Pour leur maison au cœur de la forêt laurentienne, des amoureux de l’art et du design italiens des années 1980 ont mis au défi l’architecte Jean Verville d’imaginer une œuvre à la fois extravagante et secrète. Une mission exécutée de façon brillante par le maître de la mise en scène.

Aussi farfelu que cela puisse paraître, c’est une majestueuse cape noire endossée, il y a quelques années, par l’architecte Jean Verville pour déambuler dans l’un de ses projets qui a convaincu un couple de passionnés d’art de frapper à la porte de son studio lorsque l’heure est venue de créer le lieu qui abriterait sa vie haute en couleur. Clin d’œil cocasse à ce point de départ non conventionnel : c’est dans une robe dorée de 20 mètres de long que la propriétaire a posé devant l’objectif du photographe venu figer la beauté d’un joyau architectural dans le ballet d’ombre et de lumière d’une journée d’automne en forêt.

« J’ai été très touché qu’ils ne me parlent pas d’une facture architecturale, mais plutôt de l’univers créatif du studio. C’était très stimulant, car ils nous invitaient à nous dépasser », pointe Jean Verville. Un grand jeu, de l’ordre de ceux qu’affectionne l’architecte, s’est alors mis en place.

PHOTO MAXIME BROUILLET, FOURNIE PAR LE STUDIO JEAN VERVILLE

La propriétaire dans une gigantesque robe en papier thermique doré confectionnée par ses soins

Les clients ont été invités à composer une sorte de scénarimage (storyboard) pour permettre au studio de mieux cerner les références qui les habitaient. Un répertoire d’ambiances plutôt que de tendances qui a fait glisser les échanges vers une fantaisie italienne débridée à coup de films et d’objets colorés. « Lorsque nous leur avons demandé l’image qui leur correspondait le mieux, ils sont venus avec un Pavarotti en bermuda sur une Vespa », rapporte l’architecte ravi de la tournure complice qu’a prise cette collaboration.

PHOTO MAXIME BROUILLET, FOURNIE PAR LE STUDIO JEAN VERVILLE

Des plaques de laiton ornent l’îlot de la cuisine.

Rigueur et paillettes

Au premier abord, rien ne permet de deviner le caractère extravagant de cette maison de plain-pied perdue au milieu de la forêt laurentienne. Son enveloppe de bois noir aux courbes organiques à un jet de pierre d’une petite cascade fait davantage penser à un repaire d’espions qu’à un écrin de collectionneurs audacieux. « Leur objectif était de disparaître dans la forêt, que la maison soit une sorte de monument ne laissant pas paraître de présence humaine », relève Jean Verville.

Pour mieux fondre la construction dans son environnement naturel, il s’est plié à une géométrie pointue en enlevant des pans de toiture superflus. Une astuce qui sera déterminante pour l’ensemble du projet, notamment grâce au gain de lumière qui en résultera.

PHOTO MAXIME BROUILLET, FOURNIE PAR LE STUDIO JEAN VERVILLE

La surface en granit noir poli de la table à manger reflète la forêt.

À cette rigueur formelle, cette austérité de façade, répond un intérieur fantasque bercé de références Memphis, ce groupement né à l’aube des années 1980, en Italie, et formé d’architectes et de designers qui prenaient un malin plaisir à mêler les influences en remettant en question le « bon goût » de l’époque. Les propriétaires ont plongé dans l’offre de matériaux sur le marché pour donner l’éclat souhaité au projet.

L’objectif n’était pas de faire un pastiche du mouvement Memphis, mais plutôt une interprétation de cet univers artistique dans tout ce qu’il incluait.

Jean Verville, architecte

PHOTO MAXIME BROUILLET, FOURNIE PAR LE STUDIO JEAN VERVILLE

Un papier peint en velours côtelé vert sapin habille les murs et le plafond de la chambre du couple. Une suspension de la marque portugaise Utu rappelle les créations du groupe Memphis.

Et la surprise est de taille ! Une aire ouverte, face à une longue baie vitrée, réunissant la cuisine, la salle à manger et le salon multiplie les reflets, et redéfinit l’espace grâce à des surfaces miroitantes. Une pellicule métallique dorée recouvre ainsi le long mur de rangement qui abrite le coin à café, la laverie et la garde-robe. Un plastique d’un jaune chaud comme le soleil accroche, lui, la lumière au plafond alors que des plaques de laiton ornent l’îlot de la cuisine où tout ce qui pourrait trahir des activités domestiques est gardé hors de la portée des yeux.

  • Le plateau de la table de la salle à manger a été découpé dans le bloc de granit noir de la cuisine.

    PHOTO MAXIME BROUILLET, FOURNIE PAR LE STUDIO JEAN VERVILLE

    Le plateau de la table de la salle à manger a été découpé dans le bloc de granit noir de la cuisine.

  • Une baignoire ancienne réémaillée et une lampe en forme de singe créent une installation artistique dans la salle de bains.

    PHOTO MAXIME BROUILLET, FOURNIE PAR LE STUDIO JEAN VERVILLE

    Une baignoire ancienne réémaillée et une lampe en forme de singe créent une installation artistique dans la salle de bains.

  • Les salles de bains ont été recouvertes de céramiques Mattonelle Margherita, de Nathalie Du Pasquier pour Mutina.

    PHOTO MAXIME BROUILLET, FOURNIE PAR LE STUDIO JEAN VERVILLE

    Les salles de bains ont été recouvertes de céramiques Mattonelle Margherita, de Nathalie Du Pasquier pour Mutina.

  • Autre salle de bains

    PHOTO MAXIME BROUILLET, FOURNIE PAR LE STUDIO JEAN VERVILLE

    Autre salle de bains

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Véritable spectacle

À l’ombre de cet espace énergisant rythmé de lignes courbes, les salles de bains font basculer le visiteur dans l’exubérance Memphis grâce aux céramiques bigarrées et pointillées de Nathalie Du Pasquier, membre du mouvement rebelle, pour Mutina. Pensées comme les installations artistiques que l’on peut voir dans des musées avec leurs baignoires, lavabos et toilettes singuliers, ces pièces défient, elles aussi, les codes domestiques classiques.

Consultez le site de Nathalie Du Pasquier (en anglais)

PHOTO MAXIME BROUILLET, FOURNIE PAR LE STUDIO JEAN VERVILLE

Les courbes de la maison se retrouvent à l’intérieur.

Cet intérieur aux assemblages que l’architecte qualifie volontiers d’improbables n’a pas fini de révéler des surprises. En cours de chantier, une fois les luminaires posés dans ce décor étincelant, des réflexions inattendues ont d’ailleurs fait leur apparition. « Quand on entre dans la maison, on assiste à un spectacle de lumière, un peu comme si on tenait un kaléidoscope », observe, réjoui, le magicien de ce domaine extraordinaire.

Consultez le site de Jean Verville architecte