En 2018, la Fondation Véro & Louis, fondée par Louis Morisette et Véronique Cloutier, a fait appel à une équipe de chercheurs pour réaliser un projet répertoriant les meilleures pratiques dans le monde en matière d’habitation pour personnes autistes. Le résultat est un modèle unique d’hébergement à long terme qui s’apprécie dans toutes les stratégies subtilement mises en place pour ses colocataires aux besoins particuliers.

« On était devant un cas où on partait de rien. Au Québec, les bâtiments conçus spécifiquement pour les personnes autistes sont souvent transitoires. Dans ce cas-ci, l’idée était de concevoir une maison à long terme où l’on puisse vieillir en se sentant chez soi », explique Katty Taillon, directrice de la Maison Véro & Louis. Les solutions proposées par l’équipe de recherche, qui ont ensuite fait l’objet de discussions avec les proches de personnes autistes, ont permis aux architectes d’Atelier Tag de créer un lieu sur mesure pour les futurs résidants.

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Katty Taillon, directrice de la Maison Véro & Louis

L’immeuble n’offre rien de spectaculaire au premier abord. À l’intérieur, il regorge toutefois d’idées qui peuvent passer inaperçues aux yeux du visiteur. Dans une pièce, un groupe vaque à ses activités : Geneviève déchire du papier pour canaliser son surplus d’émotions. Christian et Alexandre s’affairent à monter des casse-tête et des Lego comme ils le font chaque jour à cette heure. Un peu plus loin, dans la salle d’apaisement, Alexandra se fait masser, le regard perdu dans le paysage que de grandes fenêtres lui permettent de contempler. D’autres font la sieste ou se détendent en silence dans la pièce voisine. Ils sont ensemble… séparément.

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Alexandra dans la salle d’apaisement.

Quand on parle du spectre de l’autisme, ça implique une diversité de besoins et de réactions. Certains sont très sensibles aux stimulations, alors que d’autres en ont besoin.

Virginie Lasalle, responsable du DESS en design d’intérieur à l’École de design de l’Université de Montréal

« Le décor doit être pensé avec finesse, souligne Virginie Lasalle, de l’École de design de l’Université de Montréal, qui a été sollicitée pour le projet de recherche. L’idée n’est pas de limiter l’aménagement, mais d’offrir des choix qui peuvent être modulés en fonction des besoins. » Ainsi, les accessoires peuvent être déplacés et rangés selon les besoins. Le décor, lui, est polyvalent.

À l’étage, quatre maisonnées regroupent chacune quatre chambres autour d’un salon commun surmonté d’un puits de lumière. L’éclairage obtenu est naturel, jamais agressant. Justin, 25 ans, nous montre sa chambre où c’est Noël toute l’année. Il ne s’est pas encore fait d’amis depuis son arrivée il y a un an. Il préfère y passer du temps seul ou avec les intervenants. Ses couvertures sont douces et l’éclairage aussi, dit-il. « Pas comme les portes du placard en bois, qui, elles, sont rugueuses. »

  • Sarah Huxley et Justin

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    Sarah Huxley et Justin

  • La chambre de Justin

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    La chambre de Justin

  • Chaque maisonnée accueille quatre colocataires.

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    Chaque maisonnée accueille quatre colocataires.

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Dans le cocon de Justin, la température demeure fraîche en tout temps. « Certains résidants aiment être dans un environnement très froid. Pour d’autres, c’est l’inverse », relève Sarah Huxley, qui est responsable de la recherche pour la Fondation Véro & Louis. Chaque chambre est dotée de sa propre unité murale qui permet d’adapter la climatisation et le chauffage au goût de chacun.

Justin nous fait visiter la salle de bain partagée, là où « le savon sent vraiment bon ». Il utilise le miroir pour se raser et le referme ensuite, car certains résidants sont déstabilisés en voyant leur reflet dans la glace. Pour encourager l’autonomie des uns tout en ménageant les sensibilités des autres, les concepteurs ont trouvé cette solution hybride. La buanderie aussi sent bon, fait encore remarquer Justin. C’est là qu’il fait fièrement son lavage. « Cette pièce est étonnamment l’une des préférées des résidants, nous informe Virginie Lasalle, probablement parce que ce sont des lieux auxquels ils n’avaient pas accès avant. Ils sont impliqués dans des activités du quotidien et c’est valorisant pour eux. »

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Justin dans une salle de bain partagée. Des portes ont été installées devant le miroir de la pharmacie.

Un autre résidant nous attrape dans la maisonnée voisine. Alexandre passe l’essentiel de son temps devant son ordinateur ou à faire des dessins. Il nous ouvre la porte de sa chambre qu’il aime impeccablement rangée. Cet après-midi, il classe ses dessins et le contenu de son placard. « Tout doit retourner à sa place derrière les portes. Sinon, je n’arrive pas à me retrouver. »

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Alexandre dans sa chambre

Créer l’apaisement

Les résidants sont ici pour du long terme. Le décor doit donc s’adapter à une clientèle vieillissante. L’escalier qui conduit au rez-de-chaussée est recouvert de tapis qui absorbe le son et amortit les chutes, fréquentes. Un espace a été prévu pour accueillir éventuellement un ascenseur. « Il y a tout un langage architectural qui contribue à donner l’impression d’intimité et de chaleur à un lieu. Ici, on a voulu éviter l’effet corridor qui rappelle les milieux institutionnels ou les CHSLD, fait remarquer Virginie Lasalle. Le passage est toujours ouvert d’un côté et fait un crochet plutôt qu’une ligne droite. »

  • Deux salles à manger, l’une plus active et l’autre apaisante, sont séparées par la cuisine.

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    Deux salles à manger, l’une plus active et l’autre apaisante, sont séparées par la cuisine.

  • Des portes-fenêtres coulissantes offrent un accès à l’extérieur.

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    Des portes-fenêtres coulissantes offrent un accès à l’extérieur.

  • Le plancher est doux pour les pieds et les comptoirs d’acier inoxydable ont été brossés pour en atténuer l’effet réfléchissant.

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    Le plancher est doux pour les pieds et les comptoirs d’acier inoxydable ont été brossés pour en atténuer l’effet réfléchissant.

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Partout dans la résidence, les matériaux tiennent compte des réverbérations. Le bruit est atténué ; la lumière est diffuse et peut être modulée par des gradateurs. Côté couleur, des insertions de bois brisent la froideur du blanc tout en absorbant le son. Une attention particulière a aussi été accordée aux textures : le plancher est doux pour les pieds, aucune surface n’est réfléchissante. Les comptoirs d’acier inoxydable ont d’ailleurs été brossés pour ne pas déstabiliser l’utilisateur.

Le bâtiment ne présente aucune ouverture côté rue, mis à part la porte d’entrée. Cette configuration permet d’isoler les espaces communs du brouhaha extérieur. Les grandes fenêtres sont plutôt réservées aux aires communes et donnent sur un paysage verdoyant où un circuit de course a été aménagé. « Plusieurs l’utilisent comme moyen d’apaisement, que ce soit à pied ou à vélo. C’est une décharge motrice apaisante. C’est impressionnant de voir le nombre de tours qu’ils peuvent faire ! », note Sarah Huxley. À l’extérieur, les résidants peuvent se retrouver au potager, à la piscine, au spa ou dans les balançoires communes où les chaises sont mises en mouvement indépendamment.

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Les ouvertures se concentrent sur le côté plus apaisant du terrain.

L’interaction et la proximité d’autrui sont des défis auxquels les personnes autistes font face. Le choix de socialiser ou non leur est offert dans chaque espace. Les architectes ont d’ailleurs eu l’idée de concevoir deux salles à manger aux ambiances différentes : l’une est retirée et offre un environnement apaisant. L’autre, située du côté de la circulation, permet de suivre l’activité de la maison. L’ambiance est tranquille en cet après-midi de printemps à la Maison Véro & Louis. Ce serait une erreur de penser que c’est habituel, nuance Katty Taillon. « Ici, tout est fait pour favoriser la zénitude, mais on ne sait jamais de quoi nos journées seront faites ! »

La fondation en bref

La Fondation Véro & Louis s’est donnée la mission de créer des milieux de vie permanents adaptés aux autistes de plus de 20 ans. La maison de Varennes est sa première réalisation et accueille 16 adultes avec ou sans déficience intellectuelle, dans un environnement réfléchi pour leurs besoins. Les résidants y sont entourés d’une équipe d’intervenants 24/7, dans un ratio de 1 pour 4, dans le but de développer leur potentiel, d’encourager leur autonomie et de favoriser leur intégration sociale. En 2018, la Fondation Véro & Louis présentait les plans de ce nouveau concept d’hébergement et accueillait ses premiers résidants trois ans plus tard. Deux nouveaux projets verront éventuellement le jour dans le Centre-du Québec et dans les Laurentides.

Consultez le site de la Fondation Véro & Louis
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  • 94,4 %
    Proportion des adultes qui ont un trouble de l’autisme qui ont des sensibilités particulières à leur environnement, ce qui affecte significativement leur rendement de tous les jours.
    Donnée tirée d’une revue littéraire de l’université de portland