La menace d’une offensive terrestre israélienne contre le Hamas se précise. Jeudi, après avoir reçu le « feu vert » de son gouvernement, le ministre de la Défense d’Israël a indiqué à ses troupes qu’elles verraient bientôt Gaza « de l’intérieur », faisant craindre à beaucoup un véritable bain de sang.

Ce qu’il faut savoir

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« Vous voyez maintenant Gaza de loin, bientôt, vous la verrez de l’intérieur. L’ordre va venir », a assené le ministre Yoav Gallant, lors d’une allocution jeudi devant des soldats actuellement déployés à la frontière de la bande de Gaza.

Peu après, le ministre israélien de l’Économie, Nir Barkat, a confirmé que le gouvernement Nétanyahou avait formellement donné son « feu vert » à une offensive militaire dans la bande de Gaza. « Maintenant, c’est entre les mains de l’armée », a-t-il déclaré.

Jeudi, l’armée israélienne a indiqué avoir mené en 24 heures des centaines de frappes aériennes visant selon elle des infrastructures du Hamas. Le Hamas avait accusé Israël, qui nie toute responsabilité, d’avoir bombardé mardi soir l’hôpital Ahli Arab dans la ville de Gaza. Cette frappe a fait au moins 471 morts parmi les déplacés du conflit qui avaient trouvé refuge dans l’enceinte de l’hôpital, selon le ministère de la Santé du territoire palestinien. Le renseignement américain, lui, estime plutôt qu’il y a eu de 100 à 300 morts.

Le ministère de l’Intérieur du Hamas, de son côté, a affirmé jeudi que de nombreux déplacés s’abritant dans une église à Gaza avaient été tués et d’autres blessés dans un raid israélien. C’est l’église Saint-Porphyre, l’une des plus vieilles du monde, qui a été touchée par ce nouveau raid aérien. Par ailleurs, un destroyer américain dans le nord de la mer Rouge a abattu jeudi trois missiles et des drones « se dirigeant potentiellement vers des cibles en Israël » lancés par les rebelles houthis au Yémen, a annoncé le Pentagone.

Bref, tout semble pointer vers une escalade des tensions. Le spécialiste du Proche-Orient à l’Université Concordia Henri Habib estime toutefois qu’une nouvelle offensive ne réglera « absolument rien », d’un côté comme de l’autre.

« Il n’y a pas de solution militaire, c’est bien clair, explique M. Habib. Il doit y avoir une solution diplomatique ou politique. Mais une intervention militaire, ça ne donnera rien, ça va juste créer d’autres problèmes. Ça va enflammer la rue et amener la précarité partout, des révolutions et des chutes de régime à terme. Le peuple arabe ne tolérera pas une invasion de la bande de Gaza. »

Trois scénarios

Le spécialiste des sociétés arabo-musulmanes Rachad Antonius, professeur à la retraite de l’UQAM, estime que « trois scénarios sont maintenant possibles ». « Il se peut, d’abord, que ce soit une invasion en règle avec destruction massive d’infrastructures, pour que les Palestiniens ne puissent pas survivre et qu’ils soient obligés de s’exiler », souffle-t-il.

« Le deuxième scénario, c’est qu’Israël veuille viser les têtes du Hamas directement. Et le troisième, c’est qu’ils tentent d’en profiter pour agrandir les frontières d’Israël d’abord et avant tout », poursuit M. Antonius.

Ce n’est pas une menace en l’air, au contraire. C’est clair que les soldats israéliens vont attaquer et qu’ils vont rentrer dans Gaza. La question, c’est surtout quand et comment ils vont le faire.

Rachad Antonius, professeur associé de l’UQAM

De l’avis du professeur Thomas Juneau, spécialiste des conflits et du processus de paix au Moyen-Orient de l’Université d’Ottawa, il reste encore à déterminer si, au-delà de sa stratégie militaire, « Israël compte demeurer dans la bande de Gaza à long terme ou pas ».

« Il y a beaucoup de paramètres qu’on ne connaît pas encore. En revanche, ce qu’on sait, c’est qu’il y aura énormément de victimes civiles des côtés palestinien et israélien, puisqu’il y aura des représailles par roquettes du Hamas », estime M. Juneau.

PHOTO MOHAMMED DAHMAN, ASSOCIATED PRESS

Des roquettes traversent le ciel au-dessus de bâtiments détruits, à Gaza.

Selon lui, les victimes militaires risquent aussi d’être nombreuses du côté israélien. « On parle de combats urbains, ce qui sera extrêmement difficile et sanglant. La guérilla urbaine, c’est un type de combat dans lequel les soldats israéliens n’ont pas beaucoup d’expérience. Ça risque d’être difficile pour eux », prévoit-il.

« Avec tout ce qui se passe en Ukraine, Taiwan et maintenant au Moyen-Orient, ça pourrait précipiter une troisième guerre mondiale, surtout s’il y a un élargissement des troupes vers l’Iran. Et une troisième guerre mondiale avec des pays nucléaires, c’est la fin de la civilisation que nous connaissons. On ne peut tout simplement pas se le permettre », lance pour sa part Henri Habib.

Quel impact sur l’aide humanitaire ?

Tout cela survient alors que l’aide humanitaire tant attendue par les Palestiniens bloqués dans la bande de Gaza est censée commencer à entrer sur le territoire incessamment, selon ce qu’a rapporté jeudi la chaîne égyptienne AlQahera News, un média proche du renseignement égyptien.

Sur X, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a confirmé jeudi que les camions remplis de denrées et d’aide médicale pourraient entrer « dès que le point de passage de Rafah sera ouvert, en espérant que ce soit [ce vendredi] ». Des responsables américains ont toutefois laissé planer jeudi la possibilité que ce chemin de passage situé à la frontière égyptienne n’ouvre pas avant ce week-end, soit samedi au plus tôt.

PHOTO SAMAR ABU ELOUF, THE NEW YORK TIMES

Camp géré par les Nations unies abritant des Palestiniens ayant fui le nord de la bande de Gaza, à Khan Younès

PHOTO GIUSEPPE CACACE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des avions cargo remplis d’aide sont arrivés jeudi à l’aéroport égyptien d’Al-Arich.

Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a plaidé pour « un accès humanitaire rapide et sans obstacle », appelant à un « cessez-le-feu humanitaire ».

Aux dires de Thomas Juneau, une attaque israélienne qui surviendrait au même moment pourrait créer une « catastrophe humanitaire épouvantable ».

« La bande de Gaza n’est absolument pas autosuffisante en matière de nourriture, d’eau, mais aussi de pétrole ou d’électricité. Tout vient de l’extérieur ou presque, donc dès que le robinet se ferme même partiellement, les besoins augmentent très rapidement – 2,4 millions de personnes, c’est beaucoup », note-t-il.

Plus de 1400 personnes ont été tuées sur le territoire israélien par les hommes du Hamas, en majorité des civils fauchés par des balles, brûlés vifs ou lourdement mutilés au premier jour de l’attaque, selon les autorités israéliennes. Selon l’armée israélienne, environ 1500 combattants du Hamas ont été tués dans la contre-offensive ayant permis à Israël de reprendre le contrôle des zones attaquées.

Côté palestinien, plus de 3700 personnes, pour la plupart des civils, ont été tuées dans les bombardements incessants menés en représailles par l’armée israélienne, selon un dernier bilan des autorités locales.

Avec l’Agence France-Presse