C’est l’histoire d’une quête journalistique de la tortilla parfaite, d’un comptable sherbrookois qui décide d’y répondre et d’un chef montréalais qui redécouvre ses origines culinaires mexicaines.

Tout vient à point à qui sait attendre. C’est ce que je me dis, assise à l’Alma, tandis que je déguste l’exquis menu « carte blanche » du chef Juan Lopez Luna. Montréal a enfin son restaurant de « cuisine mexicaine moderne ». Il aura fallu tout un concours de circonstances pour rendre cette expérience possible. L’élément central : la masa.

Revenons au tout début de cette heureuse épopée. Après la lecture du dossier « À la recherche de la tortilla parfaite », paru dans La Presse en janvier 20191, Roberto Flores Lozano a compris que la bonne galette de son enfance n’avait toujours pas son équivalent dans sa province d’adoption.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

C’est après avoir lu un article dans La Presse que Roberto Flores Lozano a décidé de démarrer son projet.

En novembre 2020, en pleine pandémie, le Sherbrookois originaire de Poncitlan, petite municipalité non loin de Guadalajara, décide donc de remédier à la situation en lançant La Quebequita. La toute petite tortilleria produit sa masa dans les règles de l’art.

La masa, une pâte de maïs, est la pierre angulaire de la cuisine mexicaine. On en fait des tortillas, bien sûr, mais aussi des tetelas, des memelas, des tamales, des gorditas, des sopes, des tlayudas, des empanadas d’Oaxaca, de l’atole (une boisson chaude), etc.

Ça peut paraître simple, mais c’est loin de l’être. Pour obtenir une vraie bonne masa traditionnelle, il faut d’abord trouver la variété de maïs adéquate et idéalement ancestrale (on dit criollo en espagnol). C’est un maïs-grain, donc une céréale, et non un maïs légume comme celui que nous mangeons l’été sur l’épi.

La Quebequita
  • Le maïs nixtamalisé en voie d’être moulu pour former la masa

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Le maïs nixtamalisé en voie d’être moulu pour former la masa

  • La masa fraîche

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    La masa fraîche

  • C’est dans cette machine grinçante que la masa devient tortilla !

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    C’est dans cette machine grinçante que la masa devient tortilla !

  • Le petit atelier de Sherbrooke produit environ 5500 tortillas par semaine, les vendredis et les samedis seulement.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Le petit atelier de Sherbrooke produit environ 5500 tortillas par semaine, les vendredis et les samedis seulement.

  • Tortillas du vendredi !

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Tortillas du vendredi !

  • Roberto Flores Lozano pèse un kilo de tortillas.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Roberto Flores Lozano pèse un kilo de tortillas.

  • Cette pierre volcanique est le secret d’une mouture parfaite.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Cette pierre volcanique est le secret d’une mouture parfaite.

1/7
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Le grain se fait « nixtamaliser », c’est-à-dire cuire dans de l’eau à laquelle on a ajouté un ingrédient alkalin, comme de la chaux alimentaire. Déjà, ce sont deux ingrédients qui ne se trouvent pas facilement ici.

En 2019, ma quête de la tortilla parfaite avait abouti à Toronto, car, d’après mes fouilles approfondies, personne ne produisait de masa à partir du grain au Québec. Depuis, La Capital Tacos fait parfois des fournées de masa fraîche, mais c’est très occasionnel.

Les tortillas que nous pouvons acheter au Québec sont faites à base de farine de masa (masa harina en espagnol) industrielle, par l’omniprésente société Maseca, que l’on peut même acheter en supermarché au Québec. En vérité, depuis des années, une grande partie des tortillas au Mexique sont également produites avec cette farine.

Une question de goût… mais ce n’est pas tout

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Des tortillas de la tortilleria de Sherbrooke La Quebequita

Pourquoi faire la distinction ? Parlons d’abord de goût. Maseca étant une multinationale possédant plus de 75 usines, elle utilise un maïs de très grande culture, à très haut rendement plutôt qu’à très haute qualité gustative.

Après, il y a l’aspect social et politique. Dans son livre Masa, Jorge Gaviria explique comment, à la ratification de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), le maïs américain bon marché a envahi le Mexique, permettant à Maseca de produire à faible coût, tout en tuant nombre de petites fermes traditionnelles qui cultivaient selon le système précolombien de milpa (les « trois sœurs » qu’utilisent ou utilisaient aussi les Premières Nations d’ici).

Trente ans plus tard, les agriculteurs mexicains sont en train de réaffirmer l’importance de ce mode agricole biodiversifié. Jorge Gaviria possède une superbe entreprise qui produit de la masa harina de qualité, Masienda, mais elle ne livre pas au Canada.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Dans les sacs bruns, le maïs de Roberto. Dans les bacs en plastique, le maïs bleu du chef Juan Lopez Luna.

Les grosses poches de maïs blanc qui garnissent tout un mur du minuscule local aux portes rouges de La Quebequita démontrent qu’on peut faire les choses autrement. Roberto importe son grain des États-Unis. Il n’en connaît pas l’origine exacte, mais c’est un début.

Il a acheté l’équipement nécessaire à la confection d’environ 100 kilos de tortillas par semaine (5500 tortillas), soit un moulin d’assez petite taille et une autre machine plus volumineuse, qui presse et cuit les tortillas.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La Quebequita est située rue Wellington Sud, à Sherbrooke.

Les Mexicains déracinés et autres Latino-Américains ayant grandi avec la masa entrent dans la tortilleria de la rue Wellington et s’exclament : « Ça sent comme dans mon enfance ! » Certains trouvent aussi que ça « sonne » comme dans leur enfance. Les grincements de l’équipement leur rappellent les visites quasi quotidiennes au comptoir du village ou de la ville.

On peut venir acheter ses tortillas fraîches sur place les vendredis et samedis. Plusieurs familles repartent avec leur kilo, qui dure toute la semaine. On peut même acheter la masa congelée et faire ses propres tortillas et d’autres recettes à la maison.

Le restaurant Gato, à Sutton, sert ses tacos, enchiladas et autres quesadillas dans les tortillas de La Quebequita. L’été, les galettes sherbrookoises sont également au menu de la cantine de Robin bière naturelle, à Waterloo, entre autres. Et finalement, à Montréal, c’est chez Alma et nulle part ailleurs que l’on peut goûter à la pâte de maïs nixtamalisé de La Quebequita.

1. Consultez l’article « À la recherche de la tortilla parfaite » Consultez le site de La Quebequita