Une fois par mois, La Presse jette un regard sur les innovations architecturales qui façonneront le Montréal de demain.

De simples balcons peuvent-ils faire une différence dans l’empreinte carbone d’un grand immeuble ? Absolument, si l’on en juge par l’immeuble résidentiel Vivre1, signé par l’architecte montréalais Maxime Frappier.

Cette habitation de 150 logements, construite l’an dernier sur les terrains de l’ancienne gare de triage d’Outremont, se démarque par ses gracieux balcons asymétriques. À la fois sobres et sophistiqués, ils jouent un grand rôle dans le maillage entre les anciens bâtiments industriels et le nouveau campus de l’Université de Montréal. L’ensemble forme de jolies alvéoles aux lignes beaucoup plus élégantes que d’ennuyeux balcons rectilignes.

PHOTO FOURNIE PAR ACDF ARCHITECTURE

Les balcons conçus pour le projet Vivre1 sont isolés de la structure du bâtiment pour éviter qu’ils transmettent la chaleur de l’été et le froid de l’hiver.

Mais ces balcons ne sont pas simplement une réussite esthétique. Ils améliorent aussi le bilan énergétique de l’immeuble. Comment ? Tout d’abord, leur fabrication en usine génère peu de déchets. Ils sont aussi isolés de la structure du bâtiment, ainsi ils ne transmettent pas aux logements la chaleur de l’été ni le froid de l’hiver.

« Juste trois moules faciles à fabriquer avec un minimum de déchets. Simple, distinctif et durable », résume Maxime Frappier, qui prévoit un avenir florissant pour la préfabrication. « Les avantages sont nombreux. Le contrôle de la qualité, la fermeture rapide de l’enveloppe extérieure du bâtiment, des rues rapidement dégagées, le bruit et la poussière réduits au minimum… Tout cela contribue à l’acceptabilité du projet », souligne-t-il.

Inspiration de la côte du Pacifique

La simplicité de ce design est le fruit d’une longue démarche, amorcée il y a plus de cinq ans, par l’équipe de Maxime Frappier, président du cabinet ACDF Architecture. L’élément déclencheur de cette réflexion ? Le mandat de concevoir une luxueuse tour d’habitation de 39 étages au centre-ville de Vancouver.

Or, il n’est pas aisé pour une équipe d’architectes de concilier le design et les ambitieuses exigences vertes instaurées par cette municipalité. Les professionnels font face à une réglementation impitoyable – « aucune dérogation admise », précise Maxime Frappier – sur la protection des paysages et des zones d’ensoleillement, ainsi que sur l’efficacité énergétique.

« À ce chapitre, l’ouest du pays a une longueur d’avance sur nous », affirme Maxime Frappier, qui a fait sa marque en 2014 en dessinant le nouveau centre de congrès de Vancouver. « Quand on regarde le nouveau code de l’énergie du Québec, cela nous ramène à ce qu’on nous demandait là-bas il y a 10 ans. »

« Par exemple, l’une des normes imposées là-bas limite à 40 % la fenestration des bâtiments, question d’optimiser l’isolation. Nous qui pensions utiliser des murs-rideaux pour notre tour d’habitation, il a fallu tout jeter à la poubelle, se rappelle-t-il. Cela nous a obligés à développer le projet avec un regard beaucoup plus sérieux sur le développement durable. »

Esthétisme et énergie

De retour à la table à dessin, les troupes d’ACDF Architecture ont porté une attention particulière aux balcons. Pourquoi ? Tout d’abord, ils sont un élément essentiel à l’esthétisme de l’immeuble. En second lieu, ils influencent beaucoup l’empreinte carbone de la construction.

Les retailles des coffrages de formes diverses prennent souvent le chemin du dépotoir.

« Si je conçois un motif qui oblige le constructeur à jeter le tiers des matériaux, c’est inacceptable », croit Maxime Frappier.

De plus, les balcons construits traditionnellement transforment bien souvent un immeuble en gouffre énergétique.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

L’architecte montréalais Maxime Frappier, président du cabinet ACDF architecture, apporte un soin particulier aux balcons des bâtiments de grande hauteur.

Si le balcon est le prolongement de la dalle intérieure en béton, il refroidit l’appartement en hiver et le réchauffe en été. On doit alors ajouter une plinthe électrique et un climatiseur. C’est de l’énergie gaspillée.

Maxime Frappier, président du cabinet ACDF Architecture

Les balcons en recul, c’est-à-dire encastrés dans la façade et invisibles de la rue, peuvent aussi sérieusement plomber la performance énergétique d’un immeuble, affirme M. Frappier. « Si je dois ajouter un ou deux murs de 7 pi pour reculer une partie de la façade, cela augmente d’un à deux tiers la longueur de l’enveloppe extérieure. C’est énorme ! »

PHOTO FOURNIE PAR ACDF ARCHITECTURE

La luxueuse tour d’habitation The Pacific, signée par l’architecte Maxime Frappier, se distingue par son alternance de balcons triangulaires de pleine longueur, avec des sous-faces teintées de diverses nuances de gris.

La réflexion a porté ses fruits. Finalisée l’an dernier, la tour de Vancouver se distingue dans le paysage de la métropole par l’alternance de ses grands balcons triangulaires. Ce projet a obtenu la certification LEED Or décernée par le Conseil du bâtiment durable du Canada.

Raffinement

Cette réussite technologique, à Vancouver comme à Montréal, a convaincu le cabinet montréalais de poursuivre le raffinement de son concept.

IMAGE FOURNIE PAR ACDF ARCHITECTURE

La tour Barclay, prochainement construite à Vancouver, bénéficiera de la troisième génération de balcons créés par l’équipe de Maxime Frappier.

Pour un nouveau projet de grande tour résidentielle récemment accepté à Vancouver, il a créé une répétition de gracieux balcons en gouttes d’eau inversés, dans un assemblage très organique. À peine trois coffrages seront nécessaires pour mouler du béton léger d’un pouce d’épaisseur.

Cette nouvelle avancée laisse tout de même plusieurs questions en suspens, précise Maxime Frappier. Un balcon est-il vraiment nécessaire pour un logement situé au 30étage ? Ne vaudrait-il pas mieux les limiter aux 10 premiers étages et ajouter de grandes terrasses communes accessibles à tous ?

« Les balcons sont un bel exemple des changements majeurs qu’on est en train de vivre. Ils offrent plein d’occasions pour trouver l’équilibre entre l’efficience et le design », conclut-il.