Les téléphones cellulaires, c’est utile. Mais avec des bémols. Pour lutter contre l’omniprésence de ces ordinateurs de poche, un collectif grenoblois a décidé de redonner vie aux cabines téléphoniques.

La France, comme le Québec, se débarrasse progressivement de ses cabines téléphoniques. Si on en compte encore près de 6000 chez nous, il n’en resterait plus qu’une vingtaine dans l’Hexagone, situées pour la plupart en zones blanches, pour compenser l’absence de signal numérique.

Préoccupé par la disparition de ce service public, un collectif grenoblois a décidé d’agir dans le sens contraire et de réimplanter des cabines téléphoniques dans le paysage urbain.

« C’est un symbole intéressant pour parler de cette problématique des téléphones intelligents et de la numérisation de tous les pans de notre vie », explique Julien Simon, porte-parole de l’Observatoire international de la réinstallation des cabines téléphoniques (OIRCT), l’association qui chapeaute le projet.

Le projet de l’OIRCT peut être vu comme un délire nostalgique avec un penchant pour le vintage. Mais pour l’organisation, qui compte une dizaine de membres, il s’agit bel et bien d’un geste politique visant à offrir une solution de rechange au cellulaire.

Sur son site, le collectif plaide ainsi pour la « liberté de ne pas avoir de téléphone portable. Liberté de ne pas être sans cesse pisté, calculé, évalué, flashcodé, QR-codisé par les téléphones intelligents devenant de plus en plus obligatoires pour quantité d’activités anodines de la vie quotidienne ».

Invité à préciser, Julien Simon dénonce par exemple la « discrimination » liée aux services sur l’internet. Pas de cellulaire, pas de possibilité de recevoir un code d’accès ou d’authentification. Il évoque les enjeux de traçabilité (« toutes les infos qu’on fournit avec notre portable parfois même sans le savoir »), soulève les questions énergétiques ou environnementales. Et déplore les vices de la fracture numérique, facteur d’inégalité pour les personnes qui n’ont pas les moyens de s’acheter un téléphone intelligent.

Il y a un temps où on pouvait passer un coup de fil un peu d’urgence des cabines un peu partout. On n’avait pas besoin d’un abonnement si on avait besoin de téléphoner deux ou trois fois par mois.

Julien Simon, porte-parole de l’OIRCT

Vue sous cet angle, la cabine téléphonique offre en effet une réponse aux enjeux d’éthique et de société causés par l’omniprésence grandissante de la téléphonie cellulaire. D’où l’intérêt de la réhabiliter, ne serait-ce que de façon symbolique.

« L’idée, c’est de remettre du service public dans la rue », résume M. Simon.

Conquérir le monde

Fait intéressant, il ne restait plus aucune cabine téléphonique à Grenoble avant que l’OIRCT n’installe la sienne au cœur du parc Marliave.

PHOTO FOURNIE PAR L’OIRCT

La cabine téléphonique de l’OIRCT a été installée dans un parc de Grenoble.

L’ironie de la chose, c’est qu’il n’y a plus de câbles téléphoniques fonctionnels dans les environs, et que cette réalité technologique les oblige à utiliser une carte SIM pour permettre les communications.

Mais ce qui compte, c’est le symbole, n’est-ce pas ?

Et puis sans rire, l’opération a fonctionné. Alors qu’on aurait pu s’attendre à un fiasco, la cabine en question a trouvé sa « clientèle », preuve d’un besoin, ou à tout le moins d’une certaine utilité.

« On a eu des numéros qui revenaient. Des semaines avec des journées jusqu’à 50 appels. On était à une moyenne de 70 appels par semaine, résume Julien, lui-même étonné. J’ai aussi vu un type appeler avec son téléphone portable dans l’autre main. Il n’avait peut-être plus de batterie… »

Si la suite du projet se concrétise, l’OIRCT décuplera son parc de cabines. Les prochaines seront adossées aux maisons de quartier et donc connectées au réseau téléphonique municipal. Le groupe attend toujours une réponse à ses demandes de subvention.

« On va commencer tranquille, conclut Julien Simon. Notre but, c’est de conquérir le monde, mais on ne va pas imaginer qu’on va mettre à plat le smartphone. La cabine ne règle pas tous les problèmes. Mais il règle au moins celui de téléphoner si on est dans la galère… »

Recycler les cabines

L’initiative de l’OIRCT n’est pas unique. Les habitants du bourg de Saint-Cadou, en Bretagne, ont inauguré en 2020 deux cabines téléphoniques, en réaction à un projet d’installation d’une antenne-relais 4G. En Australie, la société de télécoms a pour sa part annoncé la gratuité de ses 15 000 cabines téléphoniques publiques à travers le pays. Au Japon, il resterait plus de 160 000 téléphones publics à cause du risque de tremblement de terre et de saturation du réseau. Les cabines ayant fini leur vie utile peuvent de leur côté être recyclées de mille manières. Certaines ont été transformées en grainothèque, en banque de livres à donner, en guichet automatique, en borne de recharge électrique, en défibrillateurs de brousse ou en distributrice de trousses de premiers soins. Rien ne se perd…

En savoir plus
  • 84 %
    Taux de pénétration des téléphones intelligents parmi les utilisateurs de téléphones cellulaires en France. Le taux de pénétration chez les 18-30 ans est de 97 %.
    Source : Statista.com (2020)
    79 %
    Proportion de Québécois possédant un téléphone intelligent. C’est le plus bas score au Canada. L’Alberta est à 93 %.
    Source : Hellosafe.ca (2021)