Se libérer de l’hypothèque, réduire sa consommation et son empreinte écologique : l’engouement pour les minimaisons incarne la promesse d’une vie plus simple et plus respectueuse de l’environnement. Ce rêve passe-t-il le test de la réalité ?

L’avenir, Larry Foisy ne le rêve pas en grand, mais en plus petit. Sa compagne, son bébé et lui feront partie des 73 ménages qui habiteront Le Petit Quartier, une coopérative de minimaisons en développement à Sherbrooke. Lorsqu’on lui demande ce qui le motive à vendre son duplex, dont sa famille occupe environ 2000 pi2, pour une habitation de moins de 900 pi2, il a une réponse toute prête : il souhaite vivre « dans l’être plutôt que dans l’avoir ».

« On s’est rendu compte assez vite qu’environ 50 % de tout le matériel qu’on a chez nous est inutilisé. Toute la superficie n’est pas utilisée non plus, explique-t-il. J’ai toujours habité dans des logements plus petits et je n’étais pas moins heureux que maintenant. Ce n’est pas le fait d’avoir des commodités et du matériel qui fait en sorte qu’on a une meilleure qualité de vie et qu’on est plus heureux. »

Choisir de vivre « dans plus petit » demeure un choix marginal, convient le père de famille de 38 ans. « On va à l’encontre de ce que la majorité des gens veulent et même de ce qu’on pensait il y a quatre ou cinq ans », dit-il. L’idée s’est toutefois imposée à ce couple comme à quantité de gens aux États-Unis, où le concept gagne en popularité depuis la crise de 2008, et au Québec, où un mouvement des minimaisons est né en 2017.

Cet engouement, Guillaume Lessard, chercheur à l’INRS, l’attribue notamment aux documentaires, blogues, pages Instagram et fiches Pinterest qui vantent ces habitations. Des images dans lesquelles il est facile de projeter des désirs de liberté, de minimalisme luxueux, enrobées de valeurs écologiques. « Les gens s’y intéressent parce que ça fait rêver », résume-t-il. Son rapport Le mouvement des minimaisons au Québec témoigne de l’essor de ce type d’habitation, mais s’attarde aussi à l’envers de la médaille.

Une question de sous

Les minimaisons séduisent souvent par l’ingéniosité de leur aménagement et par leur design soigné. Les discours qui en font la promotion misent toutefois sur deux arguments principaux : leur aspect écologique (l’économie d’énergie, notamment) et leur bas prix, qui permettrait de se libérer plus rapidement d’une hypothèque et qui favoriserait l’accès à la propriété pour les ménages moins nantis.

Sylvain Nadeau, de Confort Design, propose des maisons de 725 pi2 à 800 pi2 pour 175 000 $ à 200 000 $, terrain compris, notamment dans Lanaudière et en Estrie. Son commerce a le vent en poupe, dit-il. Richard Painchaud, instigateur bénévole du Petit Quartier, décrit des habitations d’environ 625 pi2 à 800 pi2 vendues autour de 151 000 $.

Qui achète ? À Sherbrooke, quelques jeunes familles comme celle de Larry Foisy, mais aussi des retraités dont ce ne sera pas la première propriété. Sylvain Nadeau constate pour sa part que ses clients sont rarement des premiers acheteurs. Il estime que 75 % d’entre eux vendent la maison où ils ont élevé leur famille, alors que 20 % souhaitent posséder une résidence secondaire. Il ne reste que 5 % de tout nouveaux propriétaires.

« Ma clientèle, c’est des gens de 50 ans et plus », résume-t-il, précisant que ces gens veulent du neuf pour éviter les travaux et les frais d’entretien.

« C’est un concept qui est orienté sur l’idée de profiter de la vie et des loisirs. »

Une partie de ses clients souhaitent utiliser ces économies pour voyager ou passer l’hiver au soleil. La conclusion s’impose d’elle-même, selon Guillaume Lessard : ce type d’habitation ne favorise pas l’accès à la propriété.

Le chercheur ajoute que ce concept né en Californie omet un détail qui n’en est pas un sous nos latitudes : ces longs mois d’hiver où l’on vit surtout à l’intérieur. Ce n’est pas un sujet de préoccupation pour Larry Foisy, qui ne craint pas de se sentir confiné. « Pas plus que si j’étais en condo ou en appartement, précise-t-il. Que ce soit l’été ou l’hiver, le pourcentage de mon logement que j’utilise en ce moment correspond à une minimaison. » Vivre dans moins cher va peut-être « libérer des fonds pour pouvoir faire encore plus d’activités hivernales », pense même le père de famille.

Plus « vertes » ?

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Larry Foisy, sa compagne Claudie Archambault et leur garçon Naoki

Les considérations financières pèsent plus lourd que les arguments écologiques dans le choix des acheteurs, selon l’expérience de Sylvain Nadeau. Il n’en demeure pas moins que les minimaisons sont souvent présentées comme un choix plus écologique que les habitations plus grandes. Ce discours demande bien des nuances, estime Guillaume Lessard, qui y voit surtout du marketing vert.

Construire une nouvelle maison, c’est d’abord utiliser des matériaux neufs, le plus souvent dans un nouveau lotissement. « L’idéal est de redévelopper ou d’actualiser des territoires déjà développés. Ne serait-ce que parce que toutes les infrastructures – voirie, aqueduc, égouts – sont déjà là. Tu n’as pas à défricher un nouveau territoire ni à empiéter sur des terres agricoles, explique-t-il. Ça, c’est l’idéal. »

Le cœur de l’enjeu, selon le chercheur, c’est l’emplacement de la maison. L’empreinte écologique d’un ménage ne se mesure pas seulement à la quantité d’énergie qu’il utilise, mais à son empreinte sur le territoire et à son style de vie. Sur ce plan, il n’y a pas de différence majeure entre une famille qui vit dans une minimaison et doit posséder deux voitures et une autre qui habite une maison de taille standard.

Guillaume Lessard juge toutefois que le cas de Sherbrooke est un « bon exemple » pour construire un nouveau lot de maisons unifamiliales tout en limitant l’étalement urbain. Ce secteur se trouve près des services – et des transports en commun, précise Richard Painchaud – et la taille des habitations permet de construire avec des impacts moindres sur la nature.

Ce concept n’est peut-être pas exportable partout, en revanche. D’abord parce que ce mode de vie en coopérative implique un partage de certaines structures (dont une salle communautaire) et parce qu’il n’est pas toujours possible de maintenir des coûts aussi bas.

« Ce serait très difficile de faire un développement de micromaisons à Laval, par exemple, parce que le terrain coûterait 200 000 $ et pour une micromaison, les gens veulent payer 200 000 $ et moins, terrain compris. On n’a pas le choix d’aller en périphérie ou de s’éloigner des grands centres. »

En ville, des gens rénovent déjà d’anciens garages pour en faire des habitations de la taille d’une minimaison. Guillaume Lessard voit dans les petites habitations une occasion de densifier, un logis à la fois, les secteurs déjà habités. Où ? Dans les zones urbaines et les proches banlieues où la superficie des terrains permettrait d’ajouter une annexe ou de construire en fond de cour. « Il faut voir les choses différemment, suggère le chercheur, si on veut voir un avenir à la minimaison au Québec. »

Des défis pour les minimaisons

• Code du bâtiment

La construction de minimaisons se heurte souvent à des contraintes administratives comme les règles du code du bâtiment. « Les constructeurs disent en général que, en bas de 700 pi2, tu n’es pas conforme au code », dit Guillaume Lessard.

• Zonage

Chaque municipalité a ses règles en ce qui concerne le zonage, la largeur minimale des façades des maisons et le recul face à la rue. Sylvain Nadeau, de Confort Design, estime toutefois que les villes démontrent de plus en plus d’ouverture à la construction de minimaisons.

• Consommation

Vivre dans petit ne veut pas nécessairement dire consommer moins, selon la chercheuse anglaise Megan Carras, qui a étudié le phénomène des minimaisons. Une partie des propriétaires de petites habitations conservent ainsi des possessions dans un entrepôt et d’autres appliquent simplement la règle du « un objet entre, un autre sort », ce qui peut favoriser la consommation.

Lire le rapport Le mouvement des minimaisons au Québec: http://www.larpent.ca/wp-content/uploads/2017/10/Publication_MiniMaisons.pdf