Il y a des choses qui sont faites pour être vécues à deux : l’amour, la boxe, la moto avec side-car, le tir au poignet, chanter Sous le vent, les débats… 

On peut toujours essayer d’en faire des versions à plusieurs, mais ça devient compliqué. Les intervenants qui s’ajoutent se demandent comment s’impliquer. Par quel bout commencer.

Le premier débat des chefs télévisé fut celui opposant Richard Nixon à John Kennedy, le 26 septembre 1960. Il a marqué l’histoire. Mis en place la formule. Un duel dans la tradition des westerns. Deux rivaux s’affrontant, en gros plans, comme dans les films de Sergio Leone. Dans la rue principale d’un village perdu de l’Ouest américain, deux cowboys, dos à dos, le colt à la ceinture, se mettent à marcher, puis quand le décompte est terminé, se retournent et tirent. Reste vivant le plus rapide. De la main ou du cerveau. Un classique. Maintenant, faites le même rituel avec trois, quatre ou cinq cowboys, dos à dos. Ce n’est plus un duel, c’est un massacre.

Donc, le modèle de base d’un débat n’implique que deux participants. C’est toujours le cas aux États. En France aussi, avant le deuxième tour. Au Québec, depuis Lesage contre Johnson, on l’a fait souvent à deux, parfois à trois, peut-être à quatre, à ce que je sache, jamais à cinq. Avant jeudi dernier.

Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, avec plus de partis pour représenter tous les courants de pensée, il faut donc adapter la joute verbale au multi-joueurs.

Le résultat du Face-à-face-à-face-à-face-à-face fut souvent cacophonique, mais hautement divertissant, comme en témoigne l’énorme cote d’écoute d’un million et demi de personnes. Bravo ! On pourrait donner une note parfaite aux organisateurs. Même 110 % ! Ça ressemblait d’ailleurs à cette vénérable émission de débats sportifs. Mais côté contenu politique, les participants nous ont offert peu de solutions concrètes, clairement expliquées, et pas de quoi rêver.

Que retient-on ? La bouche pincée du PM, comme s’il y coinçait un tabar… Et ces mots clés : Texas, Cuba, chaloupe et Toyota Camry. On est loin des discours du général de Gaulle et de Churchill.

Bon, le débat de jeudi prochain nous éclairera peut-être davantage. Mais rien n’est moins sûr.

C’est que la mission est quasi impossible, le diffuseur étant toujours écartelé entre la volonté de faire un bon show et celle d’aller au fond des choses.

Le meilleur show, ce serait de recourir à l’approche de la téléréalité : l’élimination. Toutes les 30 minutes, une trappe s’ouvre, et le chef le moins pertinent disparaît sous le plancher. Au bout de 90 minutes, il ne reste que deux débatteurs pour la dernière demi-heure. On va enfin pouvoir suivre. Comment se fait le choix de l’éjecté ? Un vote téléphonique, un jury d’analystes, ou un choix fait entre chefs, comme dans Survivor.

Si on oublie les cotes d’écoute et que l’on veut vraiment aller en profondeur, il faut leur donner plus de temps. C’est certain. Quand ils étaient deux, le débat durait deux heures, maintenant qu’ils sont cinq, le débat dure encore deux heures, ce qui réduit leur parole de plus de la moitié. On ne peut pas, après une telle coupe, leur demander de nous captiver comme Fidel Castro.

Pour remédier à la pénurie de secondes, faudrait avoir une approche Netflix de ce grand évènement. Le diviser en plusieurs épisodes d’une heure.

Premier épisode : François Legault présente son programme en solo (20 minutes) Anglade débat avec Nadeau-Dubois (20 minutes), St-Pierre Plamondon débat avec Duhaime (20 minutes).

Deuxième épisode : Dominique Anglade présente son programme en solo. Legault débat avec St-Pierre-Plamondon, Nadeau-Dubois débat avec Duhaime.

Troisième épisode : Gabriel Nadeau-Dubois présente son programme en solo. Legault débat avec Duhaime, St-Pierre Plamondon débat avec Anglade.

Quatrième épisode : Paul St-Pierre-Plamondon présente son programme en solo. Legault débat avec Nadeau-Dubois, Anglade débat avec Duhaime.

Cinquième épisode : Éric Duhaime présente son programme en solo. Legault débat avec Anglade, Nadeau-Dubois débat avec St-Pierre-Plamondon. Et l’affaire est tiguidou !

Une série de cinq heures permettant aux cinq individus de tirer leur épingle du jeu et surtout leur donnant une réelle chance d’expliquer leurs solutions pour régler tous les problèmes du Québec.

Bref, ma proposition est très gouvernementale : pour en finir avec les débats, il faut faire plus de débats.

Vous allez dire que les chefs vont être accaparés durant cinq jours par la télé. Oui, et alors ? Sachez que tout ce qu’ils font durant la campagne, c’est pour passer à la télé. Au moins, durant cette semaine-là, ils auraient plus qu’un clip de quelques secondes aux nouvelles.

Vous n’êtes toujours pas d’accord ? OK, on fait un autre débat… à cinq, à cent, à mille !