Intéressée par les recherches du « vigneron pastoral » Darek Trowbridge, « vedette » de ce numéro vin, Véronique Lemieux nous a accompagnés en Californie pour le rencontrer. Et bien que sa réalité nordique soit très différente de celle du Sud, cette chercheuse et néovigneronne en est revenue plus motivée et convaincue que jamais de l’urgence d’agir et de pratiquer une viticulture bienfaisante.

Après avoir travaillé sur les toits de Montréal pour son projet Vignes en ville — où régnait d’ailleurs une chaleur digne de Sonoma en pleine canicule —, Véronique Lemieux a ressenti le besoin d’enfoncer ses mains profondément dans la terre ou plutôt, en ce qui la concerne, dans un gros « tas » de BRF (bois raméal fragmenté).

Elle avait l’intuition que ce « paillis maison », puisé à même la forêt voisine, pourrait être la clé d’une belle vitalité. C’est à l’invitation de Simon Naud, propriétaire du vignoble trentenaire La Bauge, à Brigham, qu’elle a planté en juillet une parcelle expérimentale de raisin aromatique La Crescent, avec son allié Steve Beauséjour.

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Véronique Lemieux

Le tandem cherche à développer de nouvelles méthodes, que Véronique aime appeler la « viticulture nordique holistique ». « Holistique » comme dans « entier », « global ». Ça n’a rien d’ésotérique, bien que la nature comporte toujours sa part de mystère. C’est à l’humain d’écouter ces phénomènes et d’« accompagner » son environnement malmené dans son rétablissement, avec patience et humilité.

Au pied des vignes, donc, Véronique, Steve et Simon ont choisi d’étendre une couche de ce fameux BRF, barrière naturelle protectrice de l’intégrité du sol, qui crée un environnement favorable à une meilleure microbiologie.

Darek Trowbridge, dans sa Californie constamment menacée par les flammes, ne jure que par cette méthode pour protéger ses sols arides. Il a même fondé une entreprise sociale, Soil Carbon Management Co, pour commercialiser son Primordial Biome, constitué de « copeaux de bois » en surabondance inoculés au mycélium (filaments de champignon).

En échangeant avec le pape du BRF, en observant ses vignes, Véronique a appris bien des choses. Il n’y a rien comme ces discussions et ces visites pour ouvrir des possibles. La somme des connaissances sur la viticulture est énorme, écrasante même. Et c’est sans compter le fait que les méthodes d’hier ne fonctionneront peut-être pas demain.

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Véronique Lemieux a ressenti le besoin d’enfoncer ses mains profondément dans un gros « tas » de BRF (bois raméal fragmenté).

Restaurer l’harmonie

Ce qu’il faut surtout retenir, c’est la quête de trois humains pour l’innovation dans le plus grand respect de notre fragile environnement. C’est aussi la recherche d’équilibre et de solutions adaptées à chaque situation, le rétablissement ou la création d’univers naturels harmonieux, qui se suffisent à eux-mêmes. Que ferait la nature dans cette situation ? On retrouve cette approche dans la « culture fondamentale » de Christian Barthomeuf (fondateur du Clos Saragnat) ou encore dans le « non-agir » de l’agriculteur japonais Masanobu Fukuoka.

Bien entendu, il ne s’agit pas de ne « rien faire », mais plutôt d’aider les environnements à retrouver leur équilibre naturel pour qu’ils puissent mieux se passer de l’être humain par la suite. Il faut travailler fort pendant plusieurs années avant de pouvoir se reposer sur ses lauriers. Et Véronique Lemieux, femme vaillante pleine d’énergie et d’idées, n’a pas peur de s’investir à fond.

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Steve Beauséjour, Véronique Lemieux et Simon Naud, propriétaire du vignoble trentenaire La Bauge

Dans l’esprit d’une viticulture adaptée à son contexte, Véronique Lemieux et Steve Beauséjour, sommelier et agent de représentation en vin devenu conseiller en vinification, ont choisi de planter de la vigne rustique (ou hybride) sur la parcelle, celle-ci résistant beaucoup mieux au froid que les vignes européennes comme le chardonnay et le pinot noir.

Ils ont laissé des espaces dans les rangs pour planter des arbres fruitiers et des fleurs, la monoculture de vigne étant de plus en plus remise en question. Une piquette raisin, camerise et bleuet ? Pourquoi pas ! Les boissons hybrides ont la cote et témoignent de ce mouvement vers une plus grande diversité dans le vignoble. Car, en fin de compte, la démarche se doit aussi d’être rentable.

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Les produits du vignoble La Bauge

Des vins naturels prometteurs

À La Bauge, l’écoute, l’adaptation, le questionnement et l’innovation sont présents jusque dans la vinification des fruits de tous ces efforts. Naturellement, la parcelle expérimentale ne produit pas encore, mais Steve Beauséjour accompagne Simon Naud, de La Bauge, dans un virage naturel depuis quelques années déjà. Les vins, plus digestes que jamais, s’en portent très bien. Les cuvées Les Beaux Jus, dont La Renversante, DJ Meu, Le Rosé et Le Blanc (qui s’apprête à sortir dans les épiceries du Québec), font partie de la série « biologique et nature » élaborée par M. Naud, sous les conseils de M. Beauséjour.

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Les vignes plus matures de La Bauge sont couvertes d’un filet pour les protéger des oiseaux avant les vendanges, qui ont commencé cette semaine.

Véronique Lemieux s’est elle aussi mise aux « vinifs ». Elle avait tâté de la fermentation de raisins et d’autres fruits par l’intermédiaire de Vignes en ville et en collaborant à la cuvée La Renversante, entre autres. Au cours des dernières années, elle a fait une foule de tests. Cet automne, plus que jamais, elle a les deux mains et les deux pieds dedans !

En attendant de pouvoir goûter aux alcools de « la » parcelle, on peut acheter les essais les plus actuels de La Bauge dans un grand nombre d’épiceries fines québécoises, directement au vignoble ou y goûter au restaurant.

Voyez un exemple des Beaux Jus Consultez le site de La QV