Un article de Montreal Gazette annonçant la « retraite » du restaurateur David McMillan a causé tout un émoi cette semaine. Celui qui vient de vendre ses parts du groupe Joe Beef y déclare entre autres que quitter le milieu lui donne parfois l’impression de sortir de prison. Mais qu’en est-il de ceux et celles qui restent ? Nous avons parlé à Frédéric Morin de l’avenir de ses restaurants.

Si leur partenaire de longue date a choisi de se concentrer sur sa santé, sur ses trois filles et sur son potager et vignoble de Saint-Armand, Frédéric Morin et Allison Cunningham ont quant à eux décidé de poursuivre l’aventure, avec les équipes déjà en place au Joe Beef, au Liverpool House (et Vinette à l’arrière), au Vin papillon et au McKiernan.

Certes, la pandémie n’a pas été facile. McMillan et Morin, qui avaient pris une certaine distance des activités quotidiennes de leurs établissements, ont dû se relever les manches et trouver des manières plus créatives que jamais de remplir les coffres et les barquettes d’aluminium. « Mais si on est passés à travers, c’est grâce à Allison, qui fait un travail de gestion incroyable depuis des années », déclare Frédéric Morin, qui n'a pas commenté le départ de son associé de toujours.

Avec 25 ans de métier dans le corps, le chef, peintre, menuisier, patenteux et coauteur de deux livres semble plutôt heureux d’être de retour au Joe Beef presque tous les soirs.

 Je ne suis pas une victime de mes associés ni des circonstances. Je suis là parce que je le veux bien.

Frédéric Morin, copropriétaire du Joe Beef

« J’aime vraiment la face de tout le monde qui est là en ce moment, poursuit-il. Ceux qui sont restés sont contents d’être là. On travaille fort à implanter toutes sortes de choses, à changer des manières de faire pour rendre notre personnel plus heureux. »

Tirer les leçons du passé

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Le Joe Beef.

Certes, comme ailleurs, il y a eu des débordements de toutes sortes dans les restaurants du groupe. David McMillan parle de la colère permanente qui l’habitait ces derniers temps, dans l’article de Montreal Gazette. Surconsommation d’alcool et de drogues, blagues déplacées, violence verbale et autres accusations : les adresses de la rue Notre-Dame Ouest n’y ont pas échappé dans le passé, ont rapporté des publications comme Bon Appétit, The New Yorker et Montreal Eater, il y a quelques années.

« Oui, il y a eu des moments où on a pris beaucoup trop de clients au resto, où on a eu certaines idées de grandeur et où la machine s’est vraiment embourbée. Les changements de culture et de fonctionnement ont commencé avant la pandémie. Puis la COVID a permis à la machine de respirer. Aujourd’hui, le prix à payer, c’est un grand manque de personnel. Mais si ça a permis à des gens de se retrouver et d’aller faire ce qui les rend heureux, tant mieux. Cela dit, je serais bien curieux de savoir dans quel métier tout le monde est allé ! », lance le patron.

Joe Beef a justement perdu son chef exécutif, Gabriel Drapeau, parti superviser les cuisines de l’entreprise montréalaise de prêt-à-manger WeCook. Il est remplacé par Jean-Philippe Miron. « Je pense que Gabriel va être heureux là-bas. Dans ma vie, j’en ai vu des gens devenir malheureux dans leur boulot. Et on a beau faire des contre-offres, quand une personne est décidée à partir, ça ne sert à rien de la retenir. Pour grandir, sur tous les plans, il faut laisser les autres faire leurs trucs. »

« La seule chose que je peux faire aujourd’hui, c’est agir sur mon environnement à moi, poursuit Fred Morin. Et ça inclut le lâcher-prise. Avoir un resto, ça peut être comme avoir des enfants. Tu as beau faire tous les plans imaginables pour eux, ils vont toujours te surprendre et faire un peu à leur tête. Prenons McKiernan, par exemple. On voulait que ce soit une adresse de jour, pour les travailleurs de l’édifice. Finalement, c’est un restaurant qui marche bien le soir et qui est populaire auprès des familles, parce que c’est grand et que les petits peuvent bouger dans l’espace. Be like water, disait Bruce Lee ! Il faut s’adapter. »

Le parallèle avec les enfants – Frédéric Morin et Allison Cunningham en ont trois – s’applique aussi à l’exemple que l’on donne à ses prochains. « Les enfants sont souvent un miroir qui nous renvoie notre image. Dans leurs agissements, si on est à l’écoute, on peut voir ce à quoi on a besoin de faire attention. Pendant plusieurs années, j’étais toujours fâché. Et ça a commencé à paraître dans le comportement des autres. Il faut montrer l’exemple, rentrer au boulot, se relever les manches, travailler fort, faire la vaisselle ! Des fois, il faut répéter, répéter, répéter. Un jour, ça finit par rentrer. Il faut être patient. »

Il n’y a pas à dire, l’homme de 46 ans, qui a toujours été une sorte de philosophe aux références surprenantes, semble avoir repris goût à l’ensemble de son métier, malgré les difficultés évidentes.

« J’ai toujours aimé la restauration. Pour moi, c’est comme une machine de téléportation : quand tu pousses la porte du resto, tu es ailleurs, dans un autre monde. Tu peux voyager avec la cuisine, la playlist, la décoration. Aujourd’hui, si j’ai envie de mettre de l’opéra dans la playlist, je vais le faire. Je peux mettre des petits chapeaux sur les côtes de bœuf aussi si ça me tente. Ce qu’au début je pensais allait être pénible, j’adore finalement. Je travaille avec des personnes drôles, débrouillardes et intelligentes, une génération de jeunes cuisiniers qui tripent, lisent de vieux livres et veulent apprendre », conclut l’homme de la situation.

Consultez le site du Joe Beef