Naguère mauvais élève européen de la mobilité, Bruxelles veut désormais montrer l’exemple. La capitale ambitionne de réduire radicalement l’usage de la voiture. Mais le virage ne fait pas l’unanimité.

(Bruxelles) La place de la Bourse baigne dans la lumière. Un groupe d’adolescents se baladent en trottinette. Un couple sirote un café.

Il n’y a pas si longtemps, cette esplanade débordante de vie était traversée par un grand boulevard.

Aujourd’hui, elle est réservée aux piétons.

L’image est bien différente de celle décrite par le politicien Pascal Smet lorsqu’il a élu domicile à Bruxelles, il y a plus de 25 ans.

« Les façades étaient noires. Il y avait des voitures partout. C’était une ville plutôt triste », raconte le secrétaire d’État à la Région de Bruxelles-Capitale responsable de l’Urbanisme et du Patrimoine.

Mais Bruxelles se transforme.

Le gouvernement bruxellois a récemment adopté deux plans ambitieux qui feront reculer radicalement l’usage de la voiture dans la métropole. Et qui laisseront davantage la place aux cyclistes, aux piétons et au transport collectif.

Le virage ne fait pas l’unanimité. Mais Bruxelles ne peut faire autrement, argue Pascal Smet.

« On est la capitale européenne. On doit montrer l’exemple. Au lieu d’être le “bad kid in the class”, on veut être le meilleur élève », souligne le politicien.

Des quartiers apaisés

Au cœur de cette petite révolution : le plan Good Move.

La nouvelle bible de la mobilité est entrée en vigueur à l’été dans plusieurs secteurs de la capitale.

L’axe principal de Good Move est de revoir la circulation dans les quartiers afin d’éliminer le trafic de transit. Ainsi, les automobilistes devront rester sur les grands axes. Finis les détours par les petites rues.

L’idée est de créer des « quartiers apaisés » moins bruyants et moins pollués, favorables à la mobilité locale et active.

Selon la même philosophie, le gouvernement bruxellois a approuvé en juillet la première version du futur règlement régional d’urbanisme, baptisé Good Living.

Le plan prévoit qu’au maximum 50 % de la voirie à réaménager sera affecté à la voiture. Le reste sera réservé au transport actif et aux transports en commun.

Toutes les rues devront aussi bénéficier d’infrastructures cyclables. De plus, la démolition de bâtiments deviendra l’exception : la rénovation sera privilégiée.

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Florine Cuignet, chargée de politique bruxelloise du Groupe de recherche et d’action des cyclistes quotidiens

L’objectif de Good Move, c’est de faire marche arrière. Il faut récupérer l’espace public.

Florine Cuignet, chargée de politique bruxelloise au Groupe de recherche et d’action des cyclistes quotidiens

Mais le combat n’est pas gagné d’avance.

De la frustration

Sur le plan de la mobilité, Bruxelles part de loin.

Après la Seconde Guerre mondiale, la capitale a été aménagée pour la voiture.

« On a éventré la ville pour faire de la place aux automobiles et aux grandes tours », déplore Mme Cuignet.

Avec des politiques comme la « voiture salaire » payée par l’entreprise et le stationnement peu cher (10 euros pour la première carte de riverain annuelle), l’usage intensif de la voiture a été encouragé.

« Les gens prenaient la voiture pour aller chez le boulanger à 500 mètres », illustre Pascal Smet.

À ses débuts, le politicien raconte « avoir pris beaucoup de coups ». Beaucoup le trouvent clivant – et ses projets aussi.

Mais un changement de mentalité s’est opéré dans les dernières années, assure-t-il.

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Pascal Smet, secrétaire d’État à l’Urbanisme et au Patrimoine

Quand je suis arrivé ici, les gens me criaient de retourner en Flandre avec mon vélo. Aujourd’hui, ils demandent des pistes cyclables.

Pascal Smet, secrétaire d’État à l’Urbanisme et au Patrimoine

N’empêche, le plan Good Move bouscule les habitudes. Et crée de la frustration.

Aussitôt appliqué dans une commune, le nouveau schéma de circulation est contesté.

Dans le quartier de Cureghem, des citoyens ont carrément démonté les blocs de béton installés pour limiter la circulation.

Face à la grogne, la commune d’Anderlecht a décidé de faire marche arrière et de retourner à la table à dessin.

« C’était tellement mal réfléchi que les gens dans le quartier étaient prisonniers. Les gens sont très fâchés parce qu’ils n’ont pas été concertés », dénonce Fouad El Abbouti, qui habite le secteur.

Selon lui, il faut plutôt dissuader les banlieusards qui travaillent dans la capitale de se déplacer en voiture, en imposant par exemple des péages ou en ajoutant des stationnements incitatifs à l’extérieur de Bruxelles.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK MAUTODEFENSE ASBL

Des opposants au projet Good Move ont installé des pancartes sur les poteaux de signalisation dans certaines communes de Belgique, dont à Sainte-Agathe-Berchem (notre photo), pour faire connaître leur mécontentement face au plan de mobilité.

M. Smet, qui a élaboré Good Move lorsqu’il était secrétaire d’État à la Mobilité, admet que l’application du plan n’a pas été optimale.

« Les quartiers n’ont pas toujours été bien choisis. Et les blocs de béton, les gens trouvent ça moche », convient-il.

Cette contestation pourrait-elle menacer l’avenir de Good Move ? Pascal Smet le craint.

Surtout, elle pose une question cruciale. Et à laquelle il est difficile de répondre.

« Plus le changement sera rapide et radical, plus ça va susciter d’opposition. Où est le juste milieu ? », se demande Florine Cuignet.

Et en même temps, il y a urgence d’agir, croit-elle. « Bruxelles en a besoin. »