Figure influente du « French Power » à Ottawa à la fin des années 1960 et considéré comme l’un des ténors du gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau durant la décennie suivante, l’ancien ministre Marc Lalonde est mort dimanche à l’âge de 93 ans.

Les témoignages d’affection et d’admiration de ceux qui l’ont connu durant sa longue carrière à Ottawa ont afflué dans les heures ayant suivi la confirmation de sa mort.

« Il était l’un des meilleurs ministres que j’ai connus », lance d’emblée au bout du fil l’ancien greffier du Conseil privé Paul Tellier, qui a aussi travaillé sous les ordres de Marc Lalonde durant sa carrière de près de 15 ans comme sous-ministre au sein de l’appareil fédéral.

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a aussi tenu à lui rendre hommage sur Twitter, en soirée. « Marc Lalonde était brillant. Je me souviens de mon père et lui, assis à la table, qui débattaient longtemps et avec passion de tous les sujets – dont notre pays, notre peuple et notre avenir. De toute évidence, mon père avait beaucoup de respect pour lui et, quand j’ai vieilli un peu et j’ai appris à le connaître, c’était la même chose pour moi », a-t-il notamment écrit.

Né en 1929 à L’Île-Perrot et avocat de formation, Marc Lalonde a dirigé plusieurs ministères importants au sein du gouvernement Trudeau père – Relations fédérales-provinciales, Santé et Bien-être social, Justice, Finances ainsi qu’Énergie, Mines et Ressources. Il a aussi été aux premières loges d’une période mouvementée sur le front de l’unité canadienne dans les années 1970, notamment à la suite de l’élection du Parti québécois en 1976, qui a été suivie par le référendum sur la souveraineté en 1980 et le rapatriement de la Constitution en 1982.

Grande influence

Son influence au sein du Parti libéral du Canada était indéniable. Sa force intellectuelle était grandement respectée. Il a marqué de nombreux élus dans la capitale fédérale, ayant été le lieutenant politique de Pierre Trudeau au Québec alors que les libéraux y détenaient 74 des 75 sièges.

« Il avait une vision du Canada. Il croyait que nous, les Québécois francophones, avions gardé notre langue parce que nous faisions partie du Canada et que c’était la meilleure option de faire partie d’un ensemble plus important, qui s’étendait d’un océan à l’autre », a témoigné l’ancien premier ministre Jean Chrétien, qui a connu Marc Lalonde alors qu’il était conseiller spécial de l’ancien premier ministre Lester B. Pearson en 1967.

PHOTO SPENCER COLBY, LA PRESSE CANADIENNE

L’ex-premier ministre du Canada Jean Chrétien, lors du Congrès national du Parti libéral, vendredi

Il était un homme très travaillant et très compétent. Il était respecté par tout le monde. Il avait beaucoup de connaissances et il s’exprimait très clairement. C’était un homme qui était très influent au sein du gouvernement. C’est un des serviteurs publics qu’on oublie parfois. Mais ils sont nécessaires pour qu’un gouvernement fonctionne très bien.

Jean Chrétien, ex-premier ministre du Canada

« C’était agréable de parler avec lui parce qu’il savait de quoi il parlait. Ce n’était pas un péteux de broue, comme on dit », a ajouté M. Chrétien, qui a été collègue de Marc Lalonde au sein du cabinet pendant 12 ans dans le gouvernement Trudeau.

Avant de briguer les suffrages en 1972 dans la circonscription d’Outremont, Marc Lalonde s’est taillé une réputation de fin mandarin dans la capitale fédérale. Après avoir été recruté comme conseiller spécial de Lester B. Pearson, en 1967, le successeur de ce dernier, Pierre Trudeau, lui demande d’agir à titre de secrétaire principal durant son premier mandat, soit de 1968 à 1972.

Durant la crise d’Octobre 1970, il était le conseiller principal de Pierre Trudeau lorsque le gouvernement fédéral a invoqué la Loi sur les mesures de guerre et déployé l’armée dans les rues de Montréal. Plusieurs années plus tard, Marc Lalonde a révélé qu’il n’avait jamais cru à la possibilité d’une insurrection menée par le Front de libération du Québec (FLQ) ou qu’un gouvernement parallèle puisse prendre le pouvoir à Québec.

Selon l’ancien ministre et sénateur libéral Francis Fox, Marc Lalonde a eu un impact immédiat sur le parti durant ces années. « Il avait renouvelé la qualité et la force du caucus libéral du Québec parce qu’il voyait qu’il y aurait à découdre avec les indépendantistes », a-t-il expliqué.

Ce n’était pas la première fois qu’il agissait dans les coulisses du pouvoir. Durant un peu plus d’un an, en 1959 et 1960, il avait interrompu sa carrière juridique et universitaire à Montréal afin de devenir conseiller spécial de Davie Fulton, qui était alors ministre de la Justice dans le gouvernement progressiste-conservateur de John Diefenbaker.

Ministre réputé

Ses années passées au cabinet des premiers ministres Pearson et Trudeau l’ont par la suite convaincu de sauter dans l’arène politique en briguant les suffrages dans Outremont.

Marc Lalonde a alors été de tous les combats du gouvernement de Trudeau père en étant à la tête de ministères considérés comme stratégiques selon le moment.

« On savait que si Lalonde allait à la Santé ou à l’Énergie, c’étaient les ministères qui auraient les priorités de Trudeau dans les deux ou trois années suivantes », a fait valoir Francis Fox.

L’ancien sénateur Dennis Dawson, qui a été député libéral de Louis-Hébert, dans la région de Québec, de 1977 à 1984, a bien connu Marc Lalonde. Il était président du caucus libéral du Québec, qui comptait alors 74 députés, tandis que Marc Lalonde était lieutenant politique.

« Nous avons eu de nombreux dialogues, lui et moi ! Marc Lalonde est de loin le meilleur lieutenant que les premiers ministres québécois ont pu avoir pour défendre le Québec. Il représentait les intérêts du Québec auprès du chef », a-t-il témoigné.

« Sur les plans intellectuel et idéologique, il était très proche de Pierre Trudeau. Ensemble, ils avaient vécu le grand progrès des années 1960 pour les francophones. Ils ont travaillé sur la Loi sur les langues officielles. La notion d’avoir des boîtes de Corn Flakes dans les deux langues peut paraître banale en 2023, mais quand cela était débattu dans les années 1960, c’était une grosse bataille. M. Lalonde était déjà de cette bataille », a dit M. Dawson.

« Il faisait partie du “French Power” et du “Québec Power” à Ottawa, avec André Ouellet, Monique Bégin, Francis Fox et Warren Allmand. La moitié des ministres venaient du Québec. Et ils n’étaient pas des ministres juniors. »

Paul Tellier, qui a eu une longue carrière en tant que sous-ministre dans la fonction publique et greffier du Conseil privé, a salué la contribution de M. Lalonde.

De tous les ministres que j’ai rencontrés durant ma carrière de 15 ans comme sous-ministre, M. Lalonde était un des meilleurs ministres que j’ai connus au gouvernement canadien. Il était d’une rigueur exceptionnelle.

Paul Tellier, ancien sous-ministre dans la fonction publique et greffier du Conseil privé

« Il était un des rares individus que j’ai vus en fonction qui réagissait de la même façon à 8 h le matin ou à 8 h le soir. Et ça, c’est très rare. Quand je travaillais sur le dossier de l’unité canadienne avec lui, le niveau de stress n’était pas plus élevé ni pour lui ni pour moi », a-t-il souligné, tout en relevant son « intégrité exceptionnelle ».

« Il y a deux ministres que je mets dans cette catégorie : Marc Lalonde et l’autre, Don Mazankowski », qui faisait partie du gouvernement Mulroney.

M. Tellier était demeuré en contact avec M. Lalonde. Ils se voyaient une ou deux fois par année.

Adversaire plutôt qu’ennemi

L’ancien ministre péquiste Claude Morin, qui a croisé le fer à plusieurs reprises avec Marc Lalonde durant les années de fortes tensions constitutionnelles entre Québec et Ottawa, a décrit Marc Lalonde comme « un adversaire intelligent ».

« Je l’ai connu comme adversaire du Québec dans les négociations constitutionnelles que l’on avait avec le gouvernement fédéral. C’était un excellent porte-parole de Trudeau père. Il était un homme intelligent. Mais il n’était pas à mon avis favorable à la nation québécoise. Il avait une autre conception du Canada. Ce n’était pas un ennemi. C’était un adversaire. »

Marc Lalonde a quitté la politique en 1984, ayant choisi de ne pas briguer un nouveau mandat. En 1989, il a été admis comme membre de l’Ordre du Canada.

Marc Lalonde en quelques dates

  • 1929 : Marc Lalonde naît à L’Île-Perrot, à Montréal, le 26 juillet.
  • 1955 : Il est admis au Barreau du Québec, puis enseigne la common law et les sciences économiques à l’Université de Montréal, de 1957 à 1959.
  • 1967 : Il devient conseiller spécial auprès du premier ministre Lester B. Pearson, puis secrétaire principal du premier ministre Pierre Trudeau de 1968 à 1972.
  • 1972 : Marc Lalonde est élu au Parlement dans la circonscription montréalaise d’Outremont, puis est nommé ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, un poste qu’il occupera jusqu’en 1977.
  • 1974 : Il cosigne Nouvelle perspective de la santé des Canadiens, un document considéré comme un chef-d’œuvre des politiques de soins de santé et qui défie les points de vue traditionnels dans le domaine.
  • 1980 : Il est nommé ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources et fera adopter durant ce mandat une nouvelle politique énergétique au pays.
  • 1984 : Alors ministre des Finances, Marc Lalonde quitte la vie politique après la démission de Pierre Trudeau, et retourne au secteur privé, où il agira comme associé au cabinet Stikeman Elliott.
  • 1988 : Il reçoit la Médaille pour contribution exceptionnelle aux politiques de santé de l’Organisation mondiale de la santé.
  • 1989 : Marc Lalonde est admis comme membre de l’Ordre du Canada.

Vincent Larin, La Presse