Passage obligé entre les niveaux d'une maison, l'escalier n'a pas uniquement une fonction pratique. Il fait aussi partie du décor. Les architectes le revisitent et y voient l'occasion de faire preuve de créativité.
Le cordon ombilical de la maison
Ce n'est pas parce que les escaliers ont une fonction bien pratique dans les maisons que leur place dans l'architecture est réduite à l'utilitaire, bien au contraire.
Lorsqu'on demande à l'architecte Stéphane Rasselet si les escaliers sont pour lui une contrainte lorsqu'il entreprend un nouveau projet, sa réaction témoigne du plaisir qu'il a à les concevoir.
« C'est loin d'être une contrainte ! Les escaliers, c'est un des éléments avec lesquels on peut être les plus créatifs dans un projet. L'escalier peut animer de façon très importante un espace de vie. Si on a la chance d'en faire un très visible, ça devient comme une scène de théâtre, ça dynamise l'activité humaine dans la maison », dit le patron de l'agence _naturehumaine.
Monter, descendre. La fonction en apparence simple est aussi essentielle dans la pratique de l'architecte Nathalie Thibodeau.
« Pour moi, c'est le coeur d'une maison, le lien vertical entre les étages. C'est le cordon ombilical qui va relier toutes les parties de la maison, les lieux publics avec les lieux privés. C'est un lien unificateur et un élément architectural qui va marquer l'esthétisme de la maison », dit-elle.
Même extérieurs, les escaliers ne sont pas à négliger. « Ils sont le prétexte à marquer les liens entre les différents locataires », indique Nathalie Thibodeau. Elle a récemment conçu un projet d'agrandissement dans lequel les propriétaires souhaitaient rendre plus discret un escalier d'issue qui mène dans une ruelle, une « localisation ingrate ».
Pour un projet conçu récemment dans une rue passante, les architectes d'Open Form se sont quant à eux servis des escaliers comme d'un écran végétal. « L'été, les vignes vont pouvoir s'agripper au garde-corps, ce qui va former un jardin vert qui monte, qui sera suspendu », explique l'architecte Maxime Moreau.
Créer entre les contraintes
Les revues et sites consacrés à l'architecture regorgent d'escaliers plus spectaculaires les uns que les autres conçus un peu partout sur la planète. Des aménagements qui, bien souvent, ne seraient pas permis en vertu du Code de la construction du Québec.
« On le voit beaucoup en Europe, mais c'est encore pire au Japon. Souvent, les escaliers n'ont pas de garde-corps, note l'architecte Stéphane Rasselet. On voit des projets où les enfants sont au troisième étage, les pieds pendants dans l'ouverture... Il y a une différence de mentalité sociale, je ne sais pas comment expliquer ça. La sécurité dans les escaliers est importante et je ne pense pas que ce soit une entrave à l'originalité. »
Les architectes doivent notamment concevoir des garde-corps qu'on ne peut escalader. « Ça nous oblige à travailler la verticalité, ou à travailler en plein. C'est parfois frustrant, on aimerait aussi pouvoir déployer les barrotins à l'horizontale. Mais ça nous oblige à être créatifs », philosophe Nathalie Thibodeau.
Une créativité essentielle pour l'architecte qui considère que l'escalier est au coeur de sa pratique. Un avis partagé par le fondateur de _naturehumaine. « En architecture, l'escalier a toujours été un objet avec lequel on pouvait faire quelque chose dans un projet. On peut remonter très loin en arrière. Dans les châteaux de la Loire, les escaliers sont importants », rappelle Stéphane Rasselet.
L'esthétisme des escaliers varie avec les époques, note Nathalie Thibodeau. « Dans les années 50, on avait des garde-corps extrêmement typés. Si on regarde le duplex montréalais plus haut de gamme, souvent les escaliers sont en bois massif, ont des moulures, des barrotins ronds. Les escaliers marquent l'époque dans laquelle on s'inscrit, et c'est le cas aujourd'hui. Je n'ai aucun problème à marquer mon temps », dit l'architecte.
Un chalet en gradins
Ce ne sont pas à proprement parler des escaliers, mais les gradins du chalet du lac Jasper s'y apparentent. Visite d'un lieu pour le moins étonnant.
« Aller au bout de l'idée de départ », voilà ce que souhaitaient Sylvain Bilodeau et Nicolas Mathieu-Tremblay, du studio Architecturama, en concevant le chalet du lac Jasper, dans Lanaudière.
En premier lieu, il y avait notamment l'idée de prolonger les pentes offertes par le terrain à l'intérieur du chalet. « Il y a deux pentes, une qui va vers l'ouest, l'autre qui va vers le sud. On voulait les faire entrer dans la maison », explique Sylvain Bilodeau.
En tant que concepteurs et clients, les associés avaient toute la latitude pour mener à bien leur idée.
Sur la planche à dessin, les gradins se sont imposés. Non seulement ils seraient centraux dans l'habitation, mais ils auraient aussi diverses fonctions.
C'est aussi une structure qui désarçonne. L'architecture proposée par la jeune firme est tout sauf conventionnelle. « On ne dit pas aux gens qu'ils doivent faire ça. Mais on est arrivés à ça et on n'avait pas besoin de toujours valider avec un client, donc on y allait à fond. »
Sur plan, il est ardu de comprendre la division de l'espace, que les architectes ont classé en deux sections : les « espaces minimums » et « l'espace maximum ». En le visitant, on comprend que le chalet est en grande partie fait de paliers. Le reste des espaces, soit la cuisine, les couchettes et les salles de bains, sont localisés à l'arrière du grand volume. Ils n'occupent qu'environ six pieds de largeur et sont immuables.
Pour le reste, tout est amovible. Les blocs de bois fabriqués par les architectes bougent au rythme des activités, des invités. « Le chalet peut accommoder plusieurs visiteurs en même temps. C'est souvent ce qui arrive. Quand on est seul, l'espace devient plus solennel, il y a un côté plus zen. » Par les grandes fenêtres, le lac et la forêt lanaudoise se déploient.
Les projets d'Architecturama ne sont pas tous aussi « insolites », note Sylvain Bilodeau. Le bureau a notamment conçu une maison de plain-pied sans sous-sol, presque en opposition avec le chalet aux multiples paliers.
« Pour le chalet, nous voulions imaginer des solutions qui vont au-delà de ce qui est convenu. Disons que c'est une architecture enthousiaste », dit en riant Sylvain Bilodeau.