Les tables montréalaises établies sont-elles toujours à la hauteur de leur réputation ? Nous en visiterons quelques-unes pendant l’année, question de renouer avec ces restaurants qui résistent à l’épreuve du temps. Cette semaine, le Leméac prouve encore et encore qu’il n’a rien perdu de son élégance.

Un peu d’histoire

C’est en 2001 que Richard Bastien et Émile Saine ouvrent Leméac, nommé en l’honneur de la maison d’édition qui, à une autre époque, était installée exactement dans ce local de l’avenue Laurier Ouest.

Dès le départ, il y a une ambition manifeste de pérennité. La cuisine de brasserie française est une des plus intemporelles. Le quartier est probablement celui de Montréal qui ressent le moins les aléas d’une économie fluctuante. Le décor de feu Luc Laporte, qui avait signé L’Express ainsi que deux autres adresses malheureusement fermées dans les dernières années (le beau restaurant Laloux et la boutique Arthur Quentin), n’a pas pris une ride.

« Le Leméac a cet effet. On n’y voit pas les années passer. Il ne change simplement pas. Ou s’il change, c’est justement pour que le temps qui avance ne paraisse pas », écrivait Marie-Claude Lortie en 2016 dans La Presse. Avant elle, en 2002, la regrettée François Kayler décrivait l’endroit ainsi : « La simplicité peut avoir du style… c’est peut-être ce que l’on appelle l’élégance. Baptisé café-bistrot, Leméac a ces qualités. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La salle à manger imaginée par Luc Laporte est à l’épreuve du temps.

Plusieurs chefs réputés sont passés par les cuisines du Leméac, dont Stelio Perombelon (aujourd’hui professeur à l’ITHQ), Charles-Emmanuel Pariseau (O Chevreuil à Sherbrooke), Eric Dupuis (Bar Henrietta, Taverne Atlantic). Olivier Belzile, qui a connu les belles années du Local, dans le Vieux-Montréal, et travaillé à L’Épicier, est fidèle au poste depuis 2016.

Patrice Demers (Sabayon) fut le premier pâtissier du restaurant. Plusieurs de ses desserts figurent toujours au menu, même si le talentueux David Courteau, également céramiste à ses heures, a sûrement mis les recettes à sa main au fil des années et créé de nouvelles propositions décadentes.

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Maxime Saine (à droite) prend tranquillement la relève de son père Émile (à gauche), cofondateur du restaurant en 2001, avec Richard Bastien. Ce dernier, copropriétaire du Monarque et du Mitoyen, a vendu ses parts il y a quelques années.

Les conditions de travail au Leméac sont réputées excellentes. C’est entre autres ce qui explique que les habitués voient les mêmes visages en salle depuis des années, dont celui de la directrice Julie Barrette. Des employés de service et de cuisine bien payés (et ils sont une centaine !), ça peut se refléter dans l’addition.

L’expérience

  • Le cabillaud sauvage d’Islande sur purée de fenouil, avec sauce vierge est un des incontournables de la maison.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Le cabillaud sauvage d’Islande sur purée de fenouil, avec sauce vierge est un des incontournables de la maison.

  • Ce pain perdu est un des plats les plus iconiques de la restauration montréalaise !

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Ce pain perdu est un des plats les plus iconiques de la restauration montréalaise !

  • Depuis son ouverture, la terrasse du Leméac a toujours été l’une des plus agréables de Montréal.

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    Depuis son ouverture, la terrasse du Leméac a toujours été l’une des plus agréables de Montréal.

  • Du classique, du québécois et du champ gauche (pas sur la photo !) cohabitent sur la carte des vins du Leméac.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Du classique, du québécois et du champ gauche (pas sur la photo !) cohabitent sur la carte des vins du Leméac.

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Je n’avais pas mis les pieds au Leméac depuis des années. Malgré les commentaires toujours positifs qui en émanaient, que ce soit d’une sexagénaire fortunée qui se targue d’y manger une fois par semaine ou de travailleurs de la restauration exigeants, toujours excités de dénicher une pépite sur l’impressionnante carte des vins, j’étais un peu nerveuse. Bien que la critique négative soit parfois inévitable, je n’y prends aucun plaisir.

Mais il n’y avait vraiment pas de quoi s’inquiéter, d’autant plus que mon accompagnatrice, Leïla, connaît le menu par cœur et pouvait nous guider dans les choix.

Ce n’était pas une belle soirée d’été, mais un mardi frisquet. La terrasse entièrement couverte serait néanmoins notre refuge douillet pour quelques heures.

En attendant mon invitée, je me suis plongée dans l’étude de la carte des vins, composée par Yan Faraire et son assistant Dominic Poulin. Peu de lectures me font aussi plaisir que celle-là. À plus forte raison lorsque la carte fait plusieurs pages et mélange références mythiques et cuvées champ gauche aux noms rigolos. C’est à la fois une promesse de bien boire et un défi de trouver LE vin de circonstance.

D’abord déterminée à commander une bouteille (française) assez polyvalente pour passer de l’apéro au foie de veau, je fais dérailler mon plan en décidant d’ouvrir le repas avec des bulles italiennes rosées.

Finalement, c’est difficile de ne pas se laisser aller au plaisir de la découverte, la carte comptant une trentaine d’options au verre.

Avec nos goûts un peu pointus, nous mettons notre serveur au défi, le faisant retourner aux frigos à quelques reprises. Y avait-il un sommelier ou une sommelière dans la salle ce soir-là ? Nous ne le saurons pas. Toujours est-il que la surprise de la soirée est un rouge slovaque très léger de Michal Basalik, probablement un assemblage de type field blend, servi d’un magnum. C’est juteux, floral et épicé. Un vin de plaisir.

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Leméac a ouvert en 2001 sur l’avenue Laurier Ouest.

À manger, nous choisissons de faire honneur autant aux incontournables de la maison qu’aux plats du moment. J’hésite longtemps entre le chèvre chaud et le tian de légumes au cheddar, deux entrées qui figurent au menu depuis le premier jour. La rondelle de chèvre panée, garnie de pommes acidulées, de chicorée juste assez amère et de noix de grenoble, l’emporte. La petite chose moelleuse et croustillante satisfait les attentes.

L’entrée du jour est un carpaccio de bœuf qui ne déroge pas aux principes d’accords sûrs. Il est agrémenté de parmesan et de roquette, ponctué d’une dijonnaise et rehaussé d’une tapenade à la truffe. Irréprochable.

Après une grosse séance à la salle de sport, Leïla a envie « d’un bon vieux classique du Leméac », soit le pavé de foie de veau en croûte de ciboulette avec purée à l’oignon caramélisé. La pièce de viande fait bien deux pouces d’épaisseur. Sa cuisson est parfaite, d’un rosé miraculeux qui lui assure tendreté et goût suave, mais reconnaissable entre tous.

Le flétan a ma faveur, un plat très protéiné avec ses haricots et sa saucisse chipolata découpée en rondelles. Le tout cohabite excellemment dans un bouillon tomaté bien relevé.

Si je fréquentais le Leméac de manière régulière, j’éviterais certainement de me surcharger en calories avec son décadent dessert signature, soit le pain perdu noyé dans un caramel et enrichi d’une quenelle de glace au dulce de leche.

Mais une fois n’est pas coutume et il faut bien s’assurer que cette création est toujours bel et bien un canon de décadence. Confirmé !

La deuxième pâtisserie ne fait pas non plus dans la légèreté. Sur le fondant au chocolat (de type brownie), il y a du popcorn caramélisé, de la banane et une glace au popcorn. Un cercle de caramel au fond de l’assiette complète l’offensive, bien menée au demeurant. Mais un dessert à deux aurait suffi !

Voilà qui complète un repas sans fausse note, si l’on oublie le léger cafouillage du vin. Mais s’agissant de note, s’il y a une chose qui m’empêche de fréquenter Leméac plus assidûment, c’est l’addition. Peut-être qu’une minestrone à 18 $, une salade-repas à 32 $ et un poisson ou une viande à 48-62 $, c’est le prix à payer pour que tous les employés aient un salaire décent. Mais ce n’est certainement pas à la portée de toutes les bourses. Notre addition complète pour deux, avec entrées, plats, desserts et cinq verres de vin au total, est montée à 340 $, taxes et pourboire inclus. Cela dit, rien n’empêche qui que ce soit de s’installer au bar pour commander un verre de vin et un plat. À considérer.

1045, avenue Laurier Ouest, Outremont

Consultez le site du Leméac