Les collectionneurs de vin partagent une même vertu : la patience. Or, avec les années qui passent et les bouteilles qui s’accumulent, plusieurs finissent par s’inquiéter d’avoir trop attendu et que le vin ne soit plus bon. Est-il possible que sa passion tourne au vinaigre ? Tout est une question de goût.

Sur le chemin Saint-Louis à Québec, au pied des ponts, le restaurant Michelangelo est immanquable avec son architecture d’inspiration italienne. Le bâtiment est imposant, mais sa cave à vin l’est encore davantage.

Le propriétaire, Nicola Cortina, a commencé sa collection en 1974. Il possède aujourd’hui entre 20 000 et 25 000 bouteilles.

« Je ne les ai jamais comptées », avoue-t-il.

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Nicola Cortina, propriétaire du restaurant Michelangelo, a commencé sa collection en 1974.

Dans les caisses, les grands noms des vignobles italiens s’entassent : Sassicaia, Masseto, Luce. Un peu plus loin, les incontournables de Bordeaux, comme Petrus, Margaux et Château Mouton Rothschild, sont fièrement exposés. Le plus vieux vin de la cave est un barolo 1961.

« C’est mieux d’investir ici qu’à la Bourse, assure M. Cortina. Une bouteille de Masseto vaut 936 $, mais je pourrais la vendre à plus de 1800 $. »

Est-ce que ses clients de Québec ont les moyens de s’offrir ces grands crus dont le prix de certains s’élève à plusieurs milliers de dollars ? Rarement, avoue le propriétaire. Pourtant, il n’a pas peur de voir ses vins se dégrader avec les années.

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L’impressionnante cave à vin du Michelangelo

Le succès d’une longue garde réussie réside selon lui dans les conditions de conservation.

« Tout est gardé à une température constante de 13 à 14 degrés et à une humidité de 70 %, dit-il. Les gens croient qu’un fond de garde-robe peut faire l’affaire. Mais non ! »

M. Cortina investit uniquement dans les vins provenant des domaines prestigieux. Il s’assure ainsi de la croissance de la valeur et du potentiel de garde. Dans le cellier de la salle à manger de l’établissement, 4000 bouteilles plus abordables sont à vendre plus rapidement.

Mieux vaut tôt que jamais

Dans les Laurentides, l’hôtel Estérel est réputé pour sa cave à vin dont une partie des 17 000 bouteilles provient de la collection de l’ancien restaurateur Champlain Charest. L’établissement a une autre vision. Chaque vendredi, il propose un grand cru au verre pour une cinquantaine de dollars. L’hôtel préfère vendre maintenant ses cuvées de prestige que de les perdre.

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François Raby, sommelier, posait en 2022 avec une bouteille de 6 litres de Romanée St-Vivant Grand Cru 1990.

On a réalisé que ça ne vieillit pas si bien. Le vin vieillit différemment d’une bouteille à l’autre. On garde bien sûr les Romanée-Conti, mais les autres vins, on les vend.

François Raby, sommelier à l’hôtel Estérel

Il ne reste d’ailleurs que 900 des 5000 bouteilles de la cave à Champlain achetées par l’Estérel en 2013. Depuis quelques mois, M. Raby observe que des connaisseurs provenant d’ailleurs au Canada débarquent pour s’offrir de vieux millésimes.

Ce constat ne surprend pas le fondateur d’Alfred Technologies, Guy Doucet. Son entreprise se spécialise dans la gestion de caves à vin et de spiritueux. Fondée au Québec, elle exerce ses activités dans le reste du pays ainsi qu’aux États-Unis.

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Guy Doucet, fondateur d’Alfred Technologies

La culture du vin est plus ancienne au Québec qu’ailleurs au Canada. On a au moins 10 à 15 ans d’avance sur les États-Unis grâce au travail de la Société des alcools (SAQ) dans les années 1980-1990. Les baby-boomers ont eu accès à beaucoup de grands vins, à bon prix.

Guy Doucet, fondateur d’Alfred Technologies

Or, les collectionneurs n’ont pas tout bu. Et ils n’ont pas toujours envie, ou le temps, d’ouvrir le Petrus 1995, payé quelques centaines de dollars à l’époque, dont la valeur s’élève aujourd’hui à plus de 4000 $. Certains préfèrent plutôt les vendre par l’entremise d’encanteurs ou de plateformes autorisées comme Alfred.

La vente de vin entre clients d’Alfred a augmenté de 400 % depuis 2022. L’entreprise refuse toutefois de vendre les bouteilles après la « période optimale de dégustation », établie par l’intelligence artificielle.

« Il ne passe pas un mois sans que nous ayons un client qui réalise qu’une portion importante de sa collection a atteint depuis plusieurs années sa fin de vie, raconte M. Doucet. Il nous demande alors de tout jeter. »

Tout comme M. Cortina, Guy Doucet recommande d’être vigilant et de conserver sur le long terme uniquement les plus grands crus issus des bonnes années.

Le goût des vieux vins

Avec le temps, l’acidité des blancs s’estompe. Les tannins des rouges sont moins présents. Les notes de fruits frais cèdent leur place aux arômes de verdure et de champignon. Si certaines personnes apprécient cette évolution, d’autres sont déçues.

François Raby assure cependant qu’apprécier les vieux millésimes est un goût qui se développe.

À un certain moment, on ne boit plus du vin. On déguste une époque, un moment d’histoire.

François Raby, sommelier à l’hôtel Estérel

Pour éviter les déceptions, l’expert conseille d’acheter un minimum de trois exemplaires de chaque vin qu’on met en cave et de vérifier le potentiel de garde au fil du temps. On peut ouvrir la première trois ans après l’achat, la deuxième après cinq ou six, puis si le goût est toujours satisfaisant, la troisième peut être ouverte après 10 ans. Pour cela, il faut plus que de la patience, il faut de la discipline.

Dans le sous-sol du Michelangelo, Nicola Cortina regarde les milliers de bouteilles devant lui. D’autres commandes viendront sous peu s’ajouter à la collection.

« Mes enfants me disent de tout vendre, mais je ne suis pas capable. Ça fait partie de l’âme du restaurant », confie-t-il.

Et sans doute un peu de la sienne.

Trois bouteilles à mettre en cave

Grande Toscane

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Tenuta Sette Ponti Crognolo Toscana 2020

La famille Moretti a acheté en Toscane la Tenuta Sette Ponti en 1951. Dès le départ, elle s’est donné comme objectif de produire des vins de garde dont le prix serait accessible. C’est ainsi qu’elle a créé la cuvée Crognolo. Majoritairement élaborée avec du sangiovese, elle présente une robe de couleur rubis soutenu. Son nez dévoile des arômes de cerise, de prune, et de subtiles notes de sous-bois viennent compléter le bouquet. En bouche, l’attaque croquante rappelle que le vin est encore jeune. Ses tannins solides permettront à cette cuvée 2020 d’évoluer avec brio sans doute pour 15 ans.

Tenuta Sette Ponti Crognolo Toscana 2020, 29,95 $

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Bordeaux, autrement

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Closerie Saint-Roc 2019

Dans la région bordelaise, la réputation du Château Le Puy n’est plus à faire. La populaire série japonaise Gouttes de Dieu a d’ailleurs mentionné son vin dans son manga. En 2016, la famille Amoreau a acheté la propriété voisine, la Closerie Saint-Roc. Elle applique dans ce nouveau vignoble la même philosophie du respect des sols et de l’environnement. La cuvée 2019 est un assemblage de 70 % de merlot, de 20 % de cabernet franc et de 10 % de cabernet sauvignon. Mais surtout, elle réunit des raisins provenant de toutes les parcelles de la propriété. Après 24 mois d’élevage en foudre, le vin s’ouvre sur des arômes de mûre, de bleuet et de cassis. Puis, les parfums de violette et de cannelle se retrouvent dans une bouche à l’acidité tonique qui permettra au vin de vieillir longtemps. Cette cuvée est une belle introduction à la gamme dont la finesse et l’élégance croissent avec le prix.

Closerie Saint-Roc 2019, 49,75 $

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Nouveau monde

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Forge Riesling Finger Lakes Classique 2019

Il n’y a pas de doute, les blancs à base de riesling peuvent vieillir. La cuvée Les Ecaillers 2014 du domaine alsacien Léon Beyer convaincra les sceptiques. Ceux produits à 6000 km de l’Alsace, dans la région de Seneca Lake, dans l’État de New York, possèdent eux aussi la tension et l’élégance pour traverser les années. Le vigneron français Louis Barruol en est convaincu. Il a fondé le domaine Forge Cellars il y a 15 ans. Il élabore 13 différents rieslings, provenant d’autant de terroirs. Tous sont vinifiés dans des fûts de chêne neutre durant la même période. Dans le verre, la différence est saisissante ! La cuvée Classique est un assemblage d’une partie de ces 13 rieslings. « C’est le vin le plus important pour moi, confie son associé Rick Rainey. Ce vin démontre notre potentiel. » Ultra salin en bouche, long et exprimant des notes de fruits mûrs, à revoir en 2029.

Forge Riesling Finger Lakes Classique 2019, 32,25 $

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