Ressent-on les villes avec nos sens ? L’expérience sensorielle se vit-elle différemment à Paris, à Montréal ou à Shanghai ? Les architectes français Jacques Ferrier et Pauline Marchetti sont persuadés que oui. Même plus, ils croient que ville et sensualité vont de pair. Pour en savoir plus sur ce concept rarement exploré en architecture, le Centre de design de l’UQAM accueille ce tandem venu de Paris, qui y expose sa vision sensorielle de la ville. Le point en quatre temps.

La ville sensuelle

« La sensualité comporte une part d’imaginaire et de mystère qui nous plaît, et je crois que c’est quelque chose auquel on tient beaucoup », lance d’emblée Pauline Marchetti, en entrevue téléphonique avec son associé Jacques Ferrier, en direct de Paris. Les deux architectes se préparaient à leur départ pour Montréal, afin de peaufiner les derniers détails de l’exposition consacrée à leur travail.

« Est-ce que les villes ont une sensation, est-ce que les sens sont stimulés d’une certaine façon par une certaine ville ? », demande l’architecte Philippe Lupien, co-commissaire de l’exposition avec Pauline Marchetti. « On a tous cette impression-là, mais est-ce qu’on est capable de la mettre en œuvre comme architecte, comme créateur ? »

PHOTO RAFAEL YAGHOBZADEH, FOURNIE PAR V2COM

Dans leur laboratoire de Paris, Pauline Marchetti
et Jacques Ferrier travaillent sur leur concept de « ville sensuelle ».

C’est la question sur laquelle travaillent Ferrier et Marchetti, dans le laboratoire qu’ils ont créé à Paris. « Ils tentent de créer une forme de lexique, qui nous permettrait d’identifier l’ensemble des sensations qui pourraient définir tantôt Shanghai, tantôt Paris, tantôt Montréal, tantôt les villes méditerranéennes, par exemple », illustre Philippe Lupien, qui est aussi professeur en design de l’environnement à l’École de design de l’UQAM.

« À Shanghai, tu ne peux pas sortir sur ton balcon sans en ressentir le bruit, l’odeur. Mais d’une certaine façon, Paris aussi a une odeur et un bruit, une acoustique. À Montréal, c’est quoi la ville hivernale ? Il y a un son, une odeur, une façon de vivre l’hiver à Montréal qu’on n’a pas ailleurs », poursuit Philippe Lupien.

Celui-ci a d’ailleurs réuni quelques architectes d’ici pour discuter de ces enjeux autour d’une table ronde. La soirée, qui aura lieu le 30 octobre, réunira notamment Anne Cormier et Georges Adamczyk, professeurs à l’Université de Montréal, Rami Bebawi, de chez Kanva, et Hubert Pelletier, cofondateur de Pelletier de Fontenay.

La rencontre avec la ville chinoise

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La conception du pavillon français à l’Exposition universelle de Shanghai a marqué un tournant dans la pratique architecturale de Ferrier Marchetti.

Tout ce questionnement a commencé en 2010, lorsque Jacques Ferrier et Pauline Marchetti ont élaboré le pavillon français de l’Exposition universelle de Shanghai.

« C’est dans ce cadre-là qu’ils se sont posé la question de comment transmettre l’altérité, l’expérience de l’autre, dans un endroit comme ça. C’est là qu’ils ont regroupé leurs forces et ça a été le début d’une grande réflexion », souligne Philippe Lupien.

« Depuis cette époque, nous avons créé ce studio de recherche pour essayer de trouver les outils, la méthodologie qui peuvent nous permettre d’appliquer ce concept aux projets que nous développons », renchérit Pauline Marchetti.

PHOTO FOURNIE PAR FERRIER MARCHETTI STUDIO

Pour Ferrier Marchetti, le bâtiment peut porter son propre paysage,
comme dans ce projet à Montpellier, en France.

L’idée est donc de remettre l’humain au centre du design. Ainsi, dans la création d’un immeuble à appartements à Montpellier, ils ont décidé de faire la conception à partir d’une succession d’ambiances, au lieu des traditionnelles coupes et dessins techniques. « Plutôt que d’aller dans l’urbanisme de géométrie, on travaille avec des storyboards : je laisse ma voiture, je monte l’escalier, je passe la porte, je rentre chez moi… », illustre Jacques Ferrier.

La ville comme problème et solution

La dimension environnementale est aussi très importante pour le tandem d’architectes. Surtout, il tente de s’inscrire dans une vision durable de l’architecture. « La toile de fond, c’est aussi les enjeux environnementaux », insiste Jacques Ferrier. Selon lui, cette dimension va intimement avec l’idée de faire la ville autrement. « Nous pensons que ce sont les villes qui sont à la source majeure du problème aujourd’hui, en termes de transport, d’émissions de CO2, de construction. Ce sont donc elles qui doivent être le remède à la crise qu’elles ont créée. »

Ferrier et Marchetti ne renient pas les prouesses de la technique, qui est déjà beaucoup moins lourde que dans les années 70, par exemple. Mais justement, ils lui demandent de se faire plus discrète, puisqu’elle en a maintenant les capacités. « On a besoin de la technique pour le confort, la climatisation, le chauffage… À Montréal, il est évident que la question climatique est fondamentale, avec les étés très chauds et les hivers très froids. L’essentiel, c’est de dire que cette technique, évidemment on ne la réfute pas, mais on lui demande de se faire oublier. Ce sont les humains qui devraient imposer le rythme, pas la technique », expose Jacques Ferrier.

Ville et paysage

PHOTO LUC BOEGLY, FOURNIE PAR V2COM

Dans le projet T20, à Xujiahui, le stationnement devient un « jardin suspendu ».

Dans la même veine, ils croient énormément à la biodiversité en ville, à l’ère où l’agriculture industrielle comporte son lot de problèmes. « Il ne s’agit pas uniquement de se contenter de la flore, mais il faut vraiment penser à la biodiversité, aux animaux et à l’écosystème », affirme Jacques Ferrier. Il imagine facilement une diversité d’insectes, d’animaux, d’oiseaux dans nos milieux urbains. « La ville, pour Pauline et moi, a un véritable potentiel de paysage. »

Le bâtiment doit être porteur de son propre paysage. Par une cour, par les terrasses, par les jardins, le bâtiment va lui-même amener une part de nature en ville.

Jacques Ferrier

En mai dernier, à l’occasion de l’événement Design international, les étudiants de l’UQAM ont participé à un atelier avec Jacques Ferrier. Le résultat de leur travail sera également présenté à l’expo. « Il y a donc deux choses dans l’exposition, c’est la rencontre du travail que j’ai mené avec Pauline dans notre laboratoire de recherche, et c’est aussi la rencontre avec Montréal », résume le principal intéressé.

Pour s’inspirer et trouver des pistes afin de mettre l’humain au cœur de l’architecture, on peut aller faire un tour au Centre de design de l’UQAM. Afin de voir ce qui se fait ailleurs, pour mieux imaginer ce que nous pourrions créer ici, avec tous nos sens.

Entre-deux, une architecture de la résonance Jusqu’au 10 novembre au Centre de design de l’UQAM 1440, rue Sanguinet, Montréal.

>>> Consultez le site du Centre de design de l’UQAM