Trop cher. Pas réaliste. Pas fait pour l'hiver. Surtout trop cher. Chaque fois qu'il est question de lancer un projet urbain à Montréal, les sempiternels arguments contre la possibilité de faire quelque chose d'innovateur, de calibre international, ressortent inévitablement. Comme si le traumatisme du Stade olympique n'avait pas encore été digéré. À Copenhague et à Malmö, deux villes plus petites que Montréal, des projets, résidentiels autant que publics, créatifs et audacieux transforment leur environnement tout en raflant prix et honneurs. Marie-Claude Lortie est allée visiter ces deux villes de Scandinavie.

Il est 13h, un samedi d'automne. J'arrive à Ørestad, nouveau quartier de Copenhague construit au milieu des champs, où m'attend le grand patron du service musical de DR. L'équivalent danois de Radio-Canada vient d'y construire un complexe ultramoderne de bureaux et de studios tellement grand qu'il mérite sa propre station de métro. Mais je suis là surtout pour visiter la nouvelle salle de concert de DR, un amphithéâtre conçu par le Français Jean Nouvel, pape de l'architecture mondiale actuelle.

La gigantesque boîte entourée d'eau, couverte de toiles bleu royal où l'on peut projeter des images, est élégante et insolite. À l'intérieur, les plafonds sont faits de panneaux qui s'entrechoquent pour évoquer une explosion de météorites. Dans la salle de concert de 1800 places, dont l'acoustique a été peaufinée par le grand maître japonais Yasuhisa Toyota, la soprano Renée Fleming est en pleine répétition.

Sa voix coule comme de la crème dans l'auditorium.

La scène est bouleversante.

Le projet a coûté cher. Jean Nouvel a la réputation de ne pas respecter ses budgets, mais personne ne pensait atteindre les 300 millions de dollars, somme si astronomique que DR a dû gratter tous ses fonds de tiroirs et même faire des mises à pied pour la payer.

Cela n'empêche cependant pas les résidants de Copenhague d'être très fiers de cette salle de concert, qui fait l'envie du monde entier. Et qui attire des amateurs d'architecture et de musique de partout dans cette métropole pourtant légèrement moins populeuse que Montréal.

«Pour nous, l'architecture de qualité n'est pas quelque chose qu'on aime avoir. C'est quelque chose qu'on doit avoir», résume Bo Christiansen, architecte de Copenhague. «Cela fait partie de notre identité. Si on arrête d'investir là-dedans, que nous restera-t-il?»

Alors oui, il y a eu un certain débat autour des coûts du nouvel auditorium et des licenciements, précise-t-il. Mais, finalement, tout le monde s'est entendu sur le fait que, pour avoir un projet de qualité, il fallait payer le prix. «Et puis, ajoute Christiansen, c'est meilleur marché de bien construire des infrastructures qui vont durer pour toujours.»

À Malmö, de l'autre côté du détroit de l'Öresund, en Suède, le son de cloche pro-innovation et pro-architecture de qualité est semblable. Et ce, même si la ville compte moins de 300 000 habitants.

VM Bjerget : «J'ai habité pendant un an dans le Sejlhuset, ou maison des Voiles, relate Christian Hesthaven, avocat au ministère de la Justice. C'était génial, car chaque appartement est pourvu de deux balcons qui permettent d'avoir du soleil toute la journée. C'était ultramoderne et parfaitement bien pensé comme appartement. On adorait. Le seul défaut: il y avait peu de vie commerciale autour. Par exemple, on pouvait difficilement aller prendre une bière ou un café sans prendre le métro.» Cela dit, l'immeuble le plus impressionnant, c'est le VM Bjerget, qui n'arrête pas de gagner des prix, note l'avocat. Dans ce complexe, le toit de l'un est le jardin de l'autre.

Västra Hamnen, ancienne zone portuaire industrielle, est en pleine transformation et ressemble à une sorte de laboratoire urbain où se côtoient des projets de pointe, notamment du point de vue énergétique. Au milieu, une tour de 54 étages qui se tord d'un quart de tour en spirale, conçue par l'architecte espagnol Santiago Calatrava et appelée le Torse tournant, attire elle aussi les touristes du monde entier depuis 2005. Autour, habitations, bureaux et commerces forment un nouveau quartier qui se déploie comme une ville européenne traditionnelle, où les fonctions se jouxtent, se complètent et se retrouvent. On est loin de la conception urbaine à la nord-américaine où tous les pôles sont isolés les uns des autres et où il faut une voiture pour circuler de la maison à l'épicerie à la patinoire.

À Västra Hamnen, les pistes cyclables longent des immeubles aux toits verts tandis que des maisons presque énergétiquement autonomes déploient leurs panneaux solaires, voire leur éolienne individuelle, à la vue des passants qui marchent le long de la mer avant d'aller prendre un café ou faire de la planche à roulettes dans un parc au design de réputation internationale.

Le projet, explique Göran Rosberg, de la Ville de Malmö, a été lancé au milieu des années 90, d'abord en vue d'une exposition résidentielle internationale prévue en 2001. De telles expos ont lieu régulièrement en Scandinavie. On libère un espace, on établit des paramètres, on invite les promoteurs immobiliers à venir montrer leurs dernières innovations. «Toutes les entreprises veulent montrer ce qu'elles font de mieux, explique M. Rosberg. On leur a dit qu'on voulait des espaces ouverts, des lieux publics de contemplation, du commercial, un mélange de logements à louer et à vendre et de la place pour les étudiants, car l'ouverture d'une nouvelle université faisait partie du projet. On avait des critères de durabilité touchant les déchets, l'énergie, des espaces verts pour chaque logis, le recyclage...» Et la liste des défis continue.

Au départ, ajoute Annika Kruuse, de l'Institut pour le développement durable de Malmö, le projet a été une sorte d'échec. Les architectes étrangers sont venus faire des maisons de l'avenir, l'expo a eu lieu, mais le public ne s'y est pas rué. Puis, un an ou deux plus tard, le projet a tranquillement séduit les résidants de la ville, qui y ont découvert, notamment, un nouvel accès à la mer. Et des complexes résidentiels très innovateurs (on puise notamment la chaleur du chauffage dans la mer), faciles d'accès (les transports en commun sont omniprésents) avec des solutions pour toutes les bourses, y compris des logements étudiants. Et un parc de planche à roulettes.

Au Danemark comme en Suède, la mentalité «le moins cher possible» n'existe pas. «Le design de qualité fait partie de notre identité culturelle», explique M. Christiansen. «On a une mentalité qui nous vient de nos ancêtres fermiers: tirer le meilleur parti possible de ce qu'on a (avant, la terre; maintenant, nos cerveaux), et combiner fonction et forme pour que ça dure toute la vie.»

«Quand on construit, on construit pour toujours», ajoute Solveig Nielsen, du Centre danois d'architecture.

Pour être sûr d'aller chercher les meilleures idées possibles, des concours internationaux sont souvent lancés, des experts sont embauchés. Pour transformer les rives du port de Copenhague, par exemple, on a fait venir des spécialistes néerlandais. «Ils savent depuis toujours comment construire sur l'eau», explique Mme Nielsen.

Bref, on consulte, on réfléchit, on fait appel à des experts.

«Ce qu'on veut éviter à tout prix, ajoute Mme Nielsen, ce sont les immeubles ennuyeux qui n'apportent rien à la ville.» L'idée, continue-t-elle, n'est pas de construire de beaux immeubles mais des créations complexes qui façonnent la vie urbaine. «Ce qu'on veut, ce sont des projets qui sont d'abord et avant tout humains. Qui permettent aux gens de vivre comme ils le veulent. Qui les rendent heureux.»

Staevnen : «J'habite depuis 18 mois dans le Staevnen, un immeuble de Vilhelm Lauritzen», dit le journaliste Kristian Mouritzen, qui explique que c'est l'idée de partir de rien du tout, sur papier, dans un champ, qui l'a d'abord attiré. «C'est la communauté que nous sommes en train de créer ici qui est fantastique», dit-il. Pour construire autour de son immeuble, les promoteurs doivent passer des tests rigoureux. «On a un plan très strict et on veut que, à la fin, ça nous donne un village. Avec des cafés, des restaurants, des bars, mais aussi des canaux, des parcs...» Le tout à quelques pas du métro. «L'endroit est plein de jeunes familles qui profitent des espaces verts. Pas loin, il y a la plage...»