Comment utiliser les contraintes des règles d’urbanisme comme moteur de création et penser « hors de la boîte » pour redéfinir « la boîte » ? L’équipe de La Shed Architecture s’est prêtée à l’exercice avec cette maison de Pointe-Saint-Charles – vaste, intime et pourtant baignée de lumière –, qui reçoit un Prix d’excellence en architecture 2022 pour sa vision innovante de la résidence en milieu urbain.
Maxim Regimbal-Éthier rêvait d’une grande maison unifamiliale et d’un terrain en ville avec piscine : les avantages de la banlieue à proximité du cœur de la ville où il pratique la médecine et se rend à vélo. Plutôt que de chercher la perle résidentielle, il a misé sur les artisans. La Shed a ainsi pu l’accompagner dès les balbutiements du projet.
Ensemble, ils ont d’abord défini la cible : un périmètre situé à proximité du marché Atwater et du canal de Lachine. L’étape suivante a été de cogner aux portes pour trouver un vendeur, une opération séduction vite soldée par l’achat d’une unifamiliale avec un terrain adjacent, alors utilisé comme stationnement. « Une dame cherchait justement à vendre, raconte Maxim Regimbal-Éthier. C’était un parfait entre-deux qui permettait d’habiter une maison pendant que se construisait l’autre à côté. »
Le client visait trois étages. Au moment de dessiner les premières esquisses, une nouvelle réglementation de l’arrondissement est venue limiter la construction à deux. « Ça nous a encouragés à décortiquer la réglementation pour faire un projet innovant, précise l’architecte Sébastien Parent, l’un des cofondateurs de La Shed. Il n’y a aucune dérogation sur ce projet qui est 100 % réglementaire. On a tout simplement modulé les plans en tirant profit du règlement plutôt qu’en se limitant à l’appliquer. »
À quatre pieds sous terre, un étage est considéré comme un sous-sol.
Les architectes ont pris le parti d’enfouir le rez-de-chaussée. « On réussit de cette façon à faire une maison de trois étages – cinq en tenant compte des demi-étages – qui est moins haute que la normale, explique Sébastien Parent. Et plutôt que de mettre des pièces moins utilisées au sous-sol, on y a mis les espaces de vie. »
Revisiter les volumes
De l’extérieur, le bâtiment reste relativement sobre, cherchant à s’intégrer à son environnement plutôt qu’à se distinguer. Sa devanture de 25 pi – une largeur standard en ville – est parée de briques qui s’harmonisent à celles de la maison voisine. Une grande ouverture imite quant à elle les portes cochères typiques des anciens immeubles de Pointe-Saint-Charles où on entrait jadis à cheval par la rue en l’absence de ruelle.
C’est une fois la porte franchie que le caractère distinct des lieux s’affirme véritablement.
Du palier de l’entrée, le visiteur descend les quelques marches qui conduisent au « rez-de-chaussée ». Les fondations de béton, volontairement exposées, appuient le geste architectural : un accent qui se poursuit sur le dosseret de la cuisine jusqu’au jardin. « Comme le salon est plus bas, on a moins conscience qu’il y a des bâtiments tout autour. Même s’il y a de grandes fenêtres à l’arrière, ça donne un effet enveloppant et un aspect très privé à la pièce », fait valoir l’architecte.
L’espace paraît vaste. Les pièces adoptent toutefois des dimensions standards. Les plafonds ne font pas plus de 8 pi de haut aux étages supérieurs et de 9 pi au rez-de-chaussée. Cette impression d’envergure est rendue par des ouvertures de pleine hauteur, un mobilier bas et épuré, une mezzanine qui surplombe le salon et de nombreuses ouvertures qui modulent astucieusement la lumière au fil du jour. Et c’est là l’une des plus frappantes réussites du projet : un éclairage naturel qui fuse sans jamais que les lieux soient amputés de leur aspect privé.
Lumière au zénith
À toute heure du jour, une grande ouverture sur trois étages fait entrer la lumière au cœur de la maison par deux grands puits de lumière. L’escalier, adjacent à cette faille, agit comme zone tampon entre la rue et l’intérieur et crée un écran d’intimité. S’y greffent deux ponts flottants qui unissent les parties avant et arrière du bâtiment. De cet espace de transition, peu importe l’étage, il suffit de poser le regard vers le haut ou le bas pour que se dévoile l’aménagement des lieux. À l’horizontale se révèle plutôt le paysage extérieur composé de jolies corniches et de feuillages.
« Quand je regardais sur les plans, j’avais de la difficulté à imaginer cette zone qui semblait étroite. Finalement, je pense que c’est l’espace le plus spectaculaire de la maison », commente l’occupant des lieux, qui a donné carte blanche aux concepteurs en leur accordant sa pleine confiance.
La faille a depuis révélé d’autres attraits. Qu’elle fuse du toit ou de la façade avant, la lumière projette des motifs changeants sur les murs selon les heures et les saisons. Filtrée à travers les panneaux d’acrylique de l’escalier, elle révèle par ailleurs des ombres chinoises et une aura de mystère. Avec un tel jeu de lumière et des volumes travaillés, le décor appelle la sobriété. Ici, l’architecture occupe l’espace sans plus de fioritures.
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