N’importe quel ingrédient peut être choisi pour préparer un bon cocktail. Même le gras. Grâce à la technique du fat washing, le beurre, l’huile de coco et le gras de canard apportent encore plus de saveurs derrière le bar.

Sous le nom de Loyd Von Rose, le Montréalais Loïc Fortin a séduit les juges de la série Les maîtres des cocktails sur Netflix grâce à l’originalité de son Old Fashioned. Son secret ? Il a réalisé un fat washing. « Une de mes techniques préférées. Ça ajoute énormément de texture et de saveur », explique le copropriétaire du bar à cocktails Tittle Tattle, dans le Vieux-Montréal.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le mixologue Loïc Fortin

Le fat washing, ou le lavage par le gras, consiste à mélanger de l’alcool avec du gras conservé à la température de la pièce. Après quelques heures, l’infusion est placée au congélateur. Contrairement à l’alcool, le gras se solidifie au froid, ce qui permet de récupérer le liquide dont le goût et la texture sont ainsi transformés.

La méthode du fat washing a été popularisée dans les années 2000 à New York. Le mixologue Don Lee a placé une tranche de bacon dans du bourbon, puis il a utilisé l’alcool pour préparer un Old Fashioned. Son idée est devenue virale. Pourtant, utiliser le gras pour capter les arômes est une technique très ancienne.

À Grasse, dans le sud de la France, Michèle Dulac est parfumeur et formatrice chez Fragonard. Elle raconte que le gras est utilisé depuis longtemps en parfumerie. « C’est un principe d’extraction utilisé afin de ne pas abîmer par la chaleur les extraits aromatiques, explique-t-elle. L’absolu de jasmin est encore fait de cette façon aujourd’hui. »

Si le gras est encore utilisé dans l’industrie de la parfumerie, en mixologie, il se multiplie.

PHOTO ROXANNE MAILLOUX POUR FOLLY ARTS, FOURNIE PAR VANDALE

Le bar à cocktails Vandale utilise régulièrement la technique du fat washing dans ses cocktails. Sur la photo, un Old Fashioned avec bourbon et rhum cubain lavé à l’huile de noisette.

À chacun son gras

Sur le compte Instagram du restaurant Vandale, à Montréal, une vidéo met en scène le mixologue Jacob Cristofaro préparant sa version du White Bronco. Ce cocktail estival comprend du jus d’orange, du sirop de grenadine et du rhum. Or, dans le shaker du Vandale, le rhum blanc a été au préalable lavé à l’huile de coco.

Regardez la vidéo

Ce n’est pas étonnant, car les huiles végétales sont de plus en plus populaires dans la création de cocktails.

La Distillerie du Square vient d’ailleurs de commercialiser un gin fat washed à l’huile d’olive. Son créateur, Pier-Luc Roussel, rêvait depuis longtemps d’utiliser cet ingrédient dans un gin. Or, l’ajout de cette huile dans l’alambic ne donnait pas de bons résultats.

PHOTO FOURNIE PAR LA DISTILLERIE DU SQUARE

Le nouveau Gin du jardin méditerranéen, par Distillerie du Square.

« Ça donnait toujours un goût d’huile d’olive trop cuite, raconte-t-il. J’ai cherché une technique différente et je me suis souvenu d’un cocktail au bourbon fat washed au gras de bacon. Je m’en suis inspiré. »

L’huile d’olive utilisée dans le Gin du jardin méditerranéen de la Distillerie du Square ajoute de la rondeur au spiritueux ainsi que de jolies notes fruitées. Puisque le fat washed a été réalisé avant l’embouteillage, il donne aussi un coup de pouce aux mixologues. En effet, selon les règles de la Régie des alcools, tous mélanges de boissons alcooliques doivent être réalisés la journée même du service, puis doivent être détruits à la fin des heures de travail. Ainsi, il est interdit à un établissement de conserver son mélange plusieurs jours.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Toutes sortes de gras peuvent être utilisés avec la technique du fat washing.

Cette règle ne limite pas les mixologues dans leur créativité. Os à moelle, huile de caméline, huile de sésame, foie gras et charcuteries, le défi est surtout de bien marier les saveurs du gras à celles du spiritueux choisi.

Et lorsque la combinaison est réussie, le cocktail est encore meilleur, ajoute Jacob Cristofaro. Car selon lui, le gras n’apporte pas uniquement de la texture au cocktail, il masque aussi le goût amer de l’alcool. « Quand tu manges une salade de roquette, si tu prends une feuille seule, c’est très amer, illustre-t-il. Mais si tu mets de l’huile d’olive dessus, tu goûtes les arômes de la plante sans l’amertume. C’est plus complexe. Le fat washing a le même effet pour un cocktail. »

Pour réaliser la technique, le mixologue du Vandale respecte une règle simple : il utilise trois fois la quantité d’alcool pour une portion de gras. Il adapte toutefois les quantités selon le gras choisi. Si ce dernier est très goûteux, comme celui du canard, il ajoute davantage d’alcool.

PHOTO @MATT_SMILENOT, FOURNIE PAR NACARAT

La carte du bar de l’hôtel Le Reine Elizabeth, le Nacarat, propose un cocktail à base de rhum brun lavé au beurre noisette.

La carte du bar de l’hôtel Le Reine Elizabeth, le Nacarat, à Montréal, propose un cocktail à base de rhum brun lavé au beurre noisette. Ce gras gagne aussi en popularité. « Le principe est de faire griller le beurre à la poêle jusqu’à ce qu’il prenne une certaine coloration, explique la directrice de la mixologie du Nacarat, Claudia Doyon. Ça apporte un goût de noisette au beurre, et si tu prends un beurre salé, c’est encore plus délicieux. »

Autre point intéressant : le gras se réutilise plusieurs fois pour laver l’alcool et même en cuisine. Ainsi, le gras de canard ayant lavé du whisky peut servir à rissoler des pommes de terre, par exemple. L’idée est aussi décadente qu’écoresponsable. Elle aurait sans doute plu aux juges.

Notes de dégustation

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA SAQ

Distillerie du Square, gin du jardin méditerranéen

Gin du jardin méditerranéen

Les parfums d’agrumes de ce nouveau gin sont bonifiés par les notes herbales de l’huile d’olive. C’est toutefois en bouche que cet ajout se remarque davantage. L’alcool neutre de maïs, préparé par la distillerie, est encore plus rond et souple en bouche grâce à l’huile de l’olive de l’entreprise La Belle Excuse. Pier-Luc Roussel a choisi une huile d’olive noire pour ses arômes délicats et fruités. Ça fonctionne ! À essayer dans un martini.

Distillerie du Square, gin du jardin méditerranéen (15294241), 50 $, offert dans les succursales de la SAQ dès la mi-mars et dès maintenant à la boutique de la Distillerie, à Chelsea.

Consultez la fiche de la SAQ Consultez le site de la Distillerie du Square

Martini à l’huile de coco

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Martini à l’huile de coco

Par Loïc Fortin, alias Loyd Von Rose

Ingrédients

  • 1,5 oz de vodka
  • 0,5 oz de vermouth sec
  • 2 oz d’huile de coco
  • Zeste de pamplemousse

Préparation

  1. Verser l’alcool (vodka et vermouth) dans un contenant résistant à la chaleur.
  2. Dans un chaudron, faire chauffer l’huile de coco jusqu’à ce qu’elle soit liquide.
  3. Verser l’huile de coco dans le récipient contenant l’alcool et mélanger.
  4. Mettre le récipient au congélateur pendant une heure.
  5. Enlever la couche de gras durci et verser l’alcool dans un shaker.
  6. Remuer avec de la glace quelques secondes.
  7. Verser dans un verre à martini.
  8. Garnir d’un zeste de pamplemousse.

Le mélange d’alcools à l’huile de coco peut se conserver plusieurs semaines au réfrigérateur. Les quantités peuvent être multipliées pour en avoir sous la main.