Les vicissitudes de la vie nous amènent parfois à quitter un logement exigu pour une vaste demeure, mais aussi à exécuter l’opération inverse, une situation avec laquelle nos aînés particulièrement doivent composer. Or il n’y a pas de magie, seulement une tautologie : si ça ne rentre pas… ça ne rentre pas. Comment bien s’organiser pour réussir la transition moins douloureusement ? Un guide signé par une professionnelle rompue à l’exercice de mettre les grands plats dans les petits pourrait vous éclairer.

Jocelyne Jolicœur Raymond résidait depuis plus de 50 ans dans sa maison familiale de Coteau-du-Lac. Au gré de ces 5000 pi⁠2 répartis sur trois niveaux, l’espace pour entreposer meubles et objets n’a jamais manqué. « Nous avions toujours la place d’en rajouter, avec des “au cas où” qui se sont accumulés », raconte la dame aux 79 printemps. Malheureusement, avec l’hospitalisation de son mari, l’entretien d’un si grand logis était devenu ingérable. Mme Jolicœur Raymond s’est résignée à vendre la résidence pour s’installer dans un 4 et demie locatif, situé au rez-de-chaussée d’une maison de Saint-Zotique. Bien que les pièces y soient spacieuses et qu’elle ait accès à un sous-sol complet, le changement d’échelle l’a contrainte à faire des sacrifices.

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Jocelyne Jolicœur Raymond a déménagé dans un 4 et demie locatif, situé au rez-de-chaussée d’une maison de Saint-Zotique.

« J’avais beaucoup, beaucoup de matériel chez moi. Mes enfants ont commandé un conteneur et on en a jeté énormément. C’est sûr que ça fait un petit quelque chose », se souvient-elle. La dame, qui est parvenue à sauver (en partie) les meubles, a tout de même réussi cette transition difficile au prix d’efforts continus pour elle-même et ses proches. Car déménager dans plus petit, ce n’est pas une mince affaire...

Le soutien des proches

Des cas comme celui de Mme Jolicœur Raymond, Marie-Christine Fortin en voit passer par boîtes entières à longueur d’année. Cette évaluatrice agréée en biens mobiliers et fondatrice d’Evolia Transition, entreprise qui aide à gérer ce genre de déménagement, a récemment consigné sa précieuse expérience dans un guide, Emménager dans plus petit sans souci.

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Marie-Christine Fortin, évaluatrice agréée

De façon très concrète, Mme Fortin y explique par quel bout commencer, comment mener la tâche parfois titanesque du tri, quoi faire du surplus ou la meilleure façon de planifier la transition. Pour une personne seule habitant une maison de taille moyenne, la professionnelle estime que quelque 200 heures sont nécessaires pour tout boucler. Son premier conseil : s’y prendre le plus tôt possible. « Quand la date est déjà déterminée, certains vont avoir besoin de tout noter et rationaliser pour y voir clair. S’il n’y a pas de contrainte de temps, mais que l’on sait que la transition finira par s’imposer, on peut y aller par objectifs, par exemple s’occuper de la petite pièce sous l’escalier », conseille-t-elle.

Son ouvrage insiste sur les conditions éprouvantes dans lesquelles cette épreuve peut survenir : mort d’un conjoint, placement en institution, maladie, problèmes financiers, etc.

Si c’est une obligation imposée par la vie, c’est certain que cela peut être beaucoup plus difficile de se mettre dans de bonnes dispositions. Un travail psychologique profond doit être entrepris, avec une aide extérieure, des membres de sa famille ou des amis. Être bien entouré joue pour beaucoup.

Marie-Christine Fortin, évaluatrice agréée en biens mobiliers et fondatrice d’Evolia Transition

Un tri du cœur

Nerf de la guerre, le tri peut vous triturer l’esprit, c’est pourquoi il occupe une place de choix dans l’ouvrage de l’évaluatrice. Elle recommande de procéder par petites séances, pièce par pièce, en choisissant le moment de la journée où l’on est le plus efficace. Pas facile, car la valeur sentimentale brouille les pistes et nous conduit à vouloir tout garder, chose impossible. « Quand on a des doutes, on peut laisser tomber une tablette ou un tiroir qui nous décourage, ou faire deux ou trois tris de cet espace. Si notre intuition nous dit de garder l’objet pour l’instant, alors on pourrait l’emballer et le déménager, quitte à refaire le tri tranquillement une fois installé et que la pression est passée », indique-t-elle.

Jocelyne Jolicœur Raymond peut en témoigner, elle qui a dû placer dans une benne des biens qui lui étaient chers. « Quand on a été dans un endroit longtemps, ce sont des deuils très difficiles à faire. J’avais trois grandes belles photos de moi dont j’ai dû me débarrasser, ça m’a arraché le cœur », se chagrine-t-elle.

Pour les meubles, prendre des mesures et dessiner des plans à l’échelle augmentera les chances de réussir ce jeu de Tetris. Mme Jolicœur Raymond s’en est bien sortie, mais a dû dire adieu aux meubles des chambres de ses enfants et revendre plusieurs fauteuils en cuir. « Le piège, surtout dans les cas de succession, c’est que tous les objets familiaux vont nous parler. Quand c’est une maison complète, il faut mettre des limites, comme se permettre trois boîtes de souvenirs, pas plus. Il faut aussi savoir écouter son ressenti », balise Mme Fortin.

La technologie peut aussi aider dans certains cas, avec la numérisation des albums photo et des diapositives, ou le recours à une liseuse ou à une tablette pour désengorger sa bibliothèque pour ne garder que les livres physiques essentiels.

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Se départir de certains biens pour déménager dans plus petit n’est pas toujours une tâche aisée.

Vous êtes plus pauvre que vous ne le pensez

D’autres chapitres de l’ouvrage abordent les débouchés pour se débarrasser du trop-plein, un aspect épineux. On peut certes céder les biens à sa famille, mais l’évaluatrice constate que dans 90 % des situations, les enfants sont déjà pourvus en meubles et n’en veulent pas. Il faut donc songer à un plan B, comme un organisme de charité, des écoles, les dons sur l’internet, la décharge... « C’est devenu un vrai casse-tête, et il n’y a pas de solution facile », déplore Mme Fortin.

Concernant la revente, la professionnelle n’a pas de bonnes nouvelles : on a tendance à surestimer nos biens accumulés, distinguant mal valeur sentimentale et valeur marchande. C’est particulièrement vrai pour les antiquités, qui ont perdu de 90 à 95 % de leur cote depuis deux ans. Il se peut que des pépites figurent dans le lot, mais dans la majeure partie des cas, même si certains objets représentaient un investissement important à l’époque, leur valeur s’est effondrée. « Si ce n’est pas un meuble qui est recherché ou au goût du jour, le revendre va être difficile », prévient Mme Fortin.

Mme Jolicœur Raymond a malheureusement dû faire face à cette réalité, n’obtenant pour ses tableaux et objets d’art « que des miettes ». Mais ce qui la préoccupe le plus, c’est de savoir qu’elle devra répéter l’exercice d’écrémage général, pensant déjà à son prochain déménagement, où elle devra « dire ciao à [son] piano ». « J’y pense constamment, je n’ai pas le goût d’aller dans la cage à poules d’une RPA [résidence privée pour aînés]. Quand on doit quitter nos grandes maisons, les choix ne sont pas attirants, on aimerait avoir des petits bungalows, pas des condos collés », lance-t-elle dans un cri du cœur.

Emménager dans plus petit sans souci

Emménager dans plus petit sans souci

Les éditions de l’homme

280 pages