Il ne fallait pas trop pousser le bouchon : le concours de Meilleur sommelier du Québec, initialement prévu au printemps, n’allait pas se laisser descendre à la cave par 2020 si facilement. Reporté de six mois et organisé dans des conditions inhabituelles, il a finalement permis de désigner le nez le plus fin et doté de qualités allant bien au-delà des simples habiletés de dégustation. Ce titre, c’est Hugo Duchesne, sommelier en chef du Coureur des Bois, qui l’a emporté après une grappe d’épreuves, le 12 septembre dernier.

Organisée par le chapitre québécois de l’Association canadienne des sommeliers professionnels (ACSP), la prestigieuse compétition, disputée tous les trois ans, a mis nez à nez 12 candidats aux palais et aux compétences affûtés.

Après une série de tests en matinée, seuls trois prétendants ont pu se hisser en finale, à savoir Joris Gutierrez Garcia (Montréal Plaza), Guillaume Plante (Maison Boulud) et Hugo Duchesne (Le Coureur des Bois). À l’issue des ultimes épreuves, alliant service et dégustations, ce dernier a pu soulever (littéralement) la coupe, remportant 10 000 $ en bourse et 5000 $ en produits.

Pour lui, cette reconnaissance « cristallise » ce qu’il s’efforce d’accomplir quotidiennement. « Ce que j’ai fait samedi [dernier], ça fait 20 ans que je le travaille, que je le pratique », indique à La Presse celui qui enseigne également son art à l’ITHQ.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LAPRESSE

Hugo Duchesne

Maintenant, mes étudiants me taquinent : « Ah, c’est dit par le meilleur sommelier du Québec... » Si ça peut donner une petite reconnaissance à l’ITHQ, au Coureur des Bois, à la sommellerie, tant mieux.

Hugo Duchesne

Hugo Duchesne en était à sa deuxième participation au concours. « J’étais allé en 2011, pas préparé pantoute, mais j’avais adoré l’esprit de camaraderie, le stress, la rigueur… Ça faisait deux concours que je manquais, entre guillemets. Je me suis dit : “En 2020, j’ai le droit de le faire, je suis sommelier en chef dans un établissement, je suis professeur à temps plein, certes, mais je ne suis pas un imposteur et c’est parmi les dernières fois que je pourrais m’investir et le faire pour vrai, alors allons-y.” »

Il faut dire que cette fois, il se sentait bien préparé. En plus de ce qu’il accomplit au Coureur des Bois et à l’ITHQ, Hugo Duchesne gravit, depuis 2015, les quatre échelons de la certification Court of Master Sommeliers. « C’est de la grosse théorie que tu dois être capable de vulgariser en salle à manger pour rendre les gens bien. Il faut aussi que tu dégustes à l’aveugle comme une machine : millésime, accord, structure, arôme, nez, visuel, bouche. Puis, il y a le service. Je me suis entraîné avec ces modalités », explique-t-il.

Au fait, qu’a-t-il bu pour célébrer sa victoire ? « Ma femme et moi avons commandé du chinois et bu un champagne Selosse et c’était le meilleur accord au monde. »

Avec ce triomphe, devant lui s’ouvrent les portes de concours de plus grande envergure encore. Il participera au début de l’an prochain au concours canadien du meilleur sommelier, à Kelowna. « Ça va être un privilège de représenter le Québec. Je me repose un peu et je recommence l’entraînement la semaine prochaine », conclut le nouveau champion.

Trois axes et un esprit

Comme de coutume, les épreuves reposaient sur trois piliers principaux, à savoir les connaissances théoriques, le service et la dégustation.

« En demi-finale, les candidats passent des examens écrits et oraux théoriques, puis une épreuve de dégustation. En finale, il y a deux épreuves de dégustation et une épreuve de service, avec des accords mets et vins, en les mettant en condition comme s’ils travaillaient dans un restaurant », expose Alain Bélanger, directeur technique du concours et ténor de la sommellerie québécoise et mondiale.

  • Joris Gutierrez Garcia (Montréal Plaza), finaliste. Il a été sacré Meilleur Nez du Québec 2020 par l’ACSP-Québec.

    PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE L’ACSP-QUÉBEC

    Joris Gutierrez Garcia (Montréal Plaza), finaliste. Il a été sacré Meilleur Nez du Québec 2020 par l’ACSP-Québec.

  • Guillaume Plante (Maison Boulud), finaliste

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    Guillaume Plante (Maison Boulud), finaliste

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Les réponses des finalistes, tantôt concordantes, tantôt divergentes, ont laissé deviner la difficulté des exercices : barolo (Italie) ou barossa (Australie) ? Muscat de Samos (Grèce) ou sauternes (France) ? Les candidats prirent notamment des voies très diverses face à un mystérieux spiritueux fruité, tour à tour identifié comme une liqueur de litchi, un vin de tomates puis une crème de cassis !

Les connaissances et compétences à mobiliser, qui dépassent largement la simple identification du nectar dans un verre, ont de quoi griser : « Il faut connaître les vins, les spiritueux et autres alcools, la gastronomie, l’agronomie, la biologie, la vinification, la chimie, tous les pays producteurs, toutes les régions, les cépages, les lois, les bières, les sakés, les thés, les cafés, etc. Et tout cela est en constante évolution ! », énumère Véronique Rivest, membre du jury en compagnie de cinq autres pointures du milieu de l’hôtellerie.

Mais aussi vastes soient-elles, ces connaissances et compétences ne suffisent pas à remporter la palme, puisque le savoir-faire et le savoir-être pèsent aussi lourd dans la balance. Mme Rivest se dit même un peu agacée par le côté « spectacle » des épreuves de dégustation. « C’est un métier où tout peut s’apprendre sauf le plus important : cette sorte d’attitude, de prédisposition pour le service. On parle de psychologie, de diplomatie, d’entregent, de serviabilité : ça aussi, c’est jugé. On peut avoir toutes les connaissances du monde et être un dégustateur incroyable, si on est condescendant ou qu’on n’aime pas échanger avec les gens, ça ne passe pas du tout ! », rappelle celle qui a remporté cette compétition en 2006, avant d’atteindre les plus hautes sphères aux niveaux national, continental et mondial.

Un tremplin au-delà du vin

En plus de braquer les projecteurs sur l’effervescence de la sommellerie de haut niveau au Québec, la compétition souffle du vin dans les voiles des candidats. « C’est un tremplin très significatif pour une reconnaissance des compétences et vers d’autres concours internationaux. Ça ouvre aussi des portes dans les restaurants qui cherchent des sommeliers de haut niveau, ou pour devenir chroniqueur », souligne Alain Bélanger, précisant que l’exigeante préparation, étalée sur des années, bénéficie même aux candidats non couronnés.

« On a une sommellerie très forte au Québec, avec une tradition assez ancienne pour un pays du Nouveau Monde, qui s’est toujours démarquée sur la scène internationale », constate Véronique Rivest, intégrée à un jury présidé par Élyse Lambert, qui en est la preuve vivante.

Une cuvée particulière

En plus du report du concours, la crise de la COVID-19 a eu d’autres conséquences sur son organisation. Demi-finale et finale se sont déroulées à huis clos le même jour, et non sur deux journées distinctes. « Ça stresse un peu le jury pour le calcul des notes, mais on s’est préparés en conséquence », rassure M. Bélanger.

La finale a quant à elle été diffusée en direct sur les réseaux sociaux. Et comme partout, masques et distanciation figuraient au menu. « Un concours comme ça avec des masques, c’est un peu particulier, mais cela reflète ce qu’il se passe dans nos restaurants en 2020 », commente le directeur technique, qui n’a toutefois pas eu à remodeler la nature des épreuves.

Quelques produits à identifier lors des dégustations

• Altesino Brunello di Montalcino (rouge, Toscane, Italie)

• Klein Constantia Vin de Constance (vin de dessert, Western Cape, Afrique du Sud)

• Trois-Rivières (rhum agricole ambré, Martinique)

• Monna & Filles (crème de cassis, Québec, Canada)

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Les vins à analyser à l’anonyme lors de la finale.

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Les spiritueux à identifier à l’aveugle lors de la finale.

— Avec la collaboration de Pascal LeBlanc, La Presse