Comment venir à bout d’une lionne en colère ? Ne posez pas la question au régime des Ayatollahs. Depuis 25 ans, les autorités iraniennes essaient de calmer le rugissement de Narges Mohammadi, une des plus grandes militantes des droits de la personne du pays, et elles n’y arrivent pas.

Même derrière les barreaux, cette femme de 51 ans hors du commun réussit à se faire entendre. Encore et encore.

Cloîtrée dans la geôle de Téhéran qui a la pire des réputations, la prison d’Evin, Narges Mohammadi a publié au cours des derniers mois des lettres faisant état des conditions de détention horribles auxquelles sont assujetties les milliers de prisonnières politiques en Iran.

Avec des compagnes d’incarcération, elle a pris part à des manifestations. Dénoncé les exécutions qui ont eu lieu dans la foulée du soulèvement populaire, né après la mort de la jeune Mahsa Amini le 16 septembre dernier. Un enregistrement de la chanson Bella Ciao !, chantée par une chorale de détenues, a été diffusé sur les réseaux sociaux. Tout un pied de nez alors que le régime ne cesse d’emprisonner ses opposants par milliers pour les neutraliser.

Mme Mohammadi a même réussi à accorder une entrevue au New York Times à partir de sa cellule, bien consciente de la colère que cet acte de désobéissance susciterait. Elle a déjà été incarcérée en 2015 après avoir parlé à des journalistes étrangers de la peine de mort en Iran. « Plus ils me punissent, plus ils me dépouillent et plus je suis déterminée à me battre jusqu’à ce que nous obtenions la démocratie et la liberté. Rien de moins », a-t-elle dit au journal new-yorkais pendant la récente conversation clandestine.

Il n’y a pas là une once de naïveté de sa part. Le régime lui a dérobé à peu près tout ce qui compte à ses yeux depuis qu’elle a commencé son combat pendant ses études. On l’a empêchée de pratiquer son métier d’ingénieure, puis son passe-temps de prédilection, la marche en montagne. On l’a ensuite privée de son partenaire de vie, le journaliste Taghi Rahmani, arrêté tout juste après leur mariage.

Malgré ces multiples privations, elle a rejoint le Centre des défenseurs des droits de la personne en 2003, une organisation que l’avocate Shirin Ebadi a mise sur pied l’année après avoir reçu son prix Nobel de la paix.

Les jumeaux de Mme Mohammadi n’avaient que 5 ans quand elle les a pris dans ses bras pour la dernière fois, en 2012. Cette année-là, elle a été incarcérée après avoir été condamnée à 10 ans de détention pour, en gros, avoir fait mal paraître la théocratie. Son mari a pris le chemin de l’exil avec les deux enfants.

Mais rien de tout ça n’a découragé cette battante. Lorsqu’elle a été relâchée de prison en 2020 pour des raisons de santé, elle a écrit un livre et réalisé un documentaire coup de poing sur la « torture blanche ». Une torture qui marque à vie, mais qui ne laisse pas de marque.

Quelle forme prend-elle ? On embarre des prisonniers politiques dans une chambre blanche de deux mètres carrés et on les prive de tout. De lumière, de repères, de contacts humains. Pendant des jours, des semaines, des mois, jusqu’à ce que les victimes fassent des aveux farfelus.

Pour le documentaire, qui sera projeté en première nord-américaine ce jeudi à 19 h au Cinéma du Parc à Montréal, Narges Mohammadi a à la fois interviewé des dizaines de survivants de cette pratique et a tourné la caméra vers elle-même. On la voit, avec son impressionnante chevelure frisée, raconter comment on a essayé de la dégriffer en lui faisant croire qu’on avait arrêté ses enfants.

En vain. Narges Mohammadi, qu’on a condamnée à 80 coups de fouet et à de longues années de prison pour ce travail essentiel de dénonciation, continue de rugir.

Je ne suis pas la seule qui est renversée par le courage sans borne de cette femme.

C’est pour faire connaître son histoire que la militante des droits des femmes Sherazad Adib a voulu projeter le documentaire à Montréal, soulignant du coup le premier anniversaire de la mort de Mahsa Amini, une jeune Kurde arrêtée pour un voile mal porté. Une mort injuste aux mains des autorités qui a mené à une révolte sans précédent en Iran. Une révolte qui a un visage de femme.

PHOTO KENZO TRIBOUILLARD, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Mahsa Amini

« Pour moi, Narges Mohammadi fait partie des leaders en Iran qui essaient de changer les choses. Elle se bat pour les femmes, contre le voile forcé, contre la torture et les exécutions. Le travail de la diaspora, c’est de faire entendre des voix comme la sienne », affirme l’organisatrice qui a travaillé de concert avec Amnistie internationale pour organiser l’évènement de ce jeudi.

C’est aussi dans cet esprit que l’illustrateur Nicolas Wild et le journaliste Jean-Pierre Perrin consacrent une bande dessinée à Narges Mohammadi et à l’avocate Nasrin Sotoudeh dans un nouveau livre intitulé Femme Vie Liberté. Dirigé par l’artiste irano-française Marjane Satrapi, ce magnifique recueil est un hommage à la résistance iranienne sous toutes ses formes.

  • Femme Vie Liberté

    IMAGE FOURNIE PAR LA PRODUCTION

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Cette résistance risque d’éclater à nouveau dans les rues de la République islamique dans les prochains jours. Malgré la répression et le danger. Car n’en déplaise au régime islamiste, Narges Mohammadi n’est qu’une des lionnes qu’il n’arrive pas à faire taire.

Trois moyens de commémorer la mort de Mahsa Amini au Québec

1. Le film White Torture (La torture blanche) de Narges Mohammadi sera présenté le 14 septembre à 19 h au Cinéma du Parc (3575, avenue du Parc) à Montréal. La projection sera suivie d’un panel de discussion. Le film est en persan et est sous-titré en anglais.

Consultez le site de l’évènement

2. Le recueil Femme Vie Liberté, dirigé par Marjane Satrapi (Persépolis), a paru ce mercredi en français aux Éditions de l’Homme au Québec. Il est offert en librairie au coût de 42,95 $. Le livre est aussi accessible gratuitement en ligne dans sa version persane.

3. Une marche en l’honneur de Mahsa Amini et du mouvement Femme, Vie, Liberté aura lieu le samedi 16 septembre au centre-ville de Montréal et débutera à 14 h devant les portes Roddick de l’Université McGill (angle Sherbrooke et McGill College). Une marche aura aussi lieu à Québec.