« Est-ce possible de réinventer la table fermière ? », se demande Jean-Martin Fortier, tandis que nous sommes justement attablés dans la vaste et chaleureuse salle à manger de l’Espace Old Mill. L’ambitieux mais cohérent nouveau projet du jardinier-maraîcher vedette sera ouvert au public au printemps prochain. La Presse a eu droit à une visite des lieux et à une rencontre avec l’équipe, qui amorce sa période de rodage.

(Stanbridge-East) C’est à Stanbridge-East que l’instigateur d’un bon nombre de retours à la terre au Québec et ailleurs a décidé de s’enraciner et d’enfin récolter ce qu’il a semé. Il est à moins de 10 minutes de route de La Grelinette, ferme qu’il a fondée en 2004, à Saint-Armand, avec sa conjointe Maude-Hélène Desroches. Ça lui fait du bien de « rentrer chez lui ».

Il faut dire qu’il en a donné, des ateliers, des formations et des conférences, le jardinier sans frontière. La « tournée mondiale » amorcée il y a une dizaine d’années, après la publication de son premier livre puis la création, en 2016, de la Ferme des Quatre-Temps, a été interrompue par la COVID-19. Depuis, Jean-Martin Fortier a envie de rester dans sa belle région, les Cantons-de-l’Est, où il se brasse plein de choses excitantes ces temps-ci et où le sentiment de communauté est de plus en plus fort.

Son nouveau laboratoire se trouve dans un édifice historique datant de 1849, l’Old Mill, qui abrite un restaurant, les bureaux de l’Institut du jardinier-maraîcher, une auberge, une boutique ainsi que des jardins d’été, des tunnels froids et une serre carboneutre chauffée à l’eau et à l’électricité.

Jean-Martin Fortier a bien hâte de recevoir.

La Ferme des Quatre-Temps n’est pas ouverte au public. La Grelinette non plus. Mais ça n’a jamais empêché les gens de s’arrêter devant chez nous et d’essayer de visiter. Ici, ce sera fait pour ça.

Jean-Martin Fortier

L’accès est en effet facile, puisque la ferme est adjacente à un terrain public invitant, en bordure de la rivière aux Brochets, avec vue sur le Musée du comté de Missisquoi et sa roue qui tourne. « J’aime bien cette image. Je veux apporter de l’eau au moulin », lance Jean-Martin, tandis que nous contemplons le paysage.

Espace Old Mill
  • L’ancien moulin, aujourd’hui musée, qu’on peut apercevoir du terrain.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    L’ancien moulin, aujourd’hui musée, qu’on peut apercevoir du terrain.

  • Le site d’Espace Old Mill, adjacent à un terrain public et en bordure de la rivière aux Brochets, est exceptionnel.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Le site d’Espace Old Mill, adjacent à un terrain public et en bordure de la rivière aux Brochets, est exceptionnel.

  • Dans les dernières années, avant qu’il soit repris par l’équipe de Jean-Martin Fortier, le bâtiment Old Mill 1849 a été un bar puis un restaurant.

    PHOTO FOURNIE PAR ESPACE OLD MILL

    Dans les dernières années, avant qu’il soit repris par l’équipe de Jean-Martin Fortier, le bâtiment Old Mill 1849 a été un bar puis un restaurant.

  • C’est la fin de la saison dans le jardin que Jean-Martin Fortier a cultivé tout l’été et qui servira à préparer les premiers repas et conserves d’Espace Old Mill.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    C’est la fin de la saison dans le jardin que Jean-Martin Fortier a cultivé tout l’été et qui servira à préparer les premiers repas et conserves d’Espace Old Mill.

  • Parions qu’il y aura du chou au menu !

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Parions qu’il y aura du chou au menu !

  • La grande serre, ici en construction, sera chauffée à l’eau et à l’électricité.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    La grande serre, ici en construction, sera chauffée à l’eau et à l’électricité.

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L’intérêt d’Espace Old Mill va au-delà du jardinage. C’est une application pratique et gourmande du concept de maraîchage toute l’année, de consommation locale et saisonnière. Il y aura des repas champêtres avec supplément d’âme quelques soirs par semaine et peut-être des moments « buvette » plus informels. Le restaurant se réservera une bonne partie de la production de la ferme et complétera avec des élevages du coin pour la viande et d’autres produits d’origine animale.

L’heureux élu pour mettre en valeur ces denrées d’exception s’appelle Éric Gendron. Installé dans la région depuis peu, le jeune chef a rapidement tissé des liens avec les artisans fermiers des alentours en préparant des repas extérieurs intimes, que ce soit dans le contexte de son projet Le Coin Meigs ou lors d’évènements privés. Pour avoir goûté à sa cuisine à l’occasion d’un souper au vignoble et gîte viticole Sœurs racines, à Saint-Ignace-de-Stanbridge, on peut confirmer que c’est un très bon choix. Éric est épaulé par une jeune femme à l’impressionnante polyvalence, Jeanne Santoire-Joset, amatrice de maraîchage, de cannage et d’histoire culinaire.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

L’équipe de base d’Espace Old Mill est composée de Jeanne Santoire-Joset (cuisine, maraîchage, boutique), de Caroline Longpré (maître d’hôtel), de Phillipe Tapp (directeur général), de Jean-Martin Fortier, de Suleyka Montpetit (cofondatrice et PDG du Jardinier-maraîcher) et d’Éric Gendron (chef).

Sans être à 100 % patrimoniale, la cuisine de l’Old Mill fera certainement des clins d’œil au passé. « Parce qu’on est dans un lieu emblématique, un des derniers bastions loyalistes, on a la volonté de faire le lien avec l’histoire du village, explique Éric. On va justement rencontrer une archiviste du musée pour étudier de vieilles recettes qui se faisaient ici. » Le chef évoque par exemple la salade d’engrais verts (graminées, crucifères, légumineuses) des quakers.

Ce n’est pas en faisant pousser des fraises l’hiver dans des serres hypertechnologiques qu’on va s’assurer une vraie souveraineté alimentaire. C’est en revenant à ce que les anciens faisaient bien et en multipliant les petites fermes.

Jean-Martin Fortier, jardinier-maraîcher

Cela dit, celui qui continue d’enseigner, d’agir à titre de mentor et de conseiller aux deux fermes des Quatre-Temps (la production maraîchère est aujourd’hui sous la responsabilité de Catherine Sylvestre) et d’être à la tête de l’entreprise Growers & Co, entre autres, affirme qu’il a fini de porter des causes sur ses épaules. Sa jeune collaboratrice Jeanne s’empresse de souligner que la simple existence d’Espace Old Mill est en soi un geste politique et social, une forme de décentralisation de l’activité humaine.

Un exemple concret ? Éventuellement fournir du travail aux diplômés de l’école hôtelière de Brome-Missisquoi, à Cowansville. « Ils n’ont pas la fierté de leur région parce qu’on leur dit tous d’aller travailler à Montréal, déplore Éric Gendron. Il faut leur donner plus d’endroits à l’extérieur des grands centres pour gagner leur vie. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

On n’a pas voulu créer une salle à manger design et moderne à l’Old Mill. L’espace demeurera chaleureux.

Et réinventer la table fermière, alors ? « En fait, je reformulerais ça. Je dirais plutôt que j’ai hâte qu’on n’ait plus à utiliser l’expression “table fermière”, parce que c’est tout simplement devenu la norme et qu’il y a de bons restaurants partout dans les campagnes du Québec. »