L'architecte Jean Verville connaît un joli succès dans les concours avec ses projets... au point où il reçoit parfois des CV de jeunes architectes de l'étranger qui aimeraient bien travailler dans son bureau. Or, cet adepte de la compacité n'a pas de grand cabinet.  Il s'adjoint plutôt des équipiers  au gré des projets. Incursion  dans l'antre du créateur.

Jean Verville marche beaucoup. Par goût, par commodité, et parce que pendant ce temps-là, ça marche aussi beaucoup dans sa tête. Au fil de ses pas, l'architecte montréalais qui accumule les distinctions ici et à l'étranger pense à ses projets, ajuste mentalement ceci ou cela, cherche la solution à telle ou telle contrainte... Et il se demande toujours comment faire plus avec moins.

«Je suis maniaque de la fonctionnalité et de la compacité», résume celui pour qui l'avenir réside dans les espaces plus compacts, mais ultra-efficaces.

En cet après-midi de fin d'hiver, l'architecte reçoit La Presse dans son hangar. De l'extérieur, la baraque de tôle ne se différencie en rien des autres résistantes qui se dressent encore dans les ruelles montréalaises. Mais une fois à l'intérieur, on se retrouve dans une autre dimension. L'extravagance du lieu tient à son dénuement et à sa simplicité. Du presswood partout , plafond, plancher, avec une trappe quasi invisible qui donne accès à un autre étage. Le plan de travail est noir, couleur fétiche de l'architecte, parce qu'elle magnifie ce qu'elle touche. La lumière entre aisément par de grandes portes-fenêtres, côté cour.

Cette «boîte dans une boîte», comme la décrit son concepteur, il l'a fabriquée sans plan, pour une fois. Simplement en jouant avec les matériaux dans l'espace.

L'idée de départ était de réaliser une installation architecturale, dans le cadre de son doctorat en art à l'UQAM. Le projet a évolué. L'architecture «domestique», avec ses contraintes, s'y est greffée. Une fois finie, la fonction de «la chose» est venue toute seule. «Je me suis dit: il faut que je travaille ici», explique Verville. Le hangar est devenu un lieu de création.

Il est à noter que la transformation de ce hangar s'inscrit dans la trilogie «IN 123.» Ces trois projets de Jean Verville allient art, architecture et aspect domestique. IN 1 est son atelier, IN 2, une maison dans Villeray, et IN 3, un loft dans le centre-ville de Montréal. En 2017, les trois projets ont suscité la curiosité et fait l'objet d'une couverture médiatique internationale.

Le client muse

L'évolution d'un projet, la créativité déjantée, c'est un peu beaucoup la marque de Jean Verville. Que ce soit dans le résidentiel ou le commercial, ce qui l'allume, c'est de créer le projet avec le client. «On se glisse dans un projet de création commune pour arriver à faire un autre type projet. Le client est muse et collaborateur. Les gens ont toujours de la créativité, même ceux qui pensent le contraire.»

Le Japon, source d'inspiration

Le Japon, où il a fait plusieurs séjours de recherche, est une grande source d'inspiration pour Jean Verville. Il a visité un grand nombre de maisons compactes, beaucoup de musées et d'installations, et tissé des liens avec des artistes et architectes de là-bas. 

«Le Japon, c'est comme des vacances pour les yeux. L'architecture est vibrante, tout est beau, dit-il avec admiration. Ils ont d'autres façons de créer et d'occuper les lieux!»

Photo François Bodlet, fournie par Jean Verville

IN 1, Hangar, c'est l'atelier de Jean Verville

Bureau mobile

Jean Verville est toujours un peu surpris de recevoir des CV de jeunes architectes d'ailleurs dans le monde. Ils pensent sans doute que l'architecte a un grand bureau avec beaucoup d'employés. Mais l'homme n'est pas dans l'exubérance du pied carré. 

«Je n'ai pas de giga-bureau, j'ai plein de petits bureaux satellites, comme ici [le hangar], dans la maison, dans le chalet des Cantons-de-l'Est... Mon bureau, c'est mon ordi», résume l'architecte, qui mène plusieurs projets de front. Il sollicite des collaborateurs et monte des équipes au gré des projets, explique-t-il.

M. Verville et sa conjointe, l'artiste céramiste France Goneau, ont quitté un immense loft il y a quelques années pour s'établir dans une maison de moins de 900 pi2 dans le Plateau. Une shoebox, comme on les appelle. L'architecte l'a bien sûr transformée, dans un esprit de fonctionnalité et de minimalisme. Et ça leur convient parfaitement.

L'architecte vit modestement, dit-il, mais s'accorde le luxe de choisir ses projets. L'ordinaire, le standard l'intéressent peu. Il laisse entendre qu'il cherche plutôt à faire de «l'extra-ordinaire» avec des clients qui apprécient sa manière inclusive de travailler.

Créer, toujours. C'est à cela qu'il pense quand il marche pour aller enseigner à l'université, visiter des clients ou pour se rendre ici et là dans la ville. «Je peux marcher 12 km par jour. J'aime concevoir en marchant. Je suis un architecte-marcheur!», lance-t-il en riant.

Photo François Bodlet, fournie par Jean Verville

«Tirez la chevillette et l'échelle cherra...» Voilà l'accès pour aller à l'étage du hangar.