Les États-Unis ont désigné jeudi le Groupe Wagner « organisation criminelle internationale ». Le patron de cette société paramilitaire, Evguéni Prigojine, ne se gêne plus pour vanter publiquement ses troupes, malgré les sanctions et critiques. Mais qui est ce sexagénaire russe, condamné pour vols dans sa jeunesse avant de devenir vendeur de hot-dogs, restaurateur et homme d’affaires multimillionnaire ?

Dans une vidéo diffusée à la mi-janvier, Evguéni Prigojine vante le travail des combattants de Wagner, sa société paramilitaire, dans l’est de l’Ukraine.

« Probablement l’armée la plus expérimentée du monde », commente l’homme de 61 ans.

La déclaration a été vue comme une critique de l’armée russe régulière – et ce n’était pas sa première.

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Le multimillionnaire Evguéni Prigojine fait visiter au président russe Vladimir Poutine son usine de production de repas scolaires, dans les environs de Saint-Pétersbourg, en Russie, en 2010.

Contrairement à bien des Russes, Evguéni Prigojine peut se permettre d’éreinter publiquement le commandement militaire.

« Il a une trop longue relation avec Vladimir Poutine pour être mis en danger par ses déclarations, estime Brian Taylor, professeur de science politique à l’Université de Syracuse. Je pense que le risque est surtout politique et économique pour lui s’il va trop loin et qu’il fâche Poutine. Il dépend de lui pour le soutien militaire, parce que Wagner ne peut opérer sans se coordonner avec l’armée. »

Des cuisines à l’avant-scène

Prigojine est surnommé le « chef cuisinier de Poutine », en référence à son travail dans le milieu de la restauration et à ses lucratifs contrats gouvernementaux de ravitaillement alimentaire. Après des années à le nier, il a finalement confirmé son rôle à la tête du Groupe Wagner en septembre.

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Evguéni Prigojine assiste le président Vladimir Poutine lors d’un repas avec des universitaires et des journalistes étrangers, près de Moscou, en 2011.

L’homme reconnaissable à son crâne dégarni et à son haut front plissé semble vouloir sortir de l’ombre où il est demeuré durant de nombreuses années, en coulisses du pouvoir russe.

Mon impression est que son pouvoir et sa visibilité ont beaucoup augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine. Il est une figure beaucoup plus publique qu’il y a un an, et je pense que ça reflète son ambition. Et, jusqu’à un certain point, l’impression qu’il a de son utilité actuelle.

Brian Taylor, professeur de science politique à l’Université de Syracuse, à propos d’Evguéni Prigojine

L’ascension de Prigojine a commencé au milieu des années 1990. Ses restaurants huppés étaient alors fréquentés par l’élite du pays, friande des nouveaux luxes.

Evguéni Prigojine s’est fait remarquer, notamment par l’actuel président russe.

Prison et hot-dogs

Mais l’homme originaire de Saint-Pétersbourg, alors Leningrad, n’a pas toujours évolué dans les coulisses du pouvoir.

Jeune adulte, il a été condamné à 13 ans de prison pour des vols. Il a été relâché près de 10 ans plus tard, en 1990.

L’Union soviétique était alors au bord de l’éclatement. Prigojine s’est trouvé une nouvelle source de revenus : la vente de hot-dogs. Un commerce plus payant qu’il n’y paraît, si on en croit des entrevues qu’il a accordées à des médias russes, et qui l’a propulsé vers la restauration haut de gamme.

Il est devenu un homme riche. Et de plus en plus puissant.

Trolls et paramilitaires

Dans les dernières années, les États-Unis ont accusé Prigojine de s’être ingéré dans les élections et de diriger une armée de soldats du clavier, semant la désinformation sur les réseaux sociaux.

Mais le multimillionnaire s’est surtout fait connaître en lien avec le Groupe Wagner, fondé en 2014, lors de l’annexion de la Crimée. Ses paramilitaires ont travaillé dans différentes zones chaudes, notamment en Syrie, au Mali, en Libye et en République centrafricaine.

« Je pense que le Groupe Wagner est différent si on le compare aux autres sociétés de sécurité privées, comme celles qui travaillaient avec les États-Unis en Irak, note Tanya Mehra, chercheuse pour le groupe de réflexion International Centre for Counter-Terrorism, jointe aux Pays-Bas. Eux aussi ont commis plus d’une violation des droits de la personne, mais ce qui est différent avec le Groupe Wagner, c’est que c’est un réseau qui opère dans une foule d’activités illégales. »

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Evguéni Prigojine lors des funérailles près de Saint-Pétersbourg d’un combattant du Groupe Wagner, en marge de la guerre en Ukraine, le 24 décembre dernier

Prigojine est reconnu pour recruter directement dans les prisons en échange d’une réduction de peine.

Terrorisme ?

Avec sa collègue Méryl Demuynck, Mme Mehra a publié un argumentaire le 17 janvier pour une inclusion du Groupe Wagner sur les listes d’entités terroristes reconnues. Un processus complexe, mais qui, selon elles, mettrait encore davantage de pression sur des pays pour couper les liens avec Prigojine et sa société – plus que les nombreuses sanctions actuellement en vigueur, arguent-elles.

Sans aller jusqu’à la notion de « groupe terroriste », le département du Trésor américain a annoncé jeudi de nouvelles sanctions contre Wagner en la désignant « organisation criminelle internationale », accusant « le personnel de Wagner [de s’être] engagé dans un schéma continu d’activités criminelles graves, notamment des exécutions massives, des viols, des enlèvements d’enfants et des violences physiques en République centrafricaine et au Mali ».

Il n’y a pas d’équivalent canadien à cette désignation américaine. Le gouvernement canadien a déjà imposé des sanctions à Evguéni Prigojine et au Groupe Wagner, a indiqué, dans un courriel, l’attachée de presse au cabinet du ministre de la Sécurité publique, Audrey Champoux.

Il n’a pas été possible de savoir si le statut du groupe est en évaluation pour une éventuelle inscription à la liste des entités terroristes du Canada, un processus indépendant.

Avec l’Agence France-Presse, The Guardian et The New York Times

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  • 50 000
    Nombre estimé des forces de Wagner, selon les services de renseignement occidentaux
    Source : The Guardian