(Prague) L’invasion russe en Ukraine a fourni une nouvelle arme à l’arsenal des populistes en Europe de l’Est : la peur de la guerre.

Plus d’un an après, aucune issue au conflit n’est en vue. Et certains hommes politiques n’hésitent pas à profiter de l’anxiété qu’il provoque pour laisser entendre que le soutien à l’Ukraine pourrait entraîner leur pays dans la guerre.

De Prague à Sofia, de fausses affirmations, selon lesquelles les gouvernements vont annoncer la mobilisation générale ou simplement « envoyer nos fils au hachoir à viande » ont dominé le discours politique.

« La peur est une émotion primaire et la politique de la peur est la tactique la plus ancienne qui soit », souligne Jiri Priban, professeur de droit à l’Université de Cardiff. « Elle fait partie de toutes les campagnes politiques ».

Un alarmisme qui obtient des succès en Slovaquie, pays frontalier de l’Ukraine, où de plus en plus d’hommes rejettent l’idée d’accomplir leur service militaire.  

Avant l’invasion russe, la Slovaquie, membre de l’OTAN, enregistrait annuellement quelque 1500 objecteurs de conscience. Leur nombre est passé à plus de 40 000 l’année dernière, selon le ministère de la Défense.  

Ce vent de panique parmi les jeunes Slovaques a été encouragé par l’ancien premier ministre Robert Fico, qui a fait campagne en critiquant l’OTAN, les États-Unis et les « fascistes ukrainiens ».

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L’ex-premier ministre slovaque Robert Fico

Pour M. Fico, le conflit entre Moscou et Kyiv ne concerne pas les Slovaques, parce qu’il s’agit d’une « guerre entre les États-Unis et la Russie ».

« Terrain fertile »

Reprenant la propagande pro-Kremlin, il a accusé le gouvernement slovaque en poste d’être le laquais des États-Unis.

La tactique de la peur semble porter ses fruits : le parti de M. Fico, le Smer, arrive régulièrement en tête ou en deuxième position dans les sondages avant les élections législatives prévues en septembre.  

« La Slovaquie est extrêmement vulnérable à la désinformation et les Russes ont trouvé ici un terrain extrêmement fertile pour leur propagande », analyse Michal Vasecka, membre de l’Aspen Institute et sociologue à l’École internationale des arts libéraux de Bratislava.  

« Quand vous n’arrêtez pas de répéter aux gens que leur gouvernement est un agent des États-Unis, ils se mettent à penser “ Pourquoi nos garçons devraient-ils aller défendre les intérêts américains ? ” ».  

Les allégations concernant la guerre ont également dominé la récente élection présidentielle en République tchèque voisine.

Élu fin janvier, le nouveau chef d’État, Petr Pavel, ancien général est toujours la cible d’une campagne de désinformation qui le dépeint comme un va-t-en-guerre à la gâchette facile.

Parmi les fausses affirmations qui lui ont été imputées, l’appel à envoyer des soldats tchèques combattre en Ukraine ou la volonté de déclarer la guerre à la Russie.  

Le rival électoral de Pavel, le milliardaire et ancien premier ministre Andrej Babis, a assuré sur ses affiches de campagne que son adversaire ne croyait pas en la paix, clamant : « Je n’entraînerai pas la République tchèque dans la guerre ».

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Le milliardaire et ancien premier ministre tchèque Andrej Babis

« Superpuissance imbattable »

« Il y a un effort de plus en plus important pour effrayer les gens, leur faire croire qu’ils seront obligés de se battre dans une guerre qu’ils ne peuvent pas gagner », selon Czech Elves, une organisation bénévole qui traque et analyse la désinformation, dans son dernier rapport mensuel.  

« La Russie est présentée comme une superpuissance nucléaire imbattable qui mène une campagne militaire victorieuse en Ukraine », indique-t-elle dans son dernier rapport.  

En Bulgarie, le parti ultranationaliste prorusse Vazrazhdane (Renaissance) a organisé des manifestations antigouvernementales et mis en garde les électeurs contre le risque de devenir de la « chair à canon ».  

Le premier ministre hongrois Victor Orban, qui fustige les livraisons d’armes européennes à l’Ukraine, s’est toujours gardé de critiquer le président russe Vladimir Poutine.

Paradoxalement, l’utilisation politique de la peur de la guerre n’a que très peu de succès auprès des électeurs en Pologne et dans les républiques baltes, où le danger d’une agression militaire russe semble plus réel.  

L’expérience historique négative commune avec la Russie a immunisé leurs populations contre la propagande prorusse, estime Jiri Priban.  

« Il y a une véritable peur existentielle dans les pays baltes, mais cela renforce leur soutien à l’Ukraine », juge le professeur.