L’Ukraine et la Russie ont perdu un nombre impressionnant de soldats en 18 mois de combats, selon les estimations américaines.

Le nombre de soldats ukrainiens et russes tués ou blessés depuis le début de la guerre en Ukraine il y a 18 mois approche les 500 000, ont indiqué des responsables américains, un bilan stupéfiant alors que la Russie attaque son voisin et tente de s’emparer de nouveaux territoires.

Ces responsables ont souligné qu’il était difficile d’estimer le nombre de victimes, car la Russie sous-estime régulièrement le nombre de ses morts et de ses blessés, et l’Ukraine ne divulgue pas de chiffres officiels. Ils ont toutefois indiqué que le massacre s’était intensifié cette année dans l’est de l’Ukraine et qu’il se poursuivait à un rythme soutenu alors que la contre-offensive, qui dure depuis près de trois mois, s’éternise.

Les pertes militaires russes approchent les 300 000, selon les Américains. Ce chiffre comprend jusqu’à 120 000 morts et 170 000 à 180 000 blessés. Les chiffres russes éclipsent les chiffres ukrainiens, que les responsables estiment à près de 70 000 morts et 100 000 à 120 000 blessés.

Mais les Russes sont presque trois fois plus nombreux que les Ukrainiens sur le champ de bataille, et la Russie dispose d’une population plus importante pour reconstituer ses rangs.

Selon les analystes, l’Ukraine compte environ 500 000 soldats, y compris les troupes en service, les réservistes et les troupes paramilitaires. En revanche, la Russie en compte presque le triple, avec 1 330 000 soldats, réservistes et paramilitaires – la plupart de ces derniers appartenant au groupe Wagner.

La plus récente estimation publique des pertes de l’administration Biden remonte à novembre, lorsque le général Mark Milley, chef de l’état-major interarmées, avait avancé que plus de 100 000 soldats de chaque camp avaient été tués ou blessés depuis le début de la guerre en février 2022. À l’époque, les responsables avaient déclaré en privé que les chiffres étaient plus proches de 120 000 tués et blessés.

Mais ce chiffre a grimpé en flèche au cours de l’hiver et du printemps, lorsque les deux pays ont transformé la ville de Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine, en champ de bataille. Des centaines de soldats ont été tués ou blessés chaque jour pendant de nombreuses semaines, selon les responsables américains. Les Russes ont subi de lourdes pertes, mais les Ukrainiens aussi, eux qui ont tenté de tenir chaque centimètre de terrain avant de perdre la ville en mai.

Contre-offensive difficile

Les premières semaines de la contre-offensive de Kyiv cet été ont été particulièrement difficiles pour l’Ukraine. Au début, les troupes ukrainiennes entraînées par l’Occident ont eu du mal à utiliser les « manœuvres d’armes combinées », une méthode de combat dans laquelle l’infanterie, les blindés et l’artillerie sont utilisés dans des attaques synchronisées.

Les troupes ukrainiennes ont d’abord tenté de percer les lignes russes retranchées à l’aide de formations d’armes mécanisées combinées. Équipées d’armes américaines de pointe, les troupes de Kyiv se sont néanmoins enlisées dans les denses champs de mines russes, sous les tirs constants de l’artillerie et des hélicoptères de combat.

Au cours des deux premières semaines de la contre-offensive, jusqu’à 20 % des armes employées par l’Ukraine sur le champ de bataille ont été endommagées ou détruites, selon des responsables américains et européens.

Parmi ces pertes figurent certaines des formidables machines de combat occidentales – chars et véhicules blindés de transport de troupes – sur lesquelles les Ukrainiens comptaient pour repousser les Russes.

Plus important encore, des milliers de soldats ont été tués ou blessés.

PHOTO MAURICIO LIMA, THE NEW YORK TIMES

Char russe détruit dans l’oblast de Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine

Un haut fonctionnaire américain a reconnu le nombre élevé de victimes ukrainiennes, mais a déclaré que les manœuvres d’armes combinées étaient « très, très dures ». Il a ajouté que, ces derniers jours, les troupes ukrainiennes ont commencé à percer les premières lignes de défense russes.

Ces dernières semaines, l’Ukraine a modifié sa tactique sur le champ de bataille, revenant à ses anciennes méthodes qui consistaient à épuiser les forces russes avec de l’artillerie et des missiles à longue portée au lieu de plonger dans des champs de mines sous le feu de l’ennemi.

Les États-Unis craignent que les ajustements apportés par l’Ukraine n’épuisent ses précieuses réserves de munitions, ce qui pourrait profiter au président russe, Vladimir Poutine, et désavantager Kyiv dans une guerre d’usure. Mais les commandants ukrainiens ont décidé que ce changement réduirait les pertes et préserverait leur force de combat en première ligne.

Les responsables américains disent craindre que l’Ukraine ne soit devenue réticente à l’idée de subir des pertes, ce qui explique sa prudence à l’égard de la contre-offensive. Presque toute offensive contre des troupes russes retranchées et protégées par des champs de mines se solderait par un nombre considérable de pertes.

Blessés loin des secours

En l’espace d’un an et demi seulement, le nombre de militaires ukrainiens tués a déjà dépassé le nombre de soldats américains morts pendant les quelque deux décennies de présence des unités américaines au Viêtnam (environ 58 000) et équivaut à peu près au nombre de membres des forces de sécurité afghanes tués pendant la guerre en Afghanistan, de 2001 à 2021 (environ 69 000).

Le nombre de morts et de blessés reflète la quantité de munitions mortelles utilisées par les deux camps. Des milliers d’obus d’artillerie sont tirés chaque semaine, les chars frappent les bâtiments, les mines terrestres sont omniprésentes et les drones survolent le pays, éliminant les troupes au sol. Lorsque des combats rapprochés ont lieu, ils ressemblent aux batailles de la Première Guerre mondiale : ils sont brutaux et se déroulent souvent dans des tranchées.

Les chiffres soulignent également l’absence de soins médicaux rapides sur la ligne de front. Les soldats blessés sont de plus en plus difficiles à évacuer en raison de l’intensité des tirs d’artillerie et des coups de feu qui ponctuent chaque engagement.

Contrairement aux guerres menées par les États-Unis en Afghanistan et en Irak, où les forces américaines ont strictement respecté l’obligation d’évacuer les blessés dans un délai d’une heure vers un centre médical bien approvisionné, l’Ukraine ne dispose pas d’une telle capacité.

PHOTO EMILE DUCKE, THE NEW YORK TIMES

Un soldat ukrainien est soigné dans un « point de stabilisation », sorte d’hôpital de campagne, dans la région de Zaporijjia, le 20 juillet.

Au lieu de cela, les soldats blessés sont souvent jetés dans n’importe quel véhicule disponible ou quittent le front à pied. Dans certains cas, les blessés et les morts sont laissés sur le champ de bataille, car les médecins ne peuvent pas les atteindre. Les hôpitaux et les postes de secours sont souvent débordés.

Dans toute l’Ukraine, dans les grandes villes comme dans les villages, presque tout le monde connaît une famille qui a perdu quelqu’un dans les combats. Les fleurs séchées des funérailles jonchent les routes tranquilles, et les cimetières se remplissent dans tous les coins du pays.

Les chiffres estimés pour l’Ukraine et la Russie sont basés sur des images satellites, des interceptions de communications, des médias sociaux et des dépêches de journalistes présents dans le pays, ainsi que sur les rapports officiels des deux gouvernements. Les estimations varient, même au sein du gouvernement américain.

Ce texte a d’abord été publié dans le New York Times.

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