(Prévost) En avril 2022, la petite municipalité de Prévost, dans les Laurentides, est devenue la première au Québec à créer une redevance sur certains articles à usage unique, dont les gobelets à café, les petites bouteilles d’eau et les bidons de lave-glace. Un an plus tard, elle commence à financer des projets avec les sommes récoltées, mais a hâte que d’autres villes l’imitent. Un dossier d’Ariane Krol

« On n’est pas une ville d’hurluberlus »

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Daniel Moranville, copropriétaire du microtorréfacteur Kohi, montrant le pot en verre consigné dans lequel il vend ses cafés à emporter.

Dans son local tout blanc situé sur le chemin du Lac-Écho, Daniel Moranville, copropriétaire du microtorréfacteur Kohi, vend des centaines de cafés à emporter par mois. Mais il ne facture pas l’éco-contribution de 0,10 $ par gobelet exigée par la municipalité.

Il y a un an, le commerce a remplacé ses verres jetables par des pots en verre coiffés d’un couvercle noir. Assez étroits pour se glisser dans un porte-gobelet d’auto, ils ne lui coûtent que 0,98 $ l’unité, ce qui permet d’offrir un contenant consigné à seulement 1 $.

« Avant, on passait environ 1000 verres en carton par mois, donc on a économisé au moins 12 000 verres en carton », estime M. Moranville, qui est également bassiste du chanteur country Matt Lang.

« On a sauvé des milliers de dollars », ajoute sa conjointe et copropriétaire, Marie-Andrée Plouffe.

Le couple a découvert ces pots au Bar Nine, un café de Los Angeles qui a popularisé le mot-clic #glassrevolution sur les réseaux sociaux. Kohi a obtenu une subvention municipale de 750 $ pour couvrir une partie du coût de ses 2200 premiers pots.

« C’est un exemple de projet qui pourrait être financé avec le Fonds pour la consommation responsable », dit le maire Paul Germain, rencontré à l’hôtel de ville.

Dans ce bâtiment aux murs extérieurs truffés de pierres qui lui confèrent un air montagnard, la municipalité de 14 000 habitants a entamé sa propre révolution.

« Je parle d’une radicalité douce », précise le maire.

La Ville a d’abord interdit trois articles en plastique à usage unique (pailles, touillettes à café et cotons-tiges) en septembre 2021. En mai 2022, elle a imposé une condition à la vente de bouteilles d’eau non gazeuse et de bidons de lave-glace : offrir aussi un système de remplissage en vrac. Et depuis juillet dernier, les commerçants doivent facturer une redevance de 0,10 $ à 0,50 $ sur six types d’articles à usage unique, dont les bouteilles d’eau plate de moins de 750 millilitres et les verres à café.

  • Liste des tarifs facturés sur des articles à usage unique dans les commerces de Prévost, affichée sur la porte de l’un d’entre eux.

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    Liste des tarifs facturés sur des articles à usage unique dans les commerces de Prévost, affichée sur la porte de l’un d’entre eux.

  • Le Tim Hortons de Prévost mentionne l’éco-contribution
de 0,10 $ par gobelet à usage unique sur ses factures.

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    Le Tim Hortons de Prévost mentionne l’éco-contribution
de 0,10 $ par gobelet à usage unique sur ses factures.

  • Depuis mai dernier, des distributrices de lave-glace en vrac
sont apparues dans la ville des Laurentides.

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    Depuis mai dernier, des distributrices de lave-glace en vrac
sont apparues dans la ville des Laurentides.

  • Les stations de lave-glace en vrac permettent de remplir
son réservoir sans générer de contenant de plastique vide.

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    Les stations de lave-glace en vrac permettent de remplir
son réservoir sans générer de contenant de plastique vide.

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« Le projet de départ couvrait toutes les boissons gazeuses, tous les jus. On a été à l’écoute, on a fait énormément de concessions. On n’est pas une ville d’hurluberlus, on a travaillé correctement », assure M. Germain.

Une redevance qui porte ses fruits

Pour compenser les frais de gestion des marchands qui ont à percevoir et à remettre la taxe, le règlement leur accorde un pourcentage de la redevance, qui était plus élevé durant les six premiers mois d’implantation.

À partir de la deuxième année, les redevances rapporteront « autour de 75 000 $ » net par an au Fonds pour la consommation responsable (FCR), estime la Ville.

Les premières initiatives financées par ce fonds, totalisant plus de 40 000 $, viennent d’être annoncées. Un projet d’implantation de vaisselle réutilisable pour la restauration, un service d’accompagnement pour des familles désireuses de réduire leurs déchets, la fourniture de composteurs résidentiels à prix réduit ainsi que des subventions pour installer deux stations de lave-glace en vrac ont été approuvés par le conseil municipal mardi dernier.

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Distributrice de lave-glace en vrac dans une station-service de Prévost

« Des projets qui vont avoir un effet de réduction sur les matières résiduelles », explique le maire. Et la réduction du volume de gobelets et autres articles frappés d’une redevance ? Pour mesurer l’effet, la Ville suivra les rapports des marchands.

« La durée d’utilisation d’un bidon de lave-glace, c’est trois minutes, et ça surcharge nos centres de recyclage », note le maire, qui espère que l’éco-contribution de 0,50 $ par bidon incitera à la consommation en vrac. Et si jamais le 0,10 $ par petite bouteille d’eau n’a pas d’effet sur les achats, « il aura un impact dans d’autres projets », fait-il valoir.

Si ce type d’éco-contribution déplaît à des associations de marchands, à Prévost, elle semble s’être fondue dans le paysage, a constaté La Presse cette semaine.

Malgré les nombreuses affiches et la mention de l’éco-contribution de 0,10 $ par gobelet sur les factures, aucun des quatre clients assis chez Tim Hortons lors de notre passage n’avait remarqué la mesure. « Vous m’apprenez quelque chose ! », s’est exclamé l’un d’eux.

Certains commerces, comme les Couche-Tard, intègrent les éco-contributions dans les prix affichés, de sorte qu’elles n’apparaissent pas sur les factures. C’est aussi l’approche des frères Raymond, copropriétaires du café-boulangerie Les Moulins La Fayette. « Il faut le gérer, mais on est deux gars de 37 ans : quand la contrainte est positive et qu’elle a un objectif humble et bon pour tous, je pense que ça vaut la peine », a commenté Marc-André Raymond, joint au téléphone.

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Le café-boulangerie Les Moulins La Fayette, à Prévost

Aux clients qui se plaignent, on montre les affiches explicatives fournies par la Ville, nous ont mentionné des caissiers d’autres commerces, qui n’étaient pas autorisés à parler au nom de leurs employeurs. C’était beaucoup plus fréquent « en juillet, quand ça a commencé », a témoigné l’une d’elles. Les clients qui n’ont pas un besoin urgent peuvent acheter leurs articles à Saint-Jérôme, à une douzaine de kilomètres, mais avec « le prix du gaz, aussi bien les payer ici », a commenté une autre.

En ce beau jeudi ensoleillé, les stations de lave-glace en vrac étaient désertes. Aux tarifs affichés (1,25 $ à 1,79 $ le litre, taxes incluses), y remplir un contenant de 3,78 litres nous aurait coûté entre 4,73 $ et 6,77 $. Plus cher que les prix affichés pour un bidon dans certaines chaînes de la province, mais moins que le prix exigé dans un des dépanneurs de Prévost pour un bidon (7,46 $, taxes incluses…).

Un modèle qui tarde à se répandre

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Daniel Moranville, copropriétaire du microtorréfacteur Kohi, montrant le pot en verre consigné dans lequel il vend ses cafés à emporter.

La redevance imposée par Prévost sur certains articles à usage unique est « une mesure super intéressante dans son application », estime l’économiste Alexandre Ainsley, consultant principal chez Aviseo Conseil, qui a récemment donné une formation sur l’écofiscalité à l’Union des municipalités du Québec (UMQ).

« D’un côté, on vient mettre un signal de prix pour le consommateur, et de l’autre côté, on lui donne des options en finançant des alternatives plus durables. On finance l’élimination des matières résiduelles, mais également les initiatives des commerces », a expliqué M. Ainsley en entrevue téléphonique.

Des associations de commerçants ne partagent pas son enthousiasme.

« Ça devient compliqué parce que les systèmes de caisses des bannières ne sont pas équipés pour faire ce type de manipulation localement », déplore le porte-parole de l’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADAQ), Stéphane Lacasse. Même son de cloche à l’Association Restauration Québec (ARQ), qui craint « que [ses] membres reçoivent des sanctions parce des employés ont oublié de poinçonner des éco-contributions », indique le porte-parole, Martin Vézina.

En plus, on a une crainte que des municipalités commencent à faire des règlements de ce genre chacune de leur côté et qu’on se retrouve avec une courtepointe réglementaire.

Martin Vézina, porte-parole de l’ARQ

Aucune municipalité n’a encore emboîté le pas à Prévost. « On a beaucoup d’appels », nous a toutefois indiqué le maire Paul Germain.

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Le maire de Prévost, Paul Germain

À Mascouche, dans Lanaudière, le dépôt d’un projet de règlement « est prévu au cours des prochaines semaines », nous a indiqué la porte-parole de la Ville, Isabelle Gagné, par courriel. Dans la ville voisine de Terrebonne, un tel règlement « est toujours en développement », nous a écrit une porte-parole, Marie-Ève Courchesne. Les montants et objets visés restent à déterminer.

En attendant, les deux municipalités ont interdit une série d’articles en plastique, dont des pailles, ustensiles et contenants, avec une période de transition jusqu’en septembre prochain, et lancé une campagne commune1.

La Ville de Vancouver, par contre, vient d’éliminer son éco-contribution sur les gobelets de café jetables, soulignent les deux associations de commerçants québécoises. « Vancouver l’avait imposée pour un changement de comportement qui ne s’est pas fait : ils se sont rendu compte que les gens payaient, et c’est tout », dit Stéphane Lacasse, de l’ADAQ.

À partir du 1er mai, les commerçants de Vancouver n’auront plus à percevoir les écofrais de 0,25 $ par verre à usage unique qui étaient imposés depuis le 1er janvier 2022.

« Les entreprises et résidants nous ont dit haut et fort que ce frais était inefficace », a déclaré la conseillère qui a recommandé l’abolition, Rebecca Bligh, dans un communiqué.

Aucune donnée n’a cependant encore été publiée sur le résultat de cette expérience.

PHOTO FOURNIE PAR ALEXANDRE AINSLEY

Alexandre Ainsley, économiste et consultant principal chez Aviseo Conseil

L’objectif d’une écotaxe n’est pas nécessairement le changement de comportement. Il peut être d’internaliser les coûts de gestion de la pollution afin que la personne qui pollue paie pour cette pollution. Ainsi, une mesure peut être efficace sans modification comportementale.

Alexandre Ainsley, économiste et consultant principal chez Aviseo Conseil

Sur les 25 commerçants de Prévost sujets à l’éco-contribution sur les gobelets de café, petites bouteilles d’eau et autres articles à usage unique, un seul refuse de la percevoir, nous a dit le maire. « Je ne veux pas l’identifier parce que ça risque de braquer tout le monde et que mon but, c’est la réussite. »

Le règlement municipal prévoit des amendes de 1000 à 2000 $, pouvant aller jusqu’à 4000 $ en cas de récidive. « On n’en est pas là, on est en mode persuasion. On travaille en gestion de changement, on n’est pas dans une optique de confrontation. »

Sur 14 000 habitants, la Ville a reçu « quatre plaintes, dont un citoyen qui n’habite pas la municipalité », affirme-t-il.

Consciente que les villes s’inspirent les unes des autres, Prévost a publié et vulgarisé sa réglementation sur son site web2. Elle avait aussi installé de l’affichage l’an dernier, avec des slogans comme « Tout le Québec sera un peu plus vert. De jalousie. »

« On a hâte que d’autres nous imitent. C’est sûr que si c’était panprovincial, ce serait plus facile », reconnaît Paul Germain.

1. Consultez le site web non-merci.ca 2. Consultez le site web eco-choix.ca
En savoir plus
  • 40 000
    Nombre de contenants de lave-glace utilisés annuellement sur le territoire de Prévost
    SOURCE : VILLE DE PRÉVOST, DONNÉES DIFFUSÉES AVANT L’ADOPTION DU RÈGLEMENT SUR L’ÉCO-CONTRIBUTION
    270 000
    Nombre de cafés en verres jetables achetés annuellement chez les commerçants de Prévost
    SOURCE : VILLE DE PRÉVOST, DONNÉES DIFFUSÉES AVANT L’ADOPTION DU RÈGLEMENT SUR L’ÉCO-CONTRIBUTION
  • 507
    Nombre de commerces qui auraient à facturer l’éco-contribution que Terrebonne et Mascouche prévoient imposer sur certains articles à usage unique. Ils seraient 367 à Terrebonne et environ 140 à Mascouche.
    SOURCES : VILLE DE TERREBONNE, VILLE DE MASCOUCHE