personnes qui seront choisies par l’organisme pour y habiter seront variés. Hommes, femmes, réfugiés et demandeurs d’asile, aînés et jeunes adultes issus de la DPJ, personnes autochtones ou issues de la communauté LGBTQ+pourront se côtoyer.

L’immeuble, qui viendra doubler l’offre de logements de l’Accueil Bonneau, accueillera des gens prêts à vivre avec une plus grande autonomie, mais qui ont toujours besoin d’un accompagnement psychosocial. Des intervenants de l’Accueil Bonneau seront sur place. Selon la directrice générale, le projet permettra de désengorger d’autres immeubles gérés par l’Accueil Bonneau et d’autres organismes.

  • Sur cette illustration, on aperçoit les hautes jardinières qui seront installées pour créer de l’intimité au rez-de-chaussée où les bureaux des intervenants et une salle communautaire ont été aménagés.

    ILLUSTRATION FOURNIE PAR ATELIER BIG CITY

    Sur cette illustration, on aperçoit les hautes jardinières qui seront installées pour créer de l’intimité au rez-de-chaussée où les bureaux des intervenants et une salle communautaire ont été aménagés.

  • L’arrière du bâtiment donne sur la petite rue Savignac.

    ILLUSTRATION FOURNIE PAR ATELIER BIG CITY

    L’arrière du bâtiment donne sur la petite rue Savignac.

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Un investissement de 23,5 millions

Le chantier ayant été retardé de plusieurs mois par la pandémie, il est désormais prévu que les premiers locataires, qui paieront un loyer équivalent à 25 % de leur revenu grâce au Programme de supplément au loyer, emménagent au cours de l’automne. Bien que la SHDM ait pour mandat de rendre disponibles des logements locatifs à prix abordable, privé ou communautaire, elle n’avait encore jamais réalisé de projet de logements sociaux à l’intention des personnes en situation ou à risque d’itinérance. « On espère que ça servira d’exemple pour montrer que de tels projets peuvent se faire, dit Nancy Shoiry. C’est essentiel, mais ça demande beaucoup d’efforts. On travaille fort encore aujourd’hui pour attacher le financement. » Près de 23,5 millions de dollars ont été investis dans le projet.

Dans son Plan d’action montréalais en itinérance 2014-2017, la Ville de Montréal avait identifié la SHDM comme un partenaire dans la réalisation de 1000 logements pour personnes vulnérables ou itinérantes. Une cible de 200 nouvelles unités de logement pour la SHDM avait par la suite été précisée. Cet objectif sera presque atteint puisqu’en plus des 114 logements que compte Le Christin, la société inaugurera dans les prochains mois deux autres projets de 54 et 25 unités, qui seront gérés par deux autres organismes, soit la Maison du Père et Chez Doris.

Rectificatif
Une version antérieure de ce texte indiquait que la SHDM assumera le déficit d’exploitation de l’immeuble, estimé à 280 000 $ par an, un chiffre qui avait été annoncé au début du projet. Or, la SHDM est en train de finaliser des options de financement afin de combler le déficit d’exploitation initialement prévu.