Le monde a les yeux rivés sur Israël et sur Gaza. De part et d’autre, on compte ses morts. Malgré la lueur d’espoir qu’a fait naître la libération de deux otages capturés par le Hamas, et l’offensive terrestre annoncée de l’armée israélienne dans l’enclave palestinienne menace d’enfoncer la région dans une spirale meurtrière. Comment éviter le pire ?

(Rafah) À chaque jour ses bombes et ses morts. Et ses appréhensions d’une escalade imminente du conflit. Vendredi, alors qu’étaient libérées deux otages israéliens, on se demandait toujours à quel moment les soldats de Tsahal verraient Gaza « de l’intérieur », tel qu’évoqué la veille par le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant.

Ce qu’il faut savoir

  • Israël n’a toujours pas amorcé son attaque à l’intérieur de la bande de Gaza en dépit d’une annonce faite par les autorités d’une offensive imminente.
  • L’État hébreu renforce ses positions à la frontière avec le Liban à la suite d’échanges de tirs avec le Hezbollah et doit surveiller ses arrières avec la Syrie et le Yémen.
  • Le Hamas a libéré deux otages d’origine américaine, une mère et sa fille, pour des raisons humanitaires.

Malgré la crainte persistante d’une escalade, les otages prisonniers de l’enclave palestinienne ont eu droit, au 14e jour du conflit, à une rare lueur d’espoir : une mère et sa fille ont été libérées par le Hamas.

Vendredi midi, Judith Tai Raanan et sa fille Natalie Shoshana, 17 ans, ont pu regagner le sol israélien pour des raisons humanitaires à la suite d’une médiation conduite par le Qatar, a indiqué la branche armée du Hamas. Originaires d’Evanston, en banlieue de Chicago, elles ont été remises à la frontière et sont bien arrivées en Israël, a annoncé en soirée le premier ministre Benyamin Nétanyahou.

PHOTO GOUVERNEMENT ISRAÉLIEN, FOURNIE PAR L’ASSOCIATED PRESS

Natalie Shoshana et Judith Tai Raanan après leur libération

Elles ont été transportées vers une base militaire du centre du pays où les attendaient des membres de leur famille. Il s’agit ainsi de la première libération d’otages confirmée par les deux parties.

Le 7 octobre dernier, lors de l’attaque du Hamas, les deux femmes avaient été kidnappées alors qu’elles se trouvaient en visite au kibboutz Nahal Oz pour célébrer la fin des études de Natalie et le 85e anniversaire de naissance sa grand-mère, qui a survécu à l’offensive.

Interrogé par la BBC, Ben Raanan, demi-frère de Natalie, a remercié les « gens qui, à travers le monde, ont mis [s] a sœur au premier plan de leurs pensées et de leurs prières ». Le rabbin d’Evanston, Meir Hecht, s’est quant à lui dit « plein de gratitude ».

Rapidement après l’annonce de leur libération, les réactions ont fusé. Le président des États-Unis, Joe Biden, s’est dit au « comble de la joie » et la Croix-Rouge a vu dans cette avancée une « lueur d’espoir ». Mais il s’agit là d’un geste isolé, et non d’une décision prise dans le cadre d’une négociation plus large, a-t-on averti.

Lors de son attaque, le Hamas a fait quelque 200 captifs, dont des ressortissants d’une vingtaine de pays. L’armée israélienne a toutefois estimé que « la majorité » d’entre eux étaient « vivants ».

Un œil sur la frontière nord

Israël continue entre-temps à masser soldats et équipements aux portes du territoire palestinien, mais le pays doit aussi renforcer sa présence à sa frontière nord avec le Liban et parer d’éventuelles attaques en provenance d’autres États voisins.

PHOTO RONALDO SCHEMIDT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Tank israélien près de Be’eri, kibboutz à proximité de Gaza

Car depuis l’offensive surprise du Hamas, le 7 octobre, les signes d’hostilité envers l’État hébreu se multiplient. Aux missiles du Hezbollah lancés du sud du Liban s’ajoutent trois missiles de croisière lancés jeudi depuis le Yémen – à plus de 2000 kilomètres – par les rebelles houthis pro-iraniens.

Doit-on redouter un embrasement ? Oui, mais nous n’en sommes pas là.

« Il y a un risque élevé. On ne peut le nier, dit Thomas Juneau, professeur agrégé de l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa. Mais il n’y a pas de garantie non plus. Il est très possible que le Hezbollah, les houthis au Yémen et, éventuellement, des milices pro-Iran en Syrie décident de ne pas intervenir à grande échelle tout en lançant des avertissements avec des missiles, roquettes et drones. Je continue à croire qu’ils ne veulent pas entrer dans une guerre à grande échelle. »

S’il y a un risque d’extension, il se trouve davantage à la frontière du Liban, ajoute Raphael S. Cohen, politicologue principal de la Rand Corporation, joint à Washington.

À la frontière avec le Liban, les Israéliens font face à un redoutable adversaire avec le Hezbollah. Ce groupe est proche de l’Iran, dispose de réserves importantes d’armes et est formé de combattants aguerris.

Raphael S. Cohen, politicologue de la Rand Corporation

Mais la guerre risque de se prolonger, estime M. Cohen, notamment parce que les dirigeants israéliens ont pour objectif de détruire le Hamas.

« Il y a deux différences majeures avec les conflits précédents, dit-il. Premièrement, Israël ne veut pas dissuader ou contenir le Hamas, mais le détruire. C’est un objectif radicalement différent par rapport aux conflits antérieurs. Et aussi un objectif plus vaste qui nécessite une opération militaire plus importante. Deuxièmement, il est difficile de sous-estimer l’impact des attentats du 7 octobre sur la société israélienne. Le pays compte 9,3 millions d’habitants, et une attaque de cette ampleur signifie que pratiquement tout le monde a été directement touché. »

Aux portes de Gaza

Si Tsahal n’est toujours pas entré dans Gaza, elle multiplie ses ripostes par la voie des airs. Un porte-parole de l’armée israélienne, le contre-amiral Daniel Hagari, a indiqué que les militaires avaient bombardé plus d’une centaine de cibles depuis la nuit de jeudi.

Un missile israélien aurait frappé une école du centre de Gaza transformée en refuge, tuant au moins six personnes, rapporte l’UNRWA, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens. L’attaque a aussi fait des dizaines de blessés dans ce refuge où s’entassaient quelque 4000 personnes.

Pourquoi l’offensive terrestre n’a-t-elle pas encore eu lieu ? Selon Thomas Juneau, plusieurs facteurs peuvent expliquer que Tsahal n’est pas encore entré massivement dans le territoire de Gaza.

« Est-ce qu’il y a des négociations sur certains otages, où l’on essaierait de libérer femmes, enfants et personnes âgées avant de rentrer ? Peut-être, dit-il. Une autre hypothèse qui circule dans les médias israéliens est que le pays s’assure de fortifier ses défenses au nord avant d’attaquer Gaza. Il y a aussi une simple question de masser suffisamment de troupes à la frontière avec Gaza, d’identifier les cibles… »

Depuis le début de la guerre, les pertes israéliennes s’élèvent à plus de 1400 personnes. Dans la bande de Gaza, on comptait vendredi soir 4137 morts et plus d’un million de déplacés.

Aide humanitaire

PHOTO MAXAR TECHNOLOGIES, FOURNIE PAR REUTERS

Image satellite montrant une file de camions massés à la frontière entre l’Égypte et Gaza

En parallèle, l’incertitude régnait toujours vendredi en fin de journée quant à la délicate question de l’aide humanitaire à apporter aux centaines de milliers de civils vivant dans Gaza. Les camions massés à la frontière avec l’Égypte (Rafah) attendaient toujours de pouvoir entrer dans le territoire palestinien. En France, le président Emmanuel Macron a annoncé que le pays enverrait une aide humanitaire à Gaza via l’Égypte tout en en ayant fait passer « très directement » au Hezbollah un message de « modération et de désescalade » à la frontière du Liban.

Missiles du Yémen, interception américaine

PHOTO RYAN U. KLEDZIK, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le USS Carney, photographié en 2018, a intercepté jeudi des missiles provenant du Yémen.

Un navire de la marine américaine patrouillant dans le nord de la mer Rouge a intercepté et abattu les missiles et drones jeudi en provenance du Yémen. « Nous ne pouvons certifier quelles étaient les cibles de ces missiles, mais ils ont été lancés du Yémen et se dirigeaient vers le nord », a indiqué le brigadier général Patrick Ryder, porte-parole du Pentagone.

Manifestations d’appui à la Palestine

PHOTO HOUTHI MEDIA CENTER, FOURNIE PAR REUTERS

Manifestations d’appui à la Palestine à Sanaa, au Yémen

Vendredi, des manifestations d’appui à la Palestine ont été observées dans l’ensemble du monde arabe. Du Caire à Bagdad, en passant par Tunis, Beyrouth et Sanaa, au Yémen, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue, après la prière, en soutien aux Palestiniens de la bande de Gaza.

« Nous soutenons le peuple palestinien contre l’entité israélienne occupante », a déclaré, à Bagdad, Ali Hussein, un chauffeur de taxi de 45 ans.

Avec Bruno Marcotte, La Presse, The New York Times, The Guardian, CNN, The Times of Israel, Le Monde, La Voix du Liban, l’Agence France-Presse et la BBC