Des fourgonnettes de livraison à Pittsburgh. Des autobus à Milwaukee. Des grues qui chargent du fret dans le port de Los Angeles. Tous les bâtiments municipaux de Houston. Tous sont alimentés par de l’électricité provenant du soleil, du vent ou d’autres sources d’énergie propre.

Partout aux États-Unis, un profond changement est en train de s’opérer, presque invisible pour la plupart des Américains. Le pays qui a brûlé du charbon, du pétrole et du gaz pendant plus d’un siècle pour devenir l’économie la plus riche de la planète, mais aussi historiquement la plus polluante, est en train de se détourner rapidement des combustibles fossiles.

Une transition énergétique similaire est déjà bien engagée en Europe et ailleurs. Mais les États-Unis rattrapent leur retard et, à l’échelle mondiale, le changement se produit à un rythme qui surprend même les experts qui le suivent de près.

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Installation de l’entreprise italienne Enel, à Riesel, au Texas, qui contient plus de 1,2 million de panneaux solaires.

L’énergie éolienne et solaire bat des records, et les énergies renouvelables devraient dépasser le charbon d’ici 2025 en tant que première source d’électricité au monde. Les constructeurs automobiles ont placé les véhicules électriques au cœur de leurs stratégies commerciales et parlent ouvertement d’une date d’expiration pour le moteur à combustion interne. Le chauffage, la climatisation, la cuisine et certaines activités manufacturières deviennent électriques.

Alors que la planète est témoin des températures les plus élevées jamais enregistrées, atteignant dans certains endroits des niveaux incompatibles avec la vie humaine, les gouvernements du monde entier investissent des milliards de dollars dans les énergies propres afin de réduire la pollution par le carbone qui brûle la planète. Le coût de la production d’électricité à partir du soleil et du vent diminue rapidement et, dans de nombreuses régions, il est désormais inférieur à celui du gaz, du pétrole ou du charbon. Les investissements privés affluent dans les entreprises qui se disputent l’avantage dans les industries vertes émergentes.

« Nous examinons quotidiennement les données relatives à l’énergie et nous sommes stupéfaits de ce qui se passe », a déclaré Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

L’énergie propre évolue plus rapidement que ce que l’on pense, et elle est passée à la vitesse supérieure ces derniers temps.

Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie

Selon l’AIE, plus de 1700 milliards de dollars devraient être investis cette année dans des technologies comme l’énergie éolienne, l’énergie solaire, les véhicules électriques et les batteries, contre un peu plus de 1000 milliards de dollars pour les combustibles fossiles. C’est de loin la somme la plus élevée jamais dépensée pour les énergies propres en une année.

Ces investissements sont à l’origine d’une croissance explosive. La Chine, qui occupe la première place mondiale pour la quantité d’électricité produite par l’énergie éolienne et solaire, devrait doubler sa capacité d’ici à 2025, avec cinq ans d’avance sur le calendrier prévu. En Grande-Bretagne, environ un tiers de l’électricité est produit par l’énergie éolienne, solaire et hydraulique. Aux États-Unis, 23 % de l’électricité devrait provenir de sources renouvelables cette année, soit 10 points de pourcentage de plus qu’il y a 10 ans.

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Les constructeurs automobiles ont placé les véhicules électriques au cœur de leurs stratégies commerciales.

« La nature de ces courbes exponentielles nous amène parfois à sous-estimer la rapidité avec laquelle les changements se produisent, une fois qu’ils atteignent ces points d’inflexion et commencent à s’accélérer », a indiqué l’ancien vice-président Al Gore, qui a attiré l’attention sur ce qu’il a appelé une « crise planétaire » il y a 17 ans dans son film Une vérité qui dérange. « La tendance est clairement en faveur d’une augmentation des énergies renouvelables et d’une diminution des énergies fossiles. »

Mais même si le rythme des changements aux États-Unis surprend les experts en énergie, les dirigeants d’entreprises automobiles et bien d’autres, les combustibles fossiles dominent toujours la production d’énergie dans le pays et à l’étranger.

Les entreprises construisent de nouvelles mines de charbon, des plateformes pétrolières et des gazoducs. Le gouvernement continue d’accorder des baux pour des projets de forage sur les terres publiques et dans les eaux fédérales et de subventionner ces industries. Après avoir enregistré des bénéfices record l’année dernière, les grandes sociétés pétrolières reviennent sur leur promesse d’investir davantage dans les énergies renouvelables.

L’ampleur du changement nécessaire pour refaire les systèmes qui alimentent les États-Unis – toute l’infrastructure qui doit être enlevée, repensée et remplacée – est époustouflante. L’ajout de grandes quantités d’énergie renouvelable à des réseaux électriques vétustes et l’extraction de suffisamment de minerais pour les technologies propres posent des défis majeurs.

Il y a loin de la coupe aux lèvres

Certains hommes politiques, dont la plupart des républicains, veulent que le pays continue de brûler des combustibles fossiles, même s’il existe un consensus scientifique sur le fait que leur utilisation met la vie en danger.

Des dizaines de groupes conservateurs organisés par la Heritage Foundation ont élaboré un programme politique qui, en cas de victoire d’un républicain à l’élection présidentielle de 2024, inverserait la tendance en matière de réduction des émissions. Ce document mettrait en pièces les réglementations destinées à réduire les gaz à effet de serre, démantèlerait presque tous les programmes fédéraux en faveur des énergies propres et augmenterait la production de combustibles fossiles.

Si les systèmes énergétiques évoluent rapidement, il en va de même pour le climat. Il est loin d’être certain que les États-Unis et d’autres pays feront ce que les scientifiques estiment nécessaire pour éviter une catastrophe : cesser d’ajouter des gaz à effet de serre dans l’atmosphère d’ici à 2050. Tous les investissements réalisés jusqu’à présent ont permis de ralentir le rythme de croissance des émissions dans le monde, mais la quantité de dioxyde de carbone rejetée dans l’atmosphère atteint des niveaux record.

Pourtant, de Pékin à Londres, de Tokyo à Washington, d’Oslo à Dubaï, la transition énergétique est en marche. Le changement est là, même au pays du pétrole.

À Tulsa, dans l’Oklahoma, la chaîne de montage de l’usine de bus scolaires électriques s’active. Des équipes se déploient dans toute la ville pour installer des panneaux solaires sur des maisons Tudor centenaires. Des Tesla et des Ford F-150 Lightning s’arrêtent à des stations de recharge alimentées en partie par le deuxième parc éolien en importance du pays. À l’École de génie pétrolier de l’Université de Tulsa, des membres de la faculté travaillent sur les moyens d’utiliser l’hydrogène comme source d’énergie propre.

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Le Golden Driller de Tulsa, en Oklahoma, ville plongée dans une nouvelle révolution énergétique.

Tulsa, ancienne ville-champignon autrefois connue comme la « capitale mondiale du pétrole », où l’équipe de baseball de la ligue mineure s’appelle les Drillers, est plongée dans une nouvelle révolution énergétique.

Sur le port, une société italienne, Enel, construit une usine de panneaux solaires d’une valeur de 1 milliard de dollars. L’usine de bus est exploitée par Navistar, l’un des plus grands constructeurs de véhicules utilitaires au monde. Enfin, la principale société d’électricité de la ville, Public Service Company of Oklahoma, tire plus de 28 % de son énergie du vent.

L’énergie, c’est l’énergie

Les entrepreneurs spécialisés dans les énergies propres affluent également dans l’Oklahoma. Francis Energy, un fabricant de bornes de recharge pour véhicules électriques en pleine expansion, est établi à Tulsa. Canoo, une jeune pousse spécialisée dans les véhicules électriques, construit une usine de batteries dans un parc industriel voisin et une usine de fabrication de ses camions à Oklahoma City, bien que l’on se demande si l’entreprise disposera de suffisamment de fonds pour réaliser ses projets. Les équipes de Solar Power of Oklahoma s’emploient à fixer des panneaux photovoltaïques sur les toits des habitations et des entreprises de la région de Tulsa.

La ville assume son changement d’identité.

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Des enfants attendent leur mère près d’une raffinerie à Tulsa, ancienne capitale mondiale du pétrole.

« Nous sommes extrêmement fiers de notre histoire », a déclaré Dewey F. Bartlett Jr, ancien maire républicain de Tulsa qui a travaillé dans le secteur du pétrole et du gaz et qui aide aujourd’hui à recruter des entreprises d’énergie propre dans la région. « Mais nous comprenons aussi que l’énergie est de l’énergie, qu’elle soit produite par le vent, la vapeur ou autre. »

Dans tout le pays, l’énergie propre prend racine dans des endroits improbables.

Houston, qui abrite plus de 500 sociétés pétrolières et gazières, compte également plus de 130 sociétés spécialisées dans l’énergie solaire et éolienne. Certains des plus grands parcs éoliens et solaires du pays se trouvent dans les plaines du Texas, à l’extérieur de la ville, et un immense parc éolien a été proposé au large de Galveston.

Environ les deux tiers des nouveaux investissements dans les énergies propres sont réalisés dans des États contrôlés par les républicains, où les décideurs politiques ont toujours été réticents à l’égard des énergies renouvelables. Mais au fil des mois, la politique semble avoir moins d’importance que l’économie.

Nous sommes l’État le plus rouge du pays, et nous sommes un État pétrolier et gazier. Il a donc fallu beaucoup de temps pour convaincre les gens que ce n’était pas de l’huile de coude.

J. W. Peters, président de Solar Power of Oklahoma

M. Peters était ruiné il y a six ans, avec moins de 400 $ dans son compte de banque après le ralentissement de son activité de sous-traitance. C’est alors qu’il a répondu à une annonce recherchant des travailleurs pour installer des panneaux solaires, de plus en plus populaires à Tulsa. Il emploie aujourd’hui 61 personnes et réalise un chiffre d’affaires annuel de 18 millions de dollars. « Les avantages pour l’environnement sont intéressants, mais la plupart des gens le font pour des raisons financières. »

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.