Au neuvième jour de la campagne, tous les chefs de partis étaient déjà passés à Gatineau ! Plusieurs d’entre eux sont même allés en Outaouais rural ! J’en étais tout excité. Cela vous paraît banal, mais, il y a quelques années, ils ne se donnaient même plus la peine d’y passer en coup de vent pour cause d’inutilité : la région semblait déterminée à rester rouge, peu importe ce qu’on lui promettait. Nous souffrions d’un mal qui ne pardonne pas en politique : l’absence de concurrence.

Puis, en 2018, à la surprise générale, la CAQ a remporté trois des cinq circonscriptions de l’Outaouais. C’était la première fois depuis 1976 que l’Outaouais envoyait à l’Assemblée nationale autre chose que cinq députés libéraux sur cinq. C’est un peu comme si l’Ouest-de-l’Île de Montréal ne votait plus libéral : c’est une montagne qui bouge.

Tout le Québec devrait s’intéresser à ce qui s’est passé en Outaouais, car cette longue absence de concurrence politique a coûté cher au Québec.

J’ai bien dit au Québec, parce que les faiblesses de l’Outaouais n’ont pas que des conséquences régionales, mais surtout nationales. Voici donc ce que le désintérêt des partis politiques pour la région a provoqué au cours des ans.

En santé, quand on la compare aux régions qui lui ressemblent, l’Outaouais souffre historiquement d’un important sous-financement chronique⁠1 qui force les gens de la région à traverser la rivière pour obtenir toute une panoplie de services qui devraient être offerts chez nous. Exemple : nous manquons tellement de places en obstétrique, un service de base, un service de proximité, que 30 % des nouvelles mamans de l’Outaouais doivent accoucher en Ontario⁠2, faute de place chez nous.

Résultat : le Québec verse autour de 105 millions par année à l’Ontario (donnée de 2017). Vous avez compris, c’est un milliard que nous dépensons tous les dix ans pour financer le réseau ontarien de la santé.

C’est pareil en éducation.

Au moment où vous lisez ces lignes, il y a 7600 Québécois qui étudient à Ottawa. Si on fait abstraction des centres de formation professionnelle, c’est 40 % des étudiants de niveau postsecondaire de l’Outaouais qui étudient à Ottawa. C’est beaucoup, beaucoup de cerveaux qui quittent le Québec en cette époque de pénurie de main-d’œuvre. Ils reviendront, direz-vous ? Pas tous.

Vingt-cinq pour cent d’entre eux étudient dans des programmes dont le diplôme n’est pas reconnu au Québec. Les autres ne reviendront peut-être pas non plus. Ils sont à l’âge où l’on tombe amoureux, où l’on se crée un premier réseau professionnel, et ils font cela en Ontario.

Pourquoi sont-ils là-bas ? Parce qu’il y a très peu de programmes offerts chez nous. Les gens de l’Outaouais ont accès à trois fois moins de programmes universitaires que ceux du Saguenay alors que la population de l’Outaouais est deux fois plus grande.

L’Université du Québec en Outaouais est, de loin, le parent pauvre du réseau universitaire québécois. Le déficit de programmes est le même pour notre cégep. Si l’on rapatriait d’Ottawa nos étudiants postsecondaires qui sont à Ottawa, l’UQO doublerait son effectif étudiant et nous devrions construire chez nous un autre cégep de taille moyenne.

C’est pareil en culture.

On pourrait s’attendre à ce que le gouvernement du Québec investisse un peu plus en culture dans une région frontalière, histoire de rayonner en dehors de son territoire ou encore tout simplement pour contrer l’influence de l’anglais.

C’est le contraire qui s’est produit : « […] en 2019-2020, les dépenses moyennes par habitant du gouvernement du Québec sont 9 fois plus élevées en Estrie, en Mauricie et dans le Centre-du-Québec qu’en Outaouais en ce qui concerne les arts de la scène ; 7 fois plus élevées en cinéma ; 4 fois plus élevées pour les livres et périodiques ; 2,5 fois plus élevées pour le patrimoine, les institutions muséales et les archives et 1,8 fois plus élevées pour les bibliothèques⁠3. »

Le gouvernement caquiste a reconnu le retard de l’Outaouais, ce qui explique en grande partie ses spectaculaires succès, et il a commencé à essayer de le combler.

Sentant que le terrain n’est plus acquis aux seuls libéraux, tous les partis s’intéressent maintenant de plus près à la région, et c’est une excellente nouvelle pour tout le Québec.

Pour développer une certaine vision d’avenir pour une région, il faut s’y intéresser. À cet égard, le réalignement qu’on constate partout au Québec est porteur de changements positifs. La présence de la CAQ dans toutes les régions. La présence de QS hors Montréal. L’obligation pour le PQ et pour le PLQ de se réinventer en profondeur, tout cela provoque des réflexions essentielles pour chacune de nos régions.

L’absence de concurrence politique en Outaouais pendant presque 40 ans doit faire office d’exemple à ne pas suivre.

1. Consultez le rapport L’Outaouais en mode rattrapage 2. Lisez l’article « 30 % des mères de l’Outaouais accouchent en Ontario »

3. L’Outaouais en mode rattrapage, p. 32