C’est la larme à l’œil que Lester Toupin s’est réveillé le 14 avril dernier, au lendemain de la cérémonie des prix Maestra qui couronne les artisans du patrimoine. La veille, il était récompensé pour sa restauration du plancher de mosaïque de l’ancien hôtel de ville de Maisonneuve : l’œuvre d’une vie. « Tout le chemin parcouru pour me rendre là… c’est vraiment une grande reconnaissance pour moi », confie l’artisan en maçonnerie, encore ébranlé par ces honneurs.

Construit entre 1910 et 1912, le bâtiment de style Beaux-Arts, converti en bibliothèque, a retrouvé son lustre. Il fait partie du site patrimonial de l’Ancienne-Cité-de-Maisonneuve, qui comprenait autrefois un hôtel de ville, un marché, un poste de pompiers ainsi qu’un bain et un gymnase publics. L’ensemble se déploie dans le quadrilatère compris entre les rues Ontario et Notre-Dame Est, le boulevard Pie-IX et l’avenue Morgan.

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Six équipes ont travaillé à la restauration de l’ancien hôtel de ville, dont des métalliers pour la porte d’entrée, des plâtriers pour le plafond et des artisans du vitrail.

Un budget de 43 millions de dollars a été accordé à la restauration de l’ancien hôtel de ville qui a sollicité six équipes d’artisans sous la supervision de l’architecte Marianne Lacroix. Lester Toupin a eu le mandat de refaire une beauté à la mosaïque polychrome du hall central, un projet d’envergure qui exigeait minutie et savoir-faire, ne serait-ce que pour la restauration des armoiries de la Cité de Maisonneuve.

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Des artisans du vitrail ont participé aux travaux.

Pour y arriver, l’artisan s’est adjoint les compétences de Martine Bonin et de Geneviève Gamache, deux vitrières membres du Conseil des métiers d’art du Québec (CMAQ) qui avaient les outils et les connaissances pour couper et assembler l’impressionnante quantité de petites pièces de céramique. Soixante mètres carrés de surface ont été restaurés, dont sept qui ont dû être entièrement refaits pour former une fresque identique à l’originale. Le projet, tout juste achevé, aura nécessité 16 mois de travail.

Fumiste dans le sang

En quatre décennies de pratique, la truelle de l’artisan a permis de faire revivre plus d’un artefact d’architecture. Lester Toupin a d’abord été fumiste, dans le sens original du terme, qui évoque celui dont le métier est d’acheminer la fumée où elle doit aller… sans volonté aucune de jeter de la poudre aux yeux ! Dit concrètement, il entretenait et réparait des cheminées anciennes.

L’artisan raconte ce qui l’y a conduit : « Quand j’étais jeune, mon père assurait l’entretien des fournaises à l’huile qui chauffaient nos appartements de Montréal, tout comme son propre père qui faisait le commerce du charbon et l’entretien des fournaises durant la crise des années 1930. » Le fils a d’abord voulu s’éloigner de la trajectoire familiale en étudiant en éducation spécialisée, puis en fondant Le Bouclier, un centre de réadaptation en déficience physique toujours actif, qui compte plusieurs ramifications aujourd’hui.

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Lester Toupin, gagnant du prix Maestra-Alain Lachance 2023

Chacun de nous a un rôle avec les compétences et le métier qu’il a. Je crois qu’on est tous les constructeurs d’une vie commune et qu’on se doit d’y contribuer.

Lester Toupin, artisan maçon

Une perte d’emploi le fera toutefois dévier de sa trajectoire et revenir à ses premières amours. « Je suis devenu ramoneur, puis tranquillement, j’ai compris qu’il fallait réparer les cheminées et pas juste les nettoyer. » Son père lui a montré le métier. C’est toutefois de sa mère qu’il tient son côté artisan. C’est elle qui l’a initié à monter des murs de pierres, ce qu’elle avait appris de son père qui érigeait des barrages pour monter artificiellement le niveau d’eau afin de draver le bois.

« Pendant trois étés, j’ai roulé des pierres et monté des murs de soutènement avec elle, se souvient-il. Ma mère était une artiste qui faisait n’importe quoi de ses mains. Elle créait des vêtements et concevait des costumes pour la troupe de Muriel Millard, ce qui fait qu’à 16 ans, je triais et assemblais des paillettes sur des corsets ! » De fil en aiguille, Lester Toupin a renoué avec cette fibre artistique et commencé à restaurer des foyers à l’ancienne, avant de s’ouvrir à la restauration patrimoniale et de fonder son entreprise de maçonnerie artisanale.

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Lester Toupin a restauré cet emblème.

Un métier en voie de disparition

La grande majorité des maçons travaillent selon une méthode industrielle. Très peu le font à l’ancienne et savent travailler les mortiers de chaux utilisés avant l’industrialisation, indique Lester Toupin. « Graduellement, on a commencé à réparer des maisons anciennes avec des méthodes modernes. La plupart du temps, ça ne fait pas bon ménage et ça ne dure pas longtemps. Nous, on remet ça comme c’était avant et en respectant le bâtiment d’origine. » Travailler à l’ancienne implique souvent de partir de matériaux bruts et même d’aller chercher des pierres au champ s’il le faut, mais cette opération de conservation permet de préserver le passé pour les générations futures.

Le nombre d’artisans spécialisés en maçonnerie traditionnelle se compte sur les doigts d’une main au Québec. Heureusement, on est en voie de renaître.

Lester Toupin, artisan maçon

C’est pour protéger les anciens métiers du bâtiment qu’il est retourné sur les bancs d’école dans les années 1990, en sciences de l’orientation. « Je voulais définir ce qu’est un maçon traditionnel, ce qui n’est pas le même travail que celui du briqueteur-maçon dont parle la Commission de la construction du Québec. » Sa maîtrise a permis l’intégration des artisans du bâtiment au Conseil des métiers d’art en 2010 et de mettre sur pied un programme d’attestation d’études collégiales qui compte neuf options.

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Lester Toupin est un des rares maçons à travailler à l’ancienne.

Puisqu’il n’est pas du genre à se tourner les pouces, Lester Toupin a obtenu son permis de pratique en psychologie en parallèle de ses activités d’artisan du bâtiment et commencé sa pratique en cabinet… tout en faisant rouler son entreprise de maçonnerie tous les jours entre 7 h et midi, avant d’aller tendre l’oreille à ses patients. Une double vie.

À 70 ans, il refile volontiers les rênes de l’entreprise à son fils qui a suivi ses pas. « Ça me donne beaucoup de liberté. Je n’ai plus à tout porter sur mes épaules. En même temps, je n’ai pas envie d’arrêter de travailler. J’aime trop ça. » Il pousse à la roue et se réserve des contrats d’exception comme celui de la restauration du hall de l’hôtel de ville. « Ce travail, c’est la consécration. C’est mon œuvre la plus accomplie et la plus esthétique. Ça me touche le cœur de regarder le résultat. » Lester Toupin dit savourer le bonheur d’être entré dans une nouvelle période de sa vie… celle qu’on appelle l’âge d’or !