(Saint-Fulgence) L’été est court au nord du 48e parallèle. Les conditions climatiques extrêmes n’empêchent toutefois pas la vigne de se multiplier sur les rives du lac Saint-Jean et du fjord du Saguenay. Pas de doute, ils sont de plus en plus nombreux à croire au terroir du Nord, comme l’a constaté sur place notre collaboratrice, qui a rencontré deux producteurs passionnés.

Sur la pente douce qui borde le fjord du Saguenay, les vignes plantées il y a deux ans sont encore trop jeunes pour offrir une récolte abondante. Les quelques grappes accrochées ici et là remplissent néanmoins la famille Bouchard de fierté.

Le vignoble des Battures est le nouveau projet des propriétaires de la Distillerie du Fjord. Connue grâce à son gin KM12, la distillerie était le rêve des frères Bouchard, Jean-Philippe et Benoît.

Le vignoble, c’est le rêve de leur père, Serge.

« C’est un retour d’ascenseur, explique son fils Jean-Philippe. Il nous a aidés à financer et à démarrer la distillerie. Maintenant, c’est à nous de l’aider avec le vignoble. »

Pour ce faire, il fallait d’abord trouver l’endroit idéal, et ce n’était pas à côté de la Distillerie du Fjord. Celle-ci se trouve à Saint-David-de-Falardeau, au cœur de la forêt boréale.

PHOTO KARYNE DUPLESSIS-PICHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Les frères Jean-Philippe et Benoît Bouchard, avec leur père Serge Bouchard (à l’arrière) et la femme de ce dernier, Lily Trembay, accompagnés de Héloïse Côté et Luc Godin.

La famille Bouchard a plutôt déniché une terre agricole près du fjord, au pied des monts Valin, à Saint-Fulgence. La proximité avec le Saguenay, l’orientation à l’ouest et la faible altitude créent à cet endroit des conditions adéquates pour planter la vigne. Deux petits domaines privés produisent d’ailleurs depuis plusieurs années du raisin dans le village.

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Le cépage du radisson fait partie des pieds de vigne que le domaine des Battures a plantés.

Dur labeur

Comme de nombreux amateurs de vin, Serge Bouchard produit ses cuvées maison avec des raisins de Californie depuis 20 ans. Il avoue que cultiver la vigne est un défi beaucoup plus grand.

Pour l’aider dans le champ, la famille Bouchard s’est associée à deux biologistes, Héloïse Côté et Luc Godin, avec qui elle collabore déjà à la distillerie.

C’est d’ailleurs M. Godin qui a trouvé le cépage vedette du vignoble : le roland. Encore peu répandu dans la province, cet hybride blanc fait la renommée du vignoble Le Raku, à Kamouraska. La dégustation d’une bouteille a suffi pour convaincre les Bouchard d’en planter.

C’est merveilleux, le roland. C’est parfumé et résistant.

Serge Bouchard, du vignoble des Battures

Ce cépage représente près du tiers des 4010 pieds de vigne du domaine des Battures. Le marquette, le radisson, le vandal-cliche, le saint-cliche, le louise swenson et l’aldamina occupent le reste des deux hectares cultivés selon les règles de l’agriculture biologique.

« Notre cible, c’est de produire un mousseux aussi exceptionnel que la cuvée réserve de l’Orpailleur, avoue M. Serge. Et si ce n’est pas bon, on ne va pas le vendre, on va le distiller ! »

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Benoît Bouchard nous montre les vignes, encore trop jeunes pour offrir une récolte abondante. Il faudra patienter encore un peu !

Après deux ans d’expérience, est-ce que le métier de vigneron est plus difficile que celui de distillateur ? Sans hésiter, Serge Bouchard s’exclame : « Mon Dieu, oui ! »

En regardant les vignes qui plongent dans le panorama grandiose du fjord, M. Bouchard ne regrette rien. Son partenaire de course des dernières décennies possède le vignoble Couchepagane, à 85 km plus au nord. Ce dernier lui a prouvé que les efforts en valent la peine.

Couchepagane 2.0

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Bernard Tremblay dans son vignoble, à Métabetchouan–Lac-à-la-Croix

Bernard Tremblay a toujours su que sa terre à Métabetchouan–Lac-à-la-Croix serait un bon endroit pour planter de la vigne. La proximité avec l’immense lac Saint-Jean protège la région des gels printaniers et prolonge la saison viticole jusqu’à la fin du mois d’octobre.

Le vétérinaire de formation a été l’un des premiers à planter de la vigne au nord du 48e parallèle, en 1999. Or, la première plantation du vignoble Couchepagane a été un échec.

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Vétérinaire de formation, Bernard Tremblay est aujourd’hui vigneron.

J’ai tout perdu à cause du froid à l’hiver 2002. Ce sont des années de perdues. J’ai dû arracher et replanter. Ça a pris presque 10 ans pour tout reconstruire.

Bernard Tremblay, du vignoble Couchepagane

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Le vigneron a dû replanter toutes ses vignes après les grands froids de l’hiver 2002.

Le producteur a appris de ses erreurs. Il se sert de la neige pour enterrer les vignes et les isoler au maximum du froid meurtrier. Des rangées de framboisiers installées dans le vignoble servent aussi à accumuler la neige aux bons endroits.

Si, depuis 10 ans, la viticulture nordique n’est plus un défi pour Bernard Tremblay, il avait un autre enjeu : vendre ses bouteilles. Le restaurateur d’Alma Olivier-Hugo Duchesne-Tremblay lui a donné un coup de pouce.

« Il est venu travailler au vignoble pendant la pandémie, se souvient-il. Il nous a dit qu’on essayait de faire des vins trop parfaits. Qu’on oubliait le terroir. »

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Les vins de Couchepagane ont changé de look dernièrement, avec de nouvelles étiquettes.

Bernard Tremblay a changé ses façons de faire : il a mis de côté l’utilisation de levures commerciales, abandonné l’ajout de sucre pour augmenter le taux d’alcool et renouvelé les étiquettes. Les vins de Couchepagane ont changé de look et, surtout, de goût.

L’intérêt a monté d’un cran.

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Le vignoble distille également tous ses déchets viticoles pour en faire du gin et du brandy, entre autres.

Depuis quelques années, le vignoble distille tous ses déchets viticoles (peaux de raisins et pépins) sur les conseils de l’ancien maître de chai du vignoble Charlevoyou à Baie-Saint-Paul. Quand est venu le temps de produire un gin, c’est à son ami Serge Bouchard qu’il a téléphoné.

Mais avant de pouvoir distiller, il faut récolter. Alors que l’été tire à sa fin, Bernard Tremblay sait que ses fruits n’ont pas encore atteint la pleine maturité. Il garde cependant espoir. Grâce au lac Saint-Jean, qui restitue sa chaleur jusque tard à l’automne, les premiers gels n’arriveront pas avant la fin d’octobre. Les raisins pourront ainsi mûrir davantage et produire des vins avec un potentiel de 10 % d’alcool, un taux dont rêvent bien des vignerons du monde.

En regardant son champ, il s’exclame avec fierté : « Je ne changerais pas mon terroir ! »

Consultez le site du vignoble Couchepagane
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    C’est le nombre de vignobles plantés au nord du 48e parallèle sur les 1000 hectares de vignes cultivés au Québec. Si la majorité des vignobles se trouvent près du lac Saint-Jean, comme Vignoble Chambordais St-Vincent, Domaine Le Cageot, Vignoble Zemilda ou encore La Bonté Divigne, deux font exception : le Domaine Côte du Nord se situe près de Baie-Comeau et le Vignoble Carpinteri, près de Matane.