À travers les bons coups et, parfois, les moins bons, nos critiques de restaurants vous content leur expérience, présentent l’équipe en salle et en cuisine, tout en expliquant ce qui a motivé le choix du restaurant. Cette semaine : les goûts envoûtants du Pichai.

Pourquoi en parler ?

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La cuisine du Pichai est parfaite pour le partage.

L’équipe du Pichai a d’abord bâti une clientèle fidèle avec l’épicerie Pumpui, un comptoir de cuisine thaïlandaise de la rue Saint-Zotique, dans la Petite Italie. Mais en cuisine, on regrettait parfois de ne pouvoir mettre au menu certaines spécialités un peu plus « exotiques », de peur de brusquer les Québécois. Il y a des goûts forts qui passeraient moins bien ici, comme certains poissons saumurés. Ainsi naissait Pichai (qui veut dire « grand frère »), un restaurant où on prend le temps de s’installer, de siroter un verre ou deux et de se laisser dépayser par des parfums différents de ceux auxquels la première vague de restaurants thaïlandais de la métropole nous a habitués. Depuis l’ouverture au printemps dernier, après moult délais covidiens, la nouvelle adresse est très populaire, auprès d’une clientèle bien variée. Celle-ci est composée tant de Thaïlandais d’origine et de voyageurs qui cherchent à retrouver les goûts si caractéristiques de là-bas que d’amateurs qui n’ont visité le pays d’Asie du Sud-Est que par le ventre.

Qui sont-ils ?

Albertain d’origine, Jesse Mulder a fait plusieurs longs voyages en Thaïlande, à partir de 2003, et y a même vécu pendant quelques années. Il a appris la langue, la culture, les manières… et la cuisine ! Autodidacte, il s’est formé auprès d’amis, de leurs mères et de leurs grands-mères, puis en observant les cuistots des bouis-bouis de Bangkok. Les Montréalais ont commencé à devenir accros à ses petits plats thaïlandais il y a une dizaine d’années lorsque Mulder offrait le menu hebdomadaire en livraison à vélo Chak Wow. Il y a deux autres Jesse dans l’histoire, le partenaire Jesse Massumi, responsable de la salle, puis le chef de cuisine Jesse Grasso. Xavier Cloutier, copropriétaire du Pumpui, est également dans l’aventure, travaillant surtout dans l’ombre.

Notre expérience

  • Le tofu thoke est fait non pas avec du soya, mais avec de la farine de pois chiche.

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    Le tofu thoke est fait non pas avec du soya, mais avec de la farine de pois chiche.

  • Ce cari rouge nappe une belle pièce d’espadon.

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    Ce cari rouge nappe une belle pièce d’espadon.

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D’abord, une confession : je n’étais pas parfaitement incognito, au Pichai. Non seulement l’équipe a-t-elle déjà vu ma bette à plusieurs reprises, depuis l’époque Chak Wow, mais j’avais emmené un invité surprise. Mon ami Sana a rencontré Jesse Mulder en Birmanie, en 2009. Ancien athlète et entraîneur de muay-thaï, entre autres, il a fait une trentaine de séjours plus ou moins longs (jusqu’à un an) en Thaïlande, entre 1998 et la pandémie. Puis les deux hommes se sont retrouvés par hasard dans le métro de Montréal, des années plus tard.

Je suis un peu larguée tandis qu’ils discutent en thaï. Ça me permet de plonger le nez dans le menu, qui ne ressemble en rien à celui auquel les restaurants thaïlandais de la métropole comme Thaïlande et le défunt Chao Phraya nous avaient habitués. « Salade de champignons marinés et grillés » (hed nam tok), « riz au jasmin à la pâte de crevettes rôtie, flanc de porc caramélisé, saucisse chinoise, crevettes séchées, omelette, mangue verte » (khao kluk gapi), « collet de porc grillé, sauce nam jim jaew, yu choy » (kor moo yang), etc.

Le tofu thoke nous parle. Il est fait non pas avec du soya, mais avec de la farine de pois chiche, nous explique-t-on. Cette spécialité de la Birmanie, servie ici en gros cubes, se situe donc entre le tofu et la polenta, avec une texture moelleuse à l’intérieur. La sauce à base de soya, de tamarin et de lime ponctue bien avec son acidité, tandis que les arachides et l’échalote frite font cric crac croc ! Avec la salade de haricots longs bien épicée, mais tempérée par un œuf au jaune parfaitement crémeux, c’est un début de repas qui fait saliver.

  • La salle du Pichai est colorée, à l’image de son petit frère, Pumpui.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    La salle du Pichai est colorée, à l’image de son petit frère, Pumpui.

  • S’asseoir au comptoir permet d’admirer cette œuvre énigmatique de l’artiste Dan Climan.

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    S’asseoir au comptoir permet d’admirer cette œuvre énigmatique de l’artiste Dan Climan.

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Jesse Mulder, qui, exceptionnellement, était en cuisine le soir de notre passage (son chef Jesse Grasso étant en vacances au soleil), a décidé que nous devions absolument goûter aux moules au cari vert. Et il avait raison ! C’est impressionnant à quel point les bivalves de Salt Spring Island, en Colombie-Britannique, sont dodus et moelleux. Puis en contrepoint de cette douceur : l’intensité du cari vert, qui doit sa couleur et ses parfums à la coriandre, au basilic et aux feuilles de lime kaffir. Ça fait changement du poulet !

Nous avons aussi opté pour le cari rouge, qui nappe une belle pièce d’espadon. Sous sa généreuse garniture de feuilles de basilic frites et de juliennes de poivron, le poisson est tout souple et absorbe le goût de la sauce écarlate.

Finalement, comme dernier plat, Sana a tenu à commander la salade d’onglet de bœuf du Québec (yum neua), un incontournable qui permettra d’établir une fois pour toutes si la cuisine maîtrise bien ses classiques. Il n’y a pas de doute, la puissance et l’acidité qui caractérisent le plat y sont. Malheureusement, le sel est en surplus. C’est probablement la faute au padaek, la sauce poisson typique de la région d’Isan, qui partage une frontière avec le Laos. On nous apporte des quartiers de lime pour diluer un peu. Ça le fait. Tout comme les bouchées de riz collant que l’on prend entre deux tranches de bœuf.

Un des desserts signature du Pichai, depuis son ouverture, imite le tiramisu italien, mais avec du thé thaïlandais, une infusion forte d’orange pekoe avec du lait condensé et du sucre. L’énorme carré de mascarpone orangé est surmonté d’une montagne de noix de coco grillée. L’idée est géniale, mais le thé n’a pas la présence aromatique du café. Ça manque un peu de contraste. Les coupes glacées, en revanche, se laissent dévorer, surtout celle à la banane et aux arachides.

Dans notre verre

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Chez Pichai, il y a un vaste choix de liquides pour s’accorder avec des plats à la très forte personnalité, dont ces cinq vins. Nous avons commencé avec le sancerre Akmèniné du vigneron Sébastien Riffault (bouteille à gauche), qui était proposé au verre lors de notre passage.

C’est rarement le cas dans les restaurants thaïlandais, mais chez Pichai, il y a un vaste choix de liquides pour s’accorder avec des plats à la très forte personnalité. Si vous ne jurez que par la bière, il y a quelques brassins à découvrir, dont certains sont collaboratifs et exclusifs aux deux adresses du « groupe », comme la Chak Wow NEIPA, de Pumpui et Ma Brasserie, puis la Mousson Saison au riz au jasmin, élaborée avec la brasserie Dunham. Il y a aussi des cidres naturels et, surtout, une carte des vins merveilleusement bien adaptée, montée par la sommelière Élisabeth Racine. Il faut des jus assez costauds pour accoter la charge aromatique de la cuisine. En premier verre, le sancerre Akmèniné 2018 de Sébastien Riffault, servi d’un magnum, a l’acidité parfaite pour accompagner les salades. Pour le deuxième verre, on passe à une profonde macération de trebbiano toscan. Ce vin « orange » est presque brun tant il a passé de temps sur les peaux. Ses tannins et son corps empêchent le vin de se laisser écraser par les parfums entêtés des caris. Une soixantaine de cuvées artisanales sont proposées à la bouteille, avec une majorité de bulles, de blancs, de macérations et de rosés. Les rouges sont en minorité.

Bon à savoir

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Pichai est situé tout juste au sud de la Plaza St-Hubert.

Les papilles québécoises moyennes ne se rendent pas très haut sur l’échelle de Scoville ! Aussi, la cuisine de Jesse Mulder avait-elle la réputation d’« arracher », à l’époque de Chak Wow, du moins. Au Pichai, on n’a pas souvenir d’avoir eu envie d’engloutir un litre de crème glacée pour éteindre le feu. La cuisine semble s’être résignée à faire une utilisation un peu plus parcimonieuse du piment. Plusieurs options végétaliennes sont au menu. Elles n’apparaissent peut-être pas toujours comme telles, mais peuvent le devenir, sur demande.

Prix

Le prix des plats varie beaucoup en fonction de leur ingrédient de base. Une salade d’onglet de bœuf québécois (29 $) coûte naturellement plus cher qu’une salade de haricots (14 $). Un espadon grillé (32 $) vaut facilement le double d’une assiette de tofu (16 $). Bref, soyez végétarien et ça vous coûtera moins cher ! Du côté du vin, on trouve peu de bouteilles à moins de 50 $, 60 $, voire 70 $. Bien boire, ça se paie et tout le monde s’arrache les cuvées à petit prix, en restauration.

Pichai est ouvert du mercredi au dimanche soir, au 5985, rue Saint-Hubert, à Montréal.

Consultez le site du Pichai