Le leader indépendantiste en exil détient les clés d’une élection régionale serrée en Catalogne.

Une page se tournera peut-être dimanche en Catalogne.

Si les sondages disent juste, le Parti socialiste pourrait reprendre le pouvoir aux indépendantistes qui dirigent la région depuis près d’une décennie, lors d’élections régionales aux enjeux multiples.

Branche régionale du parti au pouvoir à Madrid, le PS catalan (PSC) est crédité d’une quarantaine de sièges sur 135, devançant ainsi les partis souverainistes Esquerra Republicana de Catalunya (ERC, gauche) du président sortant, Pere Aragonès, et son rival Junts per Catalunya (JxCat, droite), mené par le plus radical Carles Puigdemont, toujours en exil.

Une victoire socialiste signifierait « une nouvelle étape » en Catalogne « après dix ans perdus », a déclaré le candidat du PSC à ces élections, Salvador Illa. Elle tendrait également à confirmer que la politique d’apaisement avec les nationalistes catalans, menée par le premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, séduit désormais les électeurs autant que le discours indépendantiste pur et dur.

PHOTO LLUIS GENE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le premier ministre espagnol, Pedro Sánchez (à droite), et le chef du Parti socialiste catalan, Salvador Illa, lors d’un rassemblement de campagne à Barcelone

Le Parti socialiste était arrivé en tête du précédent scrutin, en 2021, mais n’avait pas pu prendre le pouvoir, les partis indépendantistes ayant conservé la majorité à l’assemblée avec 74 sièges sur 135. Cette fois, le PSC pourrait profiter des divisions accrues au sein du camp souverainiste et obtenir le soutien du parti ERC, plus modéré, avec lequel il partage des affinités de gauche.

Ce jeu d’alliances politiques semble toutefois aussi dangereux que précaire, alors qu’à Madrid, la survie du gouvernement socialiste de Pedro Sánchez dépend essentiellement de l’appui des partis nationalistes catalans, et plus particulièrement du JxCat de Carles Puigdemont.

Ce dernier a en effet menacé de retirer son soutien à Sánchez, si le Parti socialiste catalan devait former, à Barcelone, un gouvernement de coalition avec ERC. « Comme Sánchez dépend de Puigdemont à Madrid, il ne peut rien décider en Catalogne sans Puigdemont, explique l’écrivain Andreu Jaume, joint à Barcelone. Or, si le PS catalan obtient le soutien d’ERC, qui est le parti ennemi de Puigdemont au sein de la famille indépendantiste, Sánchez risque de perdre le soutien de Puigdemont à Madrid. »

Un scénario qui provoquerait l’effondrement du gouvernement de coalition et le déclenchement de nouvelles élections en Espagne, les sixièmes en moins de 10 ans. « La situation est assez folle… et inquiétante », résume M. Jaume.

Faire sauter le système

Rappelons que Carles Puigdemont était président de la Catalogne au moment du référendum « illégal » de 2017, qui avait provoqué la plus grave crise politique en Espagne depuis le retour de la démocratie en 1975. Accusé de sédition par le gouvernement central, il s’était enfui en Belgique, d’où il pilotait à distance sa formation politique.

Son exil semble toutefois toucher à sa fin. En échange de leur indispensable soutien pour l’investiture de Pedro Sánchez à Madrid, les indépendantistes ont arraché en mars dernier une loi d’amnistie pour les prisonniers politiques catalans actuellement à l’étranger ou en prison.

Techniquement, cette loi très controversée pourrait être adoptée avant la mi-juin, ce qui permettrait à Puigdemont de rentrer au bercail sans risquer d’être arrêté. Mais elle doit encore être votée au Sénat – qui risque de la retoquer – puis revotée au Parlement, avec recours probable de l’opposition au tribunal constitutionnel et devant la Cour européenne de justice. Bref, un processus qui s’annonce long et compliqué.

Selon l’historien Benoît Pellistrandi, expert de l’Espagne, le leader indépendantiste aurait donc « rationnellement » intérêt « à laisser durer le gouvernement Sánchez jusqu’à ce que l’amnistie soit adoptée de façon définitive, c’est-à-dire pas avant un an au moins ».

À plus ou moins court terme, Carles Puigdemont finira quand même par faire « sauter le système », croit M. Pellistrandi. L’effondrement du gouvernement de coalition à Madrid risque en effet de favoriser le retour au pouvoir du Partido popular (droite), plus hostile aux séparatistes et moins ouvert aux compromis. Ce scénario « alimenterait le discours victimaire » des indépendantistes, ce qui pourrait redonner du souffle au mouvement, actuellement en perte de vitesse.

Rien n’exclut, cela dit, une victoire de Carles Puigdemont, qui mène actuellement campagne à partir de Perpignan, en Catalogne française. Les sondages lui prêtent un certain élan et, comme le rappelle Andreu Jaume, « il y a encore 40 % d’indécis ».

Le leader de JXCat rêve toujours d’une grande coalition indépendantiste, comme en 2017 au moment du référendum. Cette alliance arc-en-ciel demanderait toutefois de rassembler des partis aussi divergents idéologiquement que Communs (extrême gauche) et Aliança catalana (extrême droite xénophobe) à qui l’on prédit un ou deux sièges dimanche. Sérieux défi en perspective.

Advenant une défaite, Carles Puigdemont a promis de se retirer de la vie politique.

Avec l’Agence France-Presse, Euractiv, Euronews

En savoir plus
  • 5,7 millions
    Nombre de Catalans appelés aux urnes, dimanche 12 mai (sur une population de 8 millions)
    47,7 millions
    Population de l’Espagne