Les vins de L’espiègle étaient attendus. À la sortie des premiers blancs et des nouvelles cuvées rouges, au cours de l’été, l’engouement fut immédiat. Un talentueux nouveau vigneron québécois était né ! Zaché Hall nous a fait faire le tour de son vibrant et verdoyant domaine, qui surplombe le lac Selby, à Dunham.

Vous ne verrez pas de logo Écocert ou Québec vrai sur les étiquettes de L’espiègle. « Par choix, nous laissons de côté les certifications puisqu’aucune d’entre elles ne concorde avec notre réalité aujourd’hui », peut-on lire sur le site de l’entreprise.

Car « l’espiègle », c’est la nature ! « Elle est généreuse, mais elle nous joue des tours qu’il faut prendre avec humour », révèle Zaché Hall. Devant cette imprévisibilité, le vigneron se laisse un peu de marge de manœuvre.

« Ici, on est dans un climat humide et le mildiou [maladie fongique], par exemple, est une menace réelle. C’est ça, notre réalité. »

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

L’espiègle donne sur le lac Selby, à Dunham.

Pour le reste, le vigneron s’est doté d’une véritable « stratégie environnementale », qu’il décrit avec force détails et transparence sur son site web et, qu’il espère, fera son chemin jusqu’aux consommateurs par les médias et par le bouche-à-oreille.

« Empreinte carbone », c’est l’expression du jour. Il faut toujours tendre vers une diminution des intrants et de notre empreinte. Les politiciens tergiversent parce qu’ils ne veulent rien interdire à personne, alors en attendant, c’est à nous de le faire.

Zaché Hall, vigneron et œnologue

« Ici, par exemple, je chauffe avec la Rolls-Royce des chaudières, ajoute-t-il. Pour moi, c’est logique parce que, étant installé sur un ancien verger, j’ai plein de bois de pommier. Pour les autres, l’hydro, c’est très bien. Il faut adapter son écologie à sa situation. »

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Zaché Hall est bien satisfait de son sol vivant.

Retour aux sources

« L’écologie, c’est aussi faire un bon produit qui va se boire ! » Sur ce point, Zaché Hall avait peut-être une longueur d’avance sur d’autres vignerons autodidactes. Il a fait des études d’œnologie à l’université Brock et en France, puis a appris le métier dans quelques domaines du Vieux Continent et du Nouveau Monde. Avec son ami Matthieu Marciniak, il a fait des bulles en négoce avec du raisin acheté dans le Niagara puis en France. Les toutes premières cuvées de L’espiègle, issues des millésimes 2020 et 2021, sont déjà d’une très grande buvabilité. Bref, le pari de la qualité est gagné.

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Pour Zaché Hall, faire du vin, c’est l’aboutissement matériel de son métier d’œnologue.

Pour le jeune papa, L’espiègle est un retour aux sources, puisqu’il a grandi à Dunham, avec des parents pomiculteurs. Il a progressivement acheté les parcelles voisines de sa campagne d’enfance. Les premières vignes ont été plantées en 2018 et elles semblent bien s’y plaire. Dès leur troisième feuille, en 2020, elles ont commencé à donner du beau raisin.

« J’ai été surpris de constater à quel point la beauté de notre territoire pouvait se transmettre dans nos vins, admet-il. La beauté de nos paysages, la vie et la minéralité de nos sols, nos saisons et notre biodiversité sont tous présents. Avant de commencer le projet, je m’attendais à ce que ma terre donne de bons vins. Aujourd’hui, je suis sûr qu’avec un peu plus de recul et d’écoute, ma terre pourra donner de grands vins. »

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Les vendanges approchaient pour ce raisin.

Zaché Hall a fait le choix du vitis vinifera, ces vignes européennes qui gagnent du terrain au Québec. À l’instar de son ami Mathieu Beauchemin du Nival, il a planté du gamaret — « ça pousse bien ici ». Il a aussi rempli des rangs de chardonnay, de pinot noir, de pinot meunier, de riesling et, plus récemment, de blaufrankisch, de savagnin, de floreal et de voltis. Ces deux derniers sont des hybrides français développés par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et censés être résistants à plusieurs maladies, dont le mildiou. Plus fragiles au froid que les variétés hybrides nord-américaines comme le marquette et le frontenac (blanc, gris, noir), les vitis vinifera doivent être complètement couvertes l’hiver.

Agriculture de conservation

L’idée de mettre beaucoup d’effort au champ pour en faire le moins possible au chai, fort populaire chez les artisans, prévaut ici aussi. L’autre approche très populaire à notre époque, celle de remettre de la vie dans les sols, d’en empêcher l’érosion et d’y capturer le carbone, est également une priorité pour Zaché Hall.

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Entre les rangs de vignes, c’est l’enherbement total, ce qui prévient l’érosion et aide à conserver le carbone dans le sol.

« Moi, je fais une agriculture de conservation. Je fonctionne au feedback. La nature va te le dire vite si ça marche ou pas. Il faut observer constamment et s’adapter. »

Cela dit, pour lui, un vignoble, c’est d’abord et avant tout de la vigne, pas des rangs mixtes en polyculture. « J’essaie d’occuper le moins de territoire possible pour laisser plein d’espaces sauvages. Alors il faut que mes parcelles soient productives. C’est peut-être un peu productiviste comme discours, mais il faut aussi voir la biodiversité dans son ensemble. »

Ici, il y en a tout autour, de la biodiversité. Il y a des bandes sauvages de chaque côté des vignes. La nature environnante est en équilibre. On n’a pas de problèmes d’insectes. Il n’y a rien de mieux pour la nature que de la laisser tranquille.

Zaché Hall, vigneron et œnologue

« C’est très européen et judéo-chrétien, cette vision qu’on a de l’homme qui agit sur la nature. C’est un peu le discours de la biodynamie aussi », ajoute-t-il

Finalement, puisqu’il est encore impossible de se passer complètement des énergies fossiles, le domaine travaille avec l’organisme Enracine (Taking Root). Ce projet génère des crédits de carbone par l’entremise du reboisement des forêts de l’Amérique centrale, tout en valorisant les terres des agriculteurs locaux.

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

La table de travail du chai temporaire de L’espiègle a parfois des airs de laboratoire. Ici, une bouteille de l’excellent chardonnay du domaine, Aube à l’est 2020, et le Drôle d’oiseau 2020, un blanc de noir (pinot meunier) bien tonique.

Les vins de L’espiègle ne peuvent être achetés au vignoble, mais ils sont vendus dans certaines épiceries fines, pour une quarantaine de dollars la bouteille, en moyenne. Nous en avons par exemple vu au Comptoir Sainte-Cécile, au Butterblume, chez Veux-tu une bière, aux Minettes (Sainte-Rose), à La Réserve naturelle (Sutton), au Bolt Café (Knowlton), au Passe-Montagne (Frelighsburg), entre autres. Ils sont également inscrits à plusieurs cartes des vins de restaurants.

Consultez le site de L’espiègle