Même s’il croit avoir remporté les élections au Gabon le week-end dernier, Albert Ondo Ossa est de très, très mauvaise humeur. Une humeur qui détonne avec le sentiment de liesse qu’on peut observer dans les rues de Libreville depuis que la garde présidentielle a pris le pouvoir mercredi, renversant le président Ali Bongo Ondimba.

« Ce qu’on a au Gabon, ce n’est pas un coup d’État, c’est une révolution de palais », m’a-t-il dit jeudi lors d’une conversation téléphonique.

Le professeur d’économie est convaincu que le putschiste en chef, le général Brice Oligui Nguema, qui était à la tête de la garde présidentielle au moment de la prise de pouvoir, n’est que le représentant d’une faction de la famille Bongo et non pas le libérateur du pays. Il montre du doigt les liens de parenté de M. Nguema, tout comme ses longs états de service auprès de la famille Bongo.

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Le général Brice Oligui Nguema

En d’autres termes, il croit qu’un Bongo en remplacera un autre en prenant le titre de président de transition lundi prochain. Il aurait plutôt voulu que les bulletins de vote soient recomptés pour mettre en relief le choix des Gabonais. « Je ne peux me réjouir de ce qui se passe en ce moment, je suis un démocrate », dit-il. Il se sent pris au piège. Un véhicule de la gendarmerie monte la garde devant chez lui.

Le politicien ne partage donc pas le sentiment de beaucoup de ses concitoyens qui pensent que le régime dynastique qui a fait la pluie et le beau temps pendant 56 ans dans le petit pays d’Afrique de l’Ouest est enfin terminé. En 1967, soit sept ans après l’indépendance du pays, Omar Bongo a pris les rênes du système basé sur parti unique. En 1990, il a accepté avec peine le multipartisme, mais c’est son fils, Ali, qui a repris le pouvoir en 2009.

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Le seul candidat de l'opposition, Albert Ondo Ossa, déposant son vote lors de l'élection présidentielle, samedi dernier

Toutes les élections auxquelles Bongo fils a pris part ont été contestées. Y compris celle du week-end dernier. Après qu’Albert Ondo Ossa, qui était le candidat unique d’une coalition de partis de l’opposition, a déclaré que l’élection était frauduleuse, le gouvernement Bongo a carrément coupé l’internet et le système téléphonique en plus d’imposer un couvre-feu et de bannir des chaînes d’information internationales. Tout ça pour éviter la « violence » et les « fausses informations », selon le ministre des Communications.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que la population, déjà en colère, n’a pas été impressionnée.

Alors que le pays était plongé dans la noirceur informationnelle, les autorités ont annoncé qu’Ali Bongo avait remporté les élections avec 70 % du scrutin. Une heure plus tard, des militaires apparaissaient à la télévision pour dire qu’ils annulaient les résultats de l’élection et démantelaient les institutions de l’ère Bongo. « Au nom du peuple gabonais, nous avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime actuel », a dit le porte-parole du putsch. Ils ont annoncé l’arrestation du président et de sept de ses proches. Parmi eux, Noureddin Bongo Valentin, son dauphin.

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Des routiers attendent près de leurs camions transportant de la nourriture, des animaux et des équipements industriels en raison de la fermeture de la frontière après le coup d'État au Gabon, dans la ville frontalière de Kye-Ossi, au Cameroun, jeudi.

« L’ancien régime a décrété un couvre-feu, les militaires l’ont exécuté, mais ils l’ont aussi utilisé pour perpétrer leur coup d’État », m’a dit jeudi une des figures de proue de la société civile gabonaise, Georges Mpaga, joint dans la capitale.

Pendant l’élection, il n’est pas resté les bras croisés. Alors que les observateurs internationaux ont été bannis du pays, M. Mpaga a organisé avec d’autres des missions d’observation à travers le pays de 2,7 millions d’habitants.

Le coup d’État a mis fin à la tentative d’Ali Bongo de renverser les résultats que nous avons pu compiler sur le terrain.

Georges Mpaga

Oui, convient-il, le chef de la junte est issu du sérail de la famille Bongo, « mais il a mis fin à ce régime féodal et corrompu ».

Lors de notre conversation, M. Mpaga revenait d’une réunion avec d’autres acteurs de la société civile. Ils ont préparé leur liste d’épicerie pour la junte. « Nous demandons des éclaircissements. Nous voulons que le gouvernement de transition soit dirigé par un civil et que ce gouvernement soit inclusif. Il est essentiel de changer les institutions qui étaient inféodées aux Bongo », dit-il, espérant « voir rapidement clair dans le jeu des militaires ».

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Affiche de campagne électorale vandalisée du président renversé, Ali Bongo Ondimba, à Libreville

Les prochains jours seront donc déterminants. La vraie nature des putschistes devrait être rapidement connue et les pressions externes seront cruciales.

Ce que les Gabonais célébraient dans la rue n’était pas l’arrivée de l’armée au pouvoir, mais bien la fin d’un régime politique qui les a appauvris. Pays grand comme la Grande-Bretagne, avec une petite population, le Gabon est un producteur de pétrole. Mais les richesses naturelles profitent à une petite élite. Plus de 40 % des habitants vivent sous le seuil de la pauvreté. Les attentes sont donc élevées.

Faut-il voir dans le putsch du Gabon une continuation des coups d’État qui se sont multipliés au cours des trois dernières années en Afrique centrale, alors que le Mali, le Burkina Faso, la Guinée, le Soudan, le Niger y sont tous passés les uns après les autres ?

Florence Bernault, professeure d’histoire à Sciences Po et spécialiste du Gabon, croit qu’il faut faire la part des choses.

L’histoire du petit pays n’a pas été marquée par une série de coups d’État. On n’y observe pas les mêmes problèmes de sécurité qu’au Sahel.

Cependant, comme dans plusieurs anciennes colonies françaises touchées par les coups d’État, le sentiment antifrançais y est palpable, le désir de souveraineté politique aussi, dit l’historienne qui y a passé le printemps.

« Il y a certainement des coïncidences, mais ça ne devrait pas nous empêcher de voir les circonstances dans chacun de ces pays [frappés par des coups d’État] », ajoute-t-elle.

Il faudra différencier l’arbre de la forêt.