Tasses réutilisables, menus véganes, approvisionnement local et circularité : la transition écologique est amorcée dans les cafés québécois. Bien que la production de cette boisson ait une forte empreinte environnementale, des propriétaires tentent de réduire celle qu’ils contrôlent, de l’approvisionnement à la tasse (et à l’assiette) du client.

Ne demandez pas un gobelet jetable à la barista du Café des Habitudes. Du lait de vache non plus. Depuis que Joanna Nisenbaum a ouvert, en 2021, cet établissement dans le quartier La Petite-Patrie à Montréal, cette ex-professionnelle en marketing milite pour le changement. Et ce changement ne peut s’opérer, selon elle, qu’en dehors de la facilité. Le déchet ne doit pas être une option. Ici, le café se consomme sur place ou est à emporter dans les contenants réutilisables que sont les tasses personnelles des clients ou celles consignées de La Vague, un organisme dont elle assume la présidence depuis mars dernier.

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Le Café des Habitudes

« Ça fait qu’il y a beaucoup de clients qui prennent le temps de rester, se réjouit Joanna Nisenbaum, parce qu’en fait, dans la culture de la vente à emporter, il y a la culture de la productivité à outrance, de la rapidité. C’est tellement de déchets qui sont générés pour boire un café, en quoi, cinq minutes ? On est là pour dire : les solutions existent. C’est facile, ça ne coûte pas plus cher, au contraire, ça ne coûte rien. »

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Joanna Nisenbaum, propriétaire du Café des Habitudes

Si 400 établissements tiennent les tasses consignées de La Vague à l’échelle de la province, peu ont tourné complètement le dos aux gobelets jetables. Certains ont aussi décidé d’imposer des frais aux clients. C’est le cas des cafés Paquebot qui, dès le 28 avril, appliqueront des frais de 25 cents sur chaque gobelet jetable et verseront la somme à La Vague.

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De nombreux établissements offrent à leurs clients des tasses consignées La Vague.

« Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, c’est quelque chose qui mijote de plus en plus dans la tête des propriétaires de café », remarque la chargée de projet à Jour de la Terre Canada, Emma Sarazin, qui accompagne les commerçants participants au Défi Zéro Déchet organisé par l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie.

Emma Sarazin fait allusion au règlement montréalais qui, depuis le 28 mars, interdit la distribution de certains articles de plastique à usage unique dans les commerces alimentaires, dont les tasses en plastique (compostables ou non). Les gobelets de carton enduits de plastique demeurent toutefois permis.

Dans un article de blogue publié l’an dernier, le Centre international de référence sur l’analyse du cycle de vie et la transition durable (CIRAIG) rappelle toutefois que l’avantage d’utiliser une tasse réutilisable plutôt qu’un gobelet jetable dépend du nombre de fois où la tasse sera réutilisée et de la méthode employée pour nettoyer la tasse (réduire la quantité d’eau chaude et de savon).

Consultez l’article du CIRAIG

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Boisson végétale concentrée de Dam

Prise de conscience dans les cuisines

Au-delà du gobelet, la transition écologique s’opère aussi dans les cuisines. Au Café des Habitudes, l’approche est sans compromis. Tous les articles du court menu sont véganes, locaux le plus possible, et les laits, exclusivement végétaux. L’établissement a recours aux boissons végétales concentrées développées par l’entreprise québécoise Dam. Distribués dans des épiceries en vrac, ses produits sont aussi utilisés dans plus de 80 cafés, dont les succursales des cafés Dispatch qui évaluent à 30 000 le nombre de contenants de lait d’avoine qu’elles sauveront des déchets en une année.

« Ici, en trois jours, on fait ta consommation personnelle en une année, estime Joanna Nisenbaum. En tant que commerce, les choix qu’on fait ont un impact tellement plus grand que ton choix de citoyen. »

Consultez la nouvelle réglementation de la Ville de Montréal

Si ces choix radicaux n’ont pas entaché la vitalité financière du Café des Habitudes qui, après un an et demi d’activité, s’avère profitable, la réalité a été différente pour le Café le 5e (aujourd’hui Café Jardin) à Verdun, qui a été l’un des cafés pionniers en matière de zéro déchet à Montréal.

« On a évolué vers autre chose que juste du végane ou du zéro déchet, explique le nouveau copropriétaire, Manuel Perrier. C’était vraiment un choix de survie. Si on voulait rester ouvert, il fallait prendre une décision. » L’environnement est toujours au cœur des valeurs du commerce, mais depuis l’été dernier, les gobelets compostables (avec frais de 50 cents) et le lait de vache ont fait leur apparition.

Lisez notre article sur l’impact environnemental des boissons végétales
  • Manuel Perrier, copropriétaire du Café Jardin, rue Wellington à Verdun

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    Manuel Perrier, copropriétaire du Café Jardin, rue Wellington à Verdun

  • L’offre du Café Jardin demeure en grande partie végétalienne.

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    L’offre du Café Jardin demeure en grande partie végétalienne.

  • Le Café Jardin permet l’achat de café en vrac.

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    Le Café Jardin permet l’achat de café en vrac.

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Dans sa nouvelle mouture, le Café Jardin continue de travailler à limiter le gaspillage alimentaire.

Les recettes du menu sont pensées pour recycler les pertes. Je fais un cheeseburger qui est presque uniquement fait d’ingrédients qui servent à d’autres recettes dans le menu.

Manuel Perrier, copropriétaire du Café Jardin

Cuisine circulaire

En plus de réutiliser ses déchets, le café valorise ceux du microtorréfacteur montréalais Escape : la pellicule argentée. Cette fine pellicule, qui recouvre le grain de café, se détache lors de la torréfaction. Certaines entreprises l’utilisent comme engrais, d’autres dans les produits cosmétiques, mais la grande majorité se retrouve à l’enfouissement. Manuel Perrier est l’un des premiers au Québec, sinon le premier, à en avoir développé un usage alimentaire : il la transforme en farine qu’il utilise dans ses viennoiseries et biscuits.

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Manuel Perrier transforme la pellicule argentée en farine.

« Ça donne une excellente farine sans gluten qui permet de créer des textures spéciales un peu comme un gélifiant. On mélange ça avec des cajous dans une préparation pâtissière avec laquelle on remplit les croissants et des chocolatines. C’est un goût vraiment étonnant, qui rappelle les marrons grillés, et ça apporte une profondeur à la préparation. À force d’en parler et d’en vendre, ça a tellement de succès que j’ai de la misère à suivre le rythme. »

  • Des biscuits faits à partir de farine de pellicule argentée.

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    Des biscuits faits à partir de farine de pellicule argentée.

  • De la farine de pellicule argentée est aussi intégrée dans la préparation des chocolatines.

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    De la farine de pellicule argentée est aussi intégrée dans la préparation des chocolatines.

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Le procédé est pour l’instant très artisanal. Le cuisinier en produit deux ou trois fois par semaine, en petites quantités, mais une entreprise montréalaise a démontré de l’intérêt pour en faire la commercialisation. Quant à l’innocuité du produit, des chercheurs allemands ont noté, dans une revue de la littérature publiée en octobre dernier, que « les études disponibles à ce jour ont conclu qu’aucun effet toxique de la pellicule argentée n’a été constaté ou n’est à prévoir ».

Questionné sur la réglementation, un porte-parole de Santé Canada a indiqué, par courriel, que « selon l’utilisation prévue, la pellicule argentée du fruit de café pourrait nécessiter une autorisation préalable à la mise en marché avant d’être disponible sur le marché canadien ». Il précise que « Santé Canada n’a reçu aucune requête concernant la classification réglementaire de la pellicule argentée du fruit de café, ni fourni d’autorisation pour cet aliment ».

Si, en région, l’approvisionnement local demeure un défi lorsqu’on souhaite réduire son empreinte en restauration, le terrain est favorable à la circularité, pense Isabelle Huard, copropriétaire du café Paquebot à Gaspé. « C’est un petit milieu. Les gens sont toujours partants pour s’impliquer sur ce plan-là. »

L’établissement a gaspillé beaucoup de lait chauffé en trop dans les mois qui ont suivi son ouverture, raconte Isabelle Huard. Celui-ci a été utilisé pour faire de la ricotta maison. Quant au petit-lait, il a été utilisé par la boulangerie d’en face qui, pendant quelque temps, a servi le pain Paquebot. Celui-ci a disparu lorsque Isabelle Huard et son équipe en sont arrivés à leur objectif de zéro déchet laitier. Maintenant, c’est pour son marc de café qu’elle aimerait trouver un débouché.

Il reste que l’étape ayant le plus d’impacts environnementaux est la production du café lui-même (de 50 % à 80 % de l’empreinte carbone), souligne le CIRAIG.

« J’ai un collègue qui dit toujours : si on veut être éco, on arrête de faire du café », dit Isabelle Huard. Pour elle, il est cependant possible de diminuer cette empreinte en choisissant bien les producteurs. « Les monocultures, c’est très dur sur la terre et sur les écosystèmes, alors que si c’est en montagne, dans des fermes familiales, où il y a d’autres types de végétation qui poussent autour… Il y a cet aspect sur lequel on a un certain contrôle. »

En savoir plus
  • 805 millions
    Quantité de contenants à emporter vendus au Canada en 2019
    Source : Gouvernement du Canada